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23 août 2014 6 23 /08 /août /2014 10:33
Je déménage !
Pas de changements fondamentaux, mais une nouvelle adresse :

 

http://poupoune-pidou.blogspot.fr

A bientôt !
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30 juillet 2014 3 30 /07 /juillet /2014 22:34

 

Ça faisait un petit moment déjà que je me demandais si mon voisin de palier n’était pas mort.

Non pas qu’une quelconque odeur ait commencé à infester tout l’étage, non, rien d’aussi glauque, mais je ne le voyais plus. Ce n’est pas que j’avais l’habitude de le voir si régulièrement, mais c’est vrai que je le croisais quand même de loin en loin. Sa femme, très rarement et jamais seule. Mais depuis quelque temps, c’est elle que je croisais et lui, plus du tout. Et, bien sûr, ce sont des personnes âgées, sans quoi je ne me serais pas inquiétée de ne plus le voir, le vieux, s’il avait été jeune…

Bon, alors vous me direz, vu que ça n’empuantissait pas tout l’immeuble, ce n’était pas exactement mon problème, qu’il soit mort ou vif, le voisin, mais que voulez-vous ? Mon âme tendre se faisait du souci pour la vieille. Si elle ne sortait pas, laissant faire les courses à son mari, c’était peut-être bien parce qu’elle n’avait plus vingt ans et je me demandais s’il ne serait pas de bon ton de lui proposer mon aide, maintenant que son bonhomme avait clamsé. D’un autre côté, vu que je suis ce genre de voisine qui ne va même pas à la fête des voisins et qui n’a jamais vu les trois quarts des habitants de l’immeuble, la probabilité que le vieux ne soit pas mort, mais que je ne le voie simplement plus parce que je ne vois pas grand monde de toute façon était plutôt forte.

Aller voir ma pauvre vieille voisine avec les meilleures intentions du monde et lui annoncer son veuvage par anticipation pourrait être mal interprété. Sans compter que ce serait un peu ingrat, pour moi, de me voir claquer la porte au nez sur un malentendu.

J’ai essayé d’être plus attentive, de guetter leurs allées et venues, mais il y a deux catégories de vieux : ceux qui s’emmerdent et les autres. Ceux qui s’emmerdent, ils persistent à faire leurs courses le samedi, pour voir du monde. Ils prennent le bus aux heures de pointe, pour voir du monde. Ils vont chez le médecin après dix-huit heures, pour voir du monde. Ceux qui s’emmerdent, tu ne peux pas les louper. Mais les autres, à moins d’être en vacances à la maison, tu ne les croises jamais. Et mes petits vieux sont de cette catégorie-là. Autant dire que malgré toute l’attention que j’ai essayé de leur porter, je n’ai pas résolu mon mystère.

Elle, je l’ai encore croisée quelques fois, lui non, mais sans déceler de signe évident qu’il était bel et bien mort, comme par exemple un long voile noir que madame aurait pu arborer sur une mine défaite pour me donner une indication fiable de l’état de son mari. Alors j’ai fini par me décider à aller la voir, en me disant qu’après tout ça ne pourrait pas être complètement mal perçu qu’une gentille voisine se montre attentionnée à l’égard de sa vieille voisine. Même en cas de méprise sur le décès de monsieur.

J’ai sonné. Plein de fois, parce qu’une vieille endeuillée c’est forcément un peu sourd. La porte s’est ouverte sur le vieux.

Je crois qu’il a dit un truc du genre « ça va pas de sonner comme ça, y a un problème ? », mais je n’en jurerais pas, parce que j’ai été tellement surprise de le voir, de me retrouver en quelque sorte face à un fantôme, que j’ai poussé un cri strident avant de lui balancer mon sac dans la tête. Un réflexe idiot, je sais, mais il m’a fichu une de ces frousses !

Pauvre vieux. Sa tête a rebondi contre le mur et puis il s’est effondré là, à mes pieds, mort avant d’avoir touché le sol.

Du coup, j’ai pu présenter mes condoléances à la vieille sans craindre de faire un impair.

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17 juillet 2014 4 17 /07 /juillet /2014 00:35

 

Pour des raisons aussi futiles que banales, je me suis inscrite à la salle de gym de mon boulot.

Dans une salle de gym, il faut le savoir, il y a un J.B.

J.B. peut être un J.C., un J.P. voire un F.X., mais il est, quoi qu'il en soit, aussi indispensable à la salle de gym que le tapis de course.

J.B. est beau, bien coiffé, très musclé et tatoué et son titre est "coach plateau", ce qui signifie qu'il dit bonjour quand tu arrives, te fait des clins d'œil quand il croise ton regard alors que tu ruisselles, rouge et à bout de souffle, sur l'engin qui finira bien par te faire perdre 100g et, enfin, ça veut dire qu'il montre, sans s’énerver, à la gourde qui ne comprend pas, que le bouton "+" veut dire "plus vite / fort / longtemps" et, inversement, que le bouton "-"... Bref : J.B. est un élément incontournable.

Autre constante des salles de gym, la prof qui fait cours à demi nue pour bien montrer aux grosses dames qui peinent à enchaîner trois abdos, alors qu'elle leur en demande quatre séries de seize, à quoi elles doivent aspirer et à quel point elles en sont loin.

Après, il y a les toutouyouteurs. Je ne sais pas comment on appelle les gens qui fréquentent les salles de gym, ce sera donc les toutouyouteurs.

Là, deux catégories.

D’abord, les gens qui manifestement essaient de perdre un peu (beaucoup) de poids, ou qui se donnent bonne conscience, ou encore qui se dépensent un peu en prévision du prochain repas qui ne manquera pas d'être trop riche.

La plupart des gens de cette catégorie passe en général par les trois étapes ci-dessus, dans un ordre ou un autre avec possibilité de les répéter plusieurs fois chacune. Ils s'occupent assez peu des autres, sinon pour de brefs échanges polis, et n’ont pas l’air d’être le meilleur ami de J.B.

L'autre catégorie se scinde en deux sous-groupes : les aspirants mister univers et les poufs. Hommes et femmes sont là dans le but unique de parfaire leur plastique, mais alors que les femmes regardent essentiellement les femmes de la première catégorie tout en faisant du gringue à J.B., les hommes, eux, se regardent entre eux histoire de voir, finalement, qui a la plus grosse. Et accessoirement, à leur manière, ils font aussi du gringue à J.B.

 

Depuis quelques jours que ma fille est en vacances et moi un peu aussi, donc, j'ai profité de ma semi-liberté pour aller à la salle de gym non plus en courant entre midi et deux, mais tranquillement en fin de journée.

Et là j'ai découvert les misters univers du soir.

Ils ressemblent beaucoup à ceux du midi, se jaugeant les uns les autres et soulevant des barres de fer en soufflant bruyamment pour bien souligner l'effort, mais leur grande particularité est qu'ils ne font plus les coqs au milieu d'une basse-cour acquise de toute façon à J.B., mais sont cette fois en mode rivalité virile mais conviviale, de cette convivialité d'où naissent ces délicieuses bourrades torse contre torse avec gouttelettes de sueur voletant telles une aura humide irradiant de ce beau moment de masculinité désinhibée.

Je me suis donc retrouvée là, seule femme dans ce grand débordement de testostérone, royalement ignorée puisque n'étant :

1) pas en lice pour le concours du plus gros biceps,

2) pas âgée de moins de 25 ans, avec la silhouette correspondante.

Mais cette ignorance était partagée puisque je n'étais pas moi-même en quête d'un mâle musculeux pour déménager mon frigo, du coup nous avons œuvré à nos tâches respectives dans une indifférence mutuelle – sauf avec J.B., parce que eh ! c’est J.B., quoi !

Néanmoins, toute indifférente que je fus, je n’en étais pas moins taraudée par cette sempiternelle question : où sont les femmes ? Sans doute mon cerveau était-il quelque peu ralenti par l’effort auquel je soumettais mon corps, car il m’a fallu un moment pour trouver l’évidente réponse : pendant que ces messieurs jouent les fiers-à-bras après le boulot, leurs femmes doivent s’occuper de leurs gosses et n’ont pas le temps, elles, d’essayer de perdre leurs derniers kilos de grossesse en s’essoufflant sur une machine à la salle de gym.

Et pourtant elles apprécieraient certainement au moins autant que leurs bonshommes les clins d’œil de J.B.

D’un coup, ça m’a énervée. J’ai arrêté de m’épuiser sur cette fichue machine, que t’as beau donner tout ce que t’as, elle n’avance pas d’un pouce, et je suis allée me changer en méditant sur l’injustice du monde. En sortant, je me suis approchée d’un genre de taureau qui semblait à tout prix vouloir prouver qu’il pouvait courir plus vite que son tapis et j’ai stoppé net sa machine.

Il s’est écroulé dans un mouvement délicieusement ridicule et a laissé deux dents plantées dans son tapis de course.

J’ai quitté la salle toujours dans l’indifférence générale, à part J.B. qui m’a fait mon clin d’œil d’au revoir.

Je l’aime bien, J.B.


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2 mai 2014 5 02 /05 /mai /2014 15:54

La scène de crime se situait au beau milieu d’un grand parc.

Les rubans délimitant la scène entouraient un petit cabanon légèrement surélevé sur lequel on pouvait lire « Toilettes sèches ». Devant ma mine perplexe, un technicien de la scientifique m’a éclairée :

 

- Ce sont des toilettes sans eau.

- Un trou dans le sol, en gros ?

- En gros, oui. Sauf que là c’est un trou dans une cuve. Et en guise de chasse d’eau on jette des copeaux de bois. C’est écologique.

- Ah oui, bien sûr… ça doit puer grave, non ?

- Habituellement, je ne sais pas, mais là ça commence, oui.

 

Il a ouvert la porte des charmantes commodités écolo-bucoliques et je n’ai pu réprimer un hoquet quand l’odeur m’est parvenue. Rien à voir avec ce à quoi on peut s’attendre dans des toilettes publiques, aussi rudimentaires soient-elles : c’était clairement le macchabée qui produisait l’essentiel de la pestilence.

Passé le choc olfactif, c’est un rire, que j’ai eu du mal à contenir. Ça me gêne toujours un peu de rire en présence d’un mort et j’éprouve à chaque fois un soupçon de culpabilité quand c’est le mort lui-même qui me fait rire, mais le tableau que j’avais devant les yeux était pour le moins croquignolet : au milieu de la minuscule cabane en bois, planté la tête dans le trou qui tenait lieu de cuvette, mon cadavre du jour était droit comme un i, les pattes en l’air.

J’étais prête à parier que ce n’était pas un suicide, mais j’avais du mal à imaginer quel genre d’esprit criminel avait pu concevoir pareille mise en scène.

 

- Vu l’odeur, ça doit faire un moment qu’il est là, non ?

- Ce coin du parc a été fermé plusieurs semaines, c’est pour ça qu’on l’a pas trouvé plus tôt. Ça n’a rouvert que ce matin.

- Il est mort quand ?

- Dur à dire avec exactitude pour le moment, mais ça doit faire au moins quatre ou cinq jours.

- Cause du décès ?

 

Je n’avais pas eu ma réponse sur les lieux, ce qui est fréquent quand le corps ne présente ni impact de balle, ni lésion évidente, ni poignard dans le cœur, mais il avait finalement été établi que le type était mort de faim. C’était pour le moins inattendu.

La thèse de l’accident n’avait pas encore pu être totalement écartée, mais je n’arrivais pas à concevoir le genre de maladresse nécessaire pour se mettre dans une posture pareille, alors je fus contente d’avoir une autre piste à suivre :

 

- On a des empreintes.

- Des empreintes dans des toilettes publiques ? Je veux bien vous croire… vous avez sûrement aussi pas mal d’échantillons d’ADN, non ?

- Non, non ! Enfin l’ADN, oui, mais pour les empreintes, en fait, on a de la chance ! Un grand nettoyage a été fait avant la fermeture, du coup on n’en a que trois : notre mort, le type de l’entretien et… ben un suspect, sans doute !

 

Ça, c’était effectivement le genre de coup de bol qui te sauve une enquête insoluble plus sûrement qu’une armée complète de fins limiers. J’ai donc convoqué le suspect, qui est arrivé avec une bonne tête de coupable qui assume mal.

 

- Vous connaissez le parc ? Il vous arrive d’y aller ?

- N… Non…

- Ah. Et les toilettes près du plan d’eau ?

- Non… non plus…

- Bon. Une de vos mains a pu s’y promener, peut-être ?

- Hein ?!

- On a vos empreintes dans les toilettes.

 

Il s’est effondré directement et m’a tout déballé en pleurnichant : il avait rencontré notre type pour un minable petit deal d’herbe, ils s’étaient embrouillés sur le prix et, comme il entendait faire savoir qu’il ne se laisserait pas emmerder, il avait voulu lui foutre la trouille en faisant mine de le noyer dans les toilettes.

 

- Le noyer ? Dans des toilettes sèches ?

- Je savais pas, moi ! Franchement, c’est quoi ces conneries de chiottes sans eau dedans ?

- C’est écolo.

 

Il m’a regardée comme si je venais de dire la chose la plus stupide qu’il lui ait été donné d’entendre, avant de décider que ma remarque ne méritait pas qu’il s’y attarde.

 

- J’ai cru que l’eau était simplement un peu plus profond.

- Alors vous avez essayé de l’enfoncer dans les toilettes…

- Voilà. Sauf qu’il criait toujours et que je me rendais bien compte qu’y avait pas d’eau dans ce trou de merde !

- Et… ?

- Ben j’ai eu peur que quelqu’un finisse par l’entendre, alors j’ai voulu le sortir… mais il était coincé.

- Et finalement personne ne l’a entendu.

 

Il avait l’air abattu et presque sincèrement désolé. Il a secoué la tête et, avec un rire sans joie, m’a demandé :

 

- Vous savez le plus drôle ? Au début je voulais lui faire peur en faisant mine de le noyer dans le plan d’eau, mais je me suis souvenu que c’était un bassin écologique… alors j’ai pas voulu risquer de leur saloper leur flotte, aux écolos… Résultat c’est leurs chiottes à la con qu’ont tué ce pauvre type.

 

 

 

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus littéraires

 

 

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16 avril 2014 3 16 /04 /avril /2014 19:33

 

 

Il n’arrêtait pas de m’offrir du chocolat.

 

Je n’ai pas vu le mal tout de suite.

 

C’est vrai que mes copines, celles qui semblaient tellement épanouies dans leur couple, recevaient plutôt des fleurs ou des dessous affriolants, mais moi, c’était invariablement du chocolat. Selon l’occasion et la saison, ça allait de la simple tablette au Père Noël grandeur nature en passant par les lapins et autres ballotins, mais c’était toujours du chocolat. Ce que j’ai eu qui ressemblait le plus à un bouquet, c’était une belle rose en chocolat blanc, avec des feuilles en pâte d’amande et des épines en nougatine. Quant aux dessous… je préfère ne pas reparler de ce string léopard – chocolat blanc tacheté de chocolat noir et lait, très raffiné – que j’ai mangé moi-même, un soir, seule devant la télé.

 

C’est vrai qu’il a commencé à m’offrir tout ce chocolat à peu près à la période où j’ai eu le sentiment qu’il s’éloignait… mais comme avant, il ne m’offrait rien, j’ai d’abord pris ça pour une volonté de se montrer aimant et attentionné, malgré le léger malaise qui s’installait entre nous. Et puis c’est pas comme si j’avais pas été gourmande, hein ! C’est que je le mangeais, son chocolat, moi ! Et avec plaisir, encore… il savait choisir et il ne regardait pas à la dépense.

 

J’ai mis un peu de temps à me rendre compte que ses cadeaux gagnaient en fréquence, en poids et en originalité à mesure que le temps qu’il passait avec moi diminuait, mais le jour où il m’a annoncé qu’il devait annuler notre week-end à Venise juste après m’avoir offert une gondole en chocolat, j’ai su que notre couple battait de l’aile.

 

J’ai mangé la gondole pour me donner du courage et j’ai décidé d’en avoir le cœur net : je lui ai demandé s’il y avait un problème entre nous, si j’avais fait quelque chose de mal pour qu’il passe si peu de temps avec moi… Il m’a regardée avec une moue méprisante et pleine de dégoût avant de m’asséner :

 

- Un problème ? Mais tu t’es vue ? Je me demande comment c’est possible que t’aies pas encore explosé avec tout ce que tu t’empiffres !

 

Je l’avais toujours pris pour un gars sympa, mais modérément intelligent. Son plan était pourtant diabolique : me fournir de quoi me consoler de ses absences, tout en me faisant grossir pour justifier de m’avoir délaissée. D’une fourberie dont je ne l’aurais pas cru capable. Et ça avait marché. Du moins, pour ce qui était de me faire grossir…

 

On n’a plus reparlé de cette conversation. Il s’est contenté d’être encore moins présent, conforté sans doute par le fait que je n’aie rien eu à objecter concernant ma prise de poids. Il a même continué à m’offrir du chocolat. La seule chose qui a changé, c’est que j’ai cessé de le manger. Enfin, pour être exacte, j’ai cessé de tout manger. Je me suis constitué une réserve et, quand j’en ai eu assez, j’ai joué la carte du sexe – ça marche toujours – en lui proposant un massage coquin au chocolat. Je l’ai installé dans la baignoire et me suis assise sur lui. Autant dire que grâce à sa généreuse contribution, le rapport de force était largement à mon avantage. J’ai rempli petit à petit la baignoire de tout son chocolat que j’avais gardé et fondu pour l’occasion. Il a d’abord vraiment apprécié mes caresses, au point de s’assoupir sous mes doigts. Il était trop détendu, presque étourdi quand il a compris. Il n’était plus vraiment en état et, de toute façon, pas de taille à lutter quand j’ai maintenu sa tête sous le chocolat. Il s’est à peine débattu.

 

J’ai laissé le chocolat durcir avant de ressortir mon ex de la baignoire et c’est bien la première fois que je l’ai trouvé à croquer. D’ailleurs, j’ai repris encore un kilo avant de me débarrasser définitivement de lui, dans les poubelles du chocolatier qui avait conçu tout ce que j’avais mangé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus Littéraires.

 

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9 avril 2014 3 09 /04 /avril /2014 19:19

 

Le gamin n’était pas extrêmement populaire. Un peu perturbé par un environnement familial compliqué, il aurait eu besoin d’une attention particulière en classe, qu’une maîtresse ouvertement démissionnaire et dotée d’un poil de compétition dans la main n’était pas prête à lui accorder. Ni entouré, ni encadré, il avait le comportement type du gosse qui cherche à attirer l’attention par tous les moyens, le plus simple étant, à l’école, quand on n’est pas le premier de la classe, d’être le fauteur de trouble.

Ailleurs, il aurait peut-être pu n’être qu’un parmi d’autres. En revanche, dans une classe dont quatre-vingt pourcents de l’effectif vont à la messe le dimanche, au conservatoire le mercredi et ne restent ni à l’étude ni à la cantine parce que maman est à la maison pour s’occuper à temps plein des enfants, le pauvre gamin était considéré comme un pestiféré.

Quand ma fille est revenue à la maison avec une invitation pour la fête d’anniversaire de ce pauvre bonhomme, j’avais été surprise :

- Ah, tiens… vous êtes copains ?

- Ben… je suis un peu copine avec tout le monde.

- Mais tu joues avec lui ?

- Non.

- Et tu l’aimes bien ?

- Pas trop.

- Mais pourquoi il t’invite alors ?

- Oh, il a invité toute la classe !

En continuant de discuter, j’ai appris que plusieurs gamins n’avaient même pas voulu prendre son invitation, qu’une petite fille l’avait carrément déchirée devant lui et qu’une bonne partie des autres avaient directement dit que de toute façon ils ne viendraient pas.

Outre le fait que j’avais envie de pleurer, j’étais prête non seulement à envoyer ma fille à cette fête qu’elle le veuille ou non, mais en plus à offrir un poney.

Après moult tergiversations et malgré ses réticences à être sans doute la seule fille à un anniversaire de garçon où le peu d’invités qui seraient là n’étaient même pas ses copains, ma fille a finalement convenu qu’il serait gentil d’y aller et, à la place du poney, j’ai offert quelque chose d’un peu plus modeste, mais choisi avec soin et je n’avais pas mégoté sur le prix.

On est arrivées un peu en retard. On était les premières. C’est le gamin qui nous a ouvert, tiré à quatre épingles, nœud papillon, cheveux soigneusement peignés et les yeux brillants. Il a sauté au cou de ma fille avant de venir se blottir dans mes bras.

L’appartement sentait le vieux. On était chez le papa, qui lui-même vivait chez ses parents. La déco n’avait pas dû être changée depuis un bon demi-siècle et la dernière fois que les fenêtres avaient été ouvertes devait remonter à quelques semaines.

J’apercevais dans le salon deux vieux tellement vieux qu’ils ne devaient même plus être à même de se rendre compte que deux personnes inconnues se tenaient dans leur entrée. D’où j’étais, ils auraient pu aussi bien être morts. Ni leur teint ni leur apathie ne démentait cette hypothèse.

Le petit bonhomme était toujours dans mes bras quand je me suis rendu compte que les cris que j’entendais ne venaient pas de la rue. En y prêtant attention, j’ai reconnu la voix de la mère, hurlant sur son ex-mari que personne ne viendrait fêter l’anniversaire de son fils dans ce taudis et que c’était de sa faute si personne ne l’aimait à l’école. Entre deux noms d’oiseaux, j’entendais le père essayer d’assurer sa défense en rappelant que dans son taudis, lui, au moins, l’aimait et qu’on ne pouvait pas en dire autant d’elle qui brillait par son absence et n’avait pas même pensé à souhaiter l’anniversaire du petit.

Le petit en question se serrait de plus en plus fort contre moi, comme s’il avait espéré pouvoir disparaître. Hors de question que ma fille passe une seconde de plus dans cet endroit.

J’ai fait sortir les deux gosses, j’ai refermé la porte sur les cris des parents et l’inertie des moribonds, et je les ai emmenés à la foire. Ils ont fait des tas de manèges, gagné une peluche, mangé de la barbe à papa et des churros pleins de gras et de sucre et ils se sont endormis tous les deux dans le métro sur le chemin du retour.

Arrivés chez le gamin, les parents hurlaient toujours, mais cette fois pour savoir lequel était responsable de sa fugue. Le temps qu’ils comprennent que c’était plus exactement un enlèvement, le môme avait fait un aller-retour à la cuisine et en était revenu avec un grand couteau. Ses parents commençaient tout juste à s’en prendre à moi quand il s’est interposé, rouge de colère et menaçant :

- Vous dites merci à la dame de m’avoir offert un bel anniversaire et si j’entends un mot de plus je vous crève le cœur !

Les parents n’ont même pas cherché à discuter, tant la détermination de leur fils ne souffrait aucune objection. Ils ont vaguement bredouillé un merci, quelque peu interloqués. Le gamin m’a fait un nouveau câlin, mais plus affectueux que désespéré, cette fois, puis il a fait un bisou à ma fille et il est alléj embrasser les deux vieux, qui n’étaient pas morts, finalement : j’ai vu le premier tapoter la joue du petit et le deuxième lui passer la main dans les cheveux.

Il était temps que ma fille et moi prenions congé.

On avait bien fait de venir, finalement.

 

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus Littéraires.

 

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8 avril 2014 2 08 /04 /avril /2014 22:34

 

Suite de la suite de la suite de la… la première partie   est ici.   

 


En prétextant une envie irrépressible doublée d’une quasi-nécessité de bien comprendre son travail, mais surtout pour m’occuper tout en me rencardant sur lui, j’ai obtenu de Nicolas qu’il me laisse faire une de ses rondes avec lui. Pour une raison qui m’échappait un peu, mes deux collaborateurs semblaient beaucoup y tenir, à leurs rondes… Sans doute leur permettaient-elles de s’aérer tout en rencontrant du monde, peut-être même qu’ils en profitaient pour rouler un peu des mécaniques auprès des jeunes et jolies stagiaires du marketing. Quoi qu’il en soit, l’idée que je leur pique cette partie du boulot les paniquait et j’ai presque dû menacer Nicolas de renvoi pour qu’il finisse par accepter de me laisser l’accompagner.

En fouillant un peu dans sa vie, je n’avais rien trouvé de palpitant. Il était le plus jeune d’une relativement grande fratrie et aussi, apparemment, le moins brillant. Un de ses frères était médecin, l’autre chercheur et sa sœur était avocate. Peut-être n’était-il devenu vigile que pour faire chier son père, mais il était tout aussi probable qu’il n’ait pas réussi la carrière que ses parents rêvaient de le voir épouser. Sa façon de prendre Vincent toujours un peu de haut était peut-être une vague revanche…

-          Alors vous, votre ronde, c’est le bâtiment B ?

-          Les semaines paires.

-          Ah bon, vous alternez ?

-          Oui, pour éviter la routine.

J’ai failli rire avant de me dire qu’il ne plaisantait peut-être pas. Vu qu’il faisait déjà à moitié la tronche de m’avoir sur le dos, j’ai préféré éviter d’en rajouter.

-          Et vous faites tous les étages ?

-          Plus les sous-sols deux fois par jour.

-          Ah quand même…

Il m’a traînée derrière lui sur trois étages en ne répondant à mes questions que de façon évasive et sans ouvrir la bouche plus que nécessaire pour ne pas paraître incorrect. Il était temps que je le rassure :

-          Vous savez, je n’ai pas l’intention de me mettre à faire vos rondes à votre place, hein ? Ni même avec vous ! C’est juste… pour voir ce que vous faites.

-          Je fais ça depuis un moment maintenant. Je ne croyais pas avoir besoin de surveillance.

-          Ah mais je ne vous surveille pas non plus, non, je…

On arrivait au quatrième étage et, au lieu de prendre à droite en sortant de l’ascenseur, il est parti à gauche.

-          Ah tiens… vous ne faites pas comme pour les autres étages ?

Il s’est arrêté, m’a regardée avec ce que j’aurais juré être un sourire moqueur et m’a dit :

-          Où ai-je la tête ? Vous avez raison, par ici !

Il a ouvert la porte et, à peine avions-nous fait trois pas, dans le couloir qu’une petite bonne femme à visage de souris – ou de fouine, peut-être – nous est tombée dessus en criant d’une voix haut perchée :

-          Ah ! Vous voilà ! J’avais l’impression que vous ne veniez plus, ça fait longtemps que je ne vous avais pas vu, hein ?

J’ai tenté de placer un « bonjour », en vain. Nicolas considérait la petite bonne femme d’un air amusé. Elle a poursuivi :

-          Bon, y a eu cette histoire avec la photocopieuse, mais ça va, on a réglé ça sans vous, finalement c’était seulement Jeanine qui prenait des feuilles pour sa petite fille… par contre, cette fois, c’est sérieux, monsieur l’agent !

Je commençais à comprendre pourquoi Nicolas ne suivait pas le même itinéraire qu’aux autres étages. J’entrevoyais aussi une explication au fait qu’il m’ait finalement amenée ici. Il a confirmé :

-          Ah, ben écoutez, ça tombe bien, figurez-vous que ma chef est là, justement ! Dites-lui tout !

J’aurais aimé pouvoir le virer sur le champ. A défaut, j’ai tenté de lui faire ravaler son sourire d’un regard assassin, avant de reporter mon attention sur la petite bonne femme agitée.

-          C’est la femme de ménage ! Je lui trouvais bien l’air louche, mais là j’ai des preuves ! C’est une voleuse !

-          Ah oui ?

-          Mais oui ! Je pose tous les soirs, en partant, exprès, une pièce bien en évidence sur mon bureau pour qu’elle la vole, et ben ça n’a pas loupé ! Disparue, ma pièce !

-          Vous mettez une pièce pour que la femme de ménage la vole ?

-          Oui !

-          Et la femme de ménage a volé votre pièce ?

-          Oui !

-          Ben c’est ce que vous vouliez, non ?

-          Oui ! Mais non ! Enfin… vous voyez ! C’est une voleuse !

J’hésitais à déléguer officiellement l’affaire à Nicolas pour lui apprendre à se payer la tête de sa chef, mais j’avais aussi envie de m’amuser un peu…

-          Bien. Et donc, vous l’avez vue vous voler cette pièce ?

-          Pas exactement, non… mais vous savez bien comme elles font toutes, là, avec leurs chiffons…

-          La poussière, vous voulez dire ?

-          Ah ! À d’autres, hein ?

-          OK… Et vous pourriez me la décrire, cette femme de ménage ?

-          Oh lala… Ben c’est qu’elles se ressemblent toutes un peu, hein…

-          Oui, je vous comprends. J’ai le même problème avec les employées de bureau.

Nicolas a eu l’air de s’étouffer, avant de feindre une quinte de toux pour masquer son rire. La petite bonne femme énervante n’a pas semblé saisir ma pique. On allait pouvoir s’amuser encore un peu.

-          Bon… alors il faudra passer au bureau nous faire une déposition, hein, déjà…

-          Ah bon ?

-          Ah ben oui. Ensuite, on viendra faire un relevé d’empreintes. Et on prendra les vôtres et celles des collègues qui ont pu en laisser dans votre bureau… Après on fera une reconstitution et pour finir, une séance d’identification… ça vous embêterait de passer au commissariat, pour ça ? Parce qu’on n’a pas ce qu’il faut pour organiser ça ici…

-          Au commissariat ? C’est vraiment indispensable ?

-          C’est-à-dire que sans description plus précise…

-          Ben ça doit pas être si difficile de trouver cette femme de ménage, quand même !

-          Vous êtes sûr que c’est la femme de ménage ? Celle qui fait le ménage ici tous les soirs ?

-          Qui d’autre ?

-          C’est-à-dire qu’ici… c’est un homme qui fait le ménage.

Elle a eu l’air de vouloir dire quelque chose, mais s’en est finalement abstenue. À la place, elle a rosi et bafouillé :

-          Oui, bon… en même temps ce n’était qu’un euro, hein.

Et elle a disparu dans son bureau sans un mot de plus. Nicolas avait le visage fendu d’un large sourire :

-          Merde ! ça fait des mois qu’elle me rend dingue à chaque fois que je la croise et j’avais jamais pensé à la moucher !

-          Privilège de chef… vous, je vous virerais pour moins que ça.

-          Sans déconner ?

-          Mais bien sûr que je déconne ! C’est pas parce qu’on est à peine au-dessus de la femme de ménage dans l’estime de ce genre de mégère qu’il faut se laisser emmerder pour autant !

Ce petit épisode l’a détendu d’un coup et il avait l’air de beaucoup moins m’en vouloir pour la fin de sa ronde. A tel point qu’il est allé jusqu’à me proposer de faire le tour des sous-sols, alors que normalement, il n’aurait dû le faire qu’en fin de journée. Mais j’avais assez ri pour cette fois et je l’ai laissé aller vaquer à ses occupations pendant que je m’en retournais aux miennes. C’est-à-dire que j’ai regagné mon bureau pour écouter discrètement ce qui se disait dans la cour.

 

 

A suivre…

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6 avril 2014 7 06 /04 /avril /2014 20:40
  
Suite de la suite de la suite du début… etc.    1ère partie, ici.   


 
Malgré l’inutilité évidente de mon travail, je persistais à le faire avec sérieux. Les embauches étaient à peu près inexistantes en ce moment, alors je me contentais d’espionner les employés déjà en poste, pour la plupart déjà passés par une enquête minutieuse de mon prédécesseur, mais il fallait bien que je justifie mon faramineux salaire. Sans compter que l’ennui tue plus sûrement qu’une balle en plein cœur à bout touchant. Bon : peut-être pas à ce point, mais c’est dur à vivre quand même. Alors j’ai enquêté sur mes collaborateurs.
Je me suis intéressée en premier lieu à Vincent. Sous ses airs d’ours mal léché, j’ai découvert un personnage moins binaire que j’aurais cru. Issu d’un milieu modeste et apparemment assez gratiné, il s’était pour ainsi dire fait tout seul après avoir réussi à s’extraire du cocon familial qui, du cocon, n’avait en fait que l’étroitesse. Bosseur, scrupuleux et reconnaissant : bien qu’il ait obtenu son poste « à la régulière » – il avait exactement le CV qu’il fallait et une expérience plus probante que la plupart des candidats qu’il avait surclassés – il vouait un culte sans réserve au mormon – Moriot, le grand patron – pour l’avoir embauché.
- Ce n’est pas Doudou qui vous a recruté ?
- Lui ? Non… Non, moi ça fait longtemps que je suis là ! Bien plus longtemps que ce… que lui. Dans un sens, c’est même presque plutôt moi qui l’ai recruté.
- Comment ça ?
- Ben… c’est pas pour me donner de l’importance, hein, mais monsieur Moriot m’avait demandé mon avis avant de l’embaucher.
- Ah oui ?
Je n’étais pas vraiment étonnée. Vincent avait été le premier responsable de sécurité de cette boîte, quand Moriot avait décidé d’internaliser le service plutôt que de sous-traiter à une société extérieure. Je savais aussi qu’en toute logique il aurait dû pouvoir prétendre au poste de Doudou – à mon poste – quand le service s’était étoffé. Mais il était resté sous-fifre malgré l’estime que lui portait Moriot.
- Oui… enfin… disons que j’étais là le premier, alors le patron a souhaité que je juge le candidat en connaissance du boulot, voyez ?
- Il vous a demandé pour moi aussi ?
- Bof. Oui, mais… pas vraiment en fait. Il a demandé pour la forme. Il vous voulait à cause de votre expérience à la police de toute façon.
- Vous lui avez dit quoi ?
- Que c’était son argent.
- Non mais… votre avis, c’était quoi ?
- Que c’est pas un boulot pour une dame bardée de diplômes. Mais c’était avant de vous connaître.
- Et maintenant ?
- Vous êtes pas si féminine que je craignais.
Je ne sais pas si c’était supposé être un compliment ou s’il fallait au contraire m’offusquer, mais j’ai choisi de laisser couler parce que je voulais qu’il me parle de lui.
- Bien, mais vous… vous n’avez pas postulé pour ce poste ?
- Le vôtre ?
- Oui. Dès l’époque de Doudou, vous auriez pu le demander, non ?
- Ah non…
- Pourquoi ?
- D’abord, je suis content de mon travail. J’aime faire ce que je fais. Ensuite… je pense que c’est important de savoir rester à sa place. Avoir des ambitions à sa mesure, vous voyez ? Savoir ce qu’on veut, aussi. Votre boulot, franchement, j’en voudrais pas ! Espionner les gens comme vous faites, pour rien la plupart du temps, et puis bricoler des fichiers et des plannings qu’on n’utilise même pas… Moi je préfère mes rondes, hein !
Voilà de quoi me réconcilier avec mon nouveau travail. Sympa le Vincent. J’hésitais à le laisser poursuivre, mais il ne m’a pas laissé le temps de l’interrompre :
- Et de toute façon, je pense que je saurais pas le faire. Avoir des gens sous mes ordres… même que des gens comme moi, ça me stresserait. J’aurais peur de les énerver, de les braquer, de pas savoir les prendre… non : je préfère rester où je suis. Un boulot qui me plaît, que je fais bien et qui m’empêche pas de dormir.
- Vous n’auriez pas voulu essayer ? Le mormon vous aurait sans doute fait confiance, si vous aviez voulu…
- Oui, il me l’a même proposé, ce poste. Les deux fois. Il m’aime bien, je sais pas pourquoi, monsieur Moriot.
- Vous ne l’appelez pas le mormon ?
- Non… je trouve que c’est pas un bon surnom. Moi j’aurais choisi le morpion, plutôt. Parce qu’il s’épanouit au chaud dans les poils de chatte.
J’ai éclaté de rire, mais mon rire a semblé lui rappeler à qui il venait de parler et il est devenu tout rouge.
- Ne vous inquiétez pas, Vincent, ça reste entre nous !
Je riais encore, du coup il s’est détendu un peu avant de me répondre :
- J’espère. Sinon je serais obligé de vous tuer.
Il a dit ça très sérieusement, mais j’ai supposé qu’il plaisantait. Une fois que j’ai retrouvé mon calme, je lui ai demandé s’il avait soumis l’idée à Nicolas.
- Oh non… Non. Quand il est arrivé avec son « mormon », il était très content de lui, j’ai pas voulu discuter. De toute façon… c’est que des petites blagues. Doudou, il jouait pas à ça. Ça lui plaisait pas. Enfin c’est ce qu’il disait. Je crois surtout que c’était pour pas trop déconner avec nous. Il était au-dessus de ça, vous voyez ?
- Vous ne l’aimiez vraiment pas, hein ?
- Ah çà !
- Vous aviez aussi donné un avis défavorable, sur lui, à Moriot ?
- Non. Non non… et j’ai eu raison : il faisait très bien le boulot. C’est juste que c’était un con, mais ça… Et dans le fond, il était plus bête que méchant.
 
*
 
- C’est quoi un morpion ?
- Ah ma chérie, t’es là ?
Franck et Jeanne étaient venus dîner et je leur racontais mes pitoyables anecdotes de bureau… J’avais presque honte de n’avoir tellement rien à en dire, de ce job, que j’en étais déjà à parler de ces conneries de surnoms, mais j’essayais de le faire au moins avec un brin d’enthousiasme. Je ne pensais pas être vraiment crédible, mais je me disais que si je me donnais la peine de faire semblant, ils n’auraient pas le cœur à ruiner mes efforts en se montrant compatissants.
- Dis donc Lila, il est temps d’aller te coucher, non ?
- Oui, mais c’est quoi un morpion ?
- C’est un genre de pou.
- Ah ! C’est pour ça que Ninon, les garçons l’appellent Ninon-morpion ! A cause de ses poux !
- Ah ben sympa, dis donc, les garçons ! Sauf que les poux qu’on a dans les cheveux, c’est pas des morpions. Les morpions, ils sont dans les poils.
Franck a levé la main en demandant s’il était possible de poursuivre cette délicieuse conversation après le dessert et, l’irruption de Lila ayant permis d’interrompre cette discussion sans intérêt autour de mon boulot, j’en ai profité pour aller la coucher avant de poursuivre la soirée avec Jeanne et Franck, en espérant qu’on pourrait enfin cesser de parler de moi et de ma fameuse, formidable nouvelle vie. J’ai mis toutes les chances de mon côté en demandant à Franck de nous parler plutôt de son boulot à lui.
- Maintenant que Lila est couchée ? Alors que c’est la seule à me prendre encore pour un genre de super-héros ?
- Allez Dubuze, te fais pas prier !
Jeanne a rigolé :
- T’as remarqué, Marie ? Tu l’appelles presque plus jamais Dubuze, sauf quand tu parles de son travail.
- C’est vrai… ça me manque, Hyckz !
-  Et ben raconte-moi sur quoi tu es en ce moment et je te promets de t’appeler Dubuze jusqu’au bout de la nuit !
Il a souri, l’air d’un seul coup un peu triste.
- Je ne peux pas, Marie. Tu sais bien que je ne peux pas parler de…
- Oh, allez quoi ! C’est moi, Franck ! Et puis je ne te demande pas de dévoiler des secrets d’instruction… raconte-moi juste… je ne sais pas. N’importe quoi.
- Tellier a cassé ta machine à café.
- Allez, Dubuze ! Te fais pas prier ! Vous êtes sur quoi en ce moment ?
- On recherche un type… un réparateur de cafetière.
- Oh t’es pas sympa, là ! Dis-moi… je ne sais pas, moi. C’était quoi ta dernière enquête ? Une enquête résolue, tu peux en parler !
- Bah, rien de spécial… une pute éventrée dans une ruelle des puces de Clignancourt.
Le visage de Jeanne s’est imperceptiblement assombri. Je ne savais pas si c’était d’entendre Franck parler de la mort d’une prostituée comme d’une affaire sans intérêt, ou si c’était seulement de l’entendre parler de son travail. Même si je ne doutais pas de leur amour, je n’étais pas totalement convaincue que leur union résisterait bien aux conflits inhérents à leurs vies et à leurs histoires respectives… Lui le flic un peu brusque et taiseux, elle la fille de rien revenue de tout, mais toujours en équilibre fragile aux frontières de l’autodestruction. Et puis c’était viscéral autant qu’historique : elle n’aimait pas les flics. Moi, elle m’aimait avant que je le devienne et elle considérait que les raisons qui m’avaient poussée à faire ce métier étaient les mêmes que celles qui l’avaient conduite, elle, sur le trottoir, alors j’étais excusée. Quant à Dubuze… Franck est ce genre de types auxquels les femmes sont prêtes à trouver des excuses quoi qu’ils fassent. Un physique de fantasme sexuel universel, une gueule d’ange suffisamment abîmée pour avoir ce côté ange déchu auquel nulle ne résiste, des allures de brute épaisse que démentent un cœur d’or et le sourire le plus doux du monde… Bref : Franck, c’est Franck, mais Jeanne se rembrunit quand même toujours un peu quand le flic prend le dessus. Du coup je n’ai pas trop insisté et on a parlé de tout et de rien, mais surtout plus de boulot.
 
A suivre…      Ici    
 
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5 avril 2014 6 05 /04 /avril /2014 18:30

 

Suite de la suite du début de la fin blablabla…   1ère partie ici.  

 


- Maman ! Tu rentres déjà ?

Deux mois déjà que j’avais commencé ce nouveau boulot, et Lila semblait toujours aussi surprise de me voir rentrer de bonne heure le soir.

- Ça t’embête que j’arrive si tôt ?

- Mais non ! J’ai pas encore l’habitude, c’est tout.

- T’as passé une bonne journée ma chérie ?

- Oui… on n’a pas trop travaillé aujourd’hui. Et toi ?

- Pareil ! Pourquoi t’as pas trop travaillé ?

- Ben le matin on avait dessin et puis cet après-midi on a fait chorale avec les autres classes, du coup on n’a pas eu trop de temps pour travailler.

- Cool.

- Et toi, pourquoi t’as pas trop travaillé ?

- Oh ben… en fait, mon nouveau travail, c’est beaucoup de… euh… enfin par rapport à avant c’est pas pareil, tu vois ? Il y a des jours où je suis moins… enfin… C’est moins fatigant, quoi.

J’avais eu beaucoup de mal à expliquer à ma fille en quoi consistait exactement le boulot. Pour une large part parce que moi-même, je ne comprenais pas bien l’utilité réelle de ma fonction. Pour tout dire, j’avais très vite commencé à m’ennuyer sérieusement et je n’éprouvais aucune fierté et aucun plaisir à raconter mes journées à ma fille. Avant, quand je lui parlais de mes journées de flic, même si j’enjolivais toujours un peu et si j’omettais les détails les moins glamours, je voyais bien qu’elle était fière de sa maman qui mettait des méchants en prison ! Elle savait quoi dire quand on lui demandait ce que faisait sa mère et elle était contente de frimer un peu devant ses camarades de classe… Maintenant, je la sentais déçue et franchement, ça me minait plus encore que l’ennui au bureau.

C’était en partie pour elle que j’avais quitté la police et pris ce poste, pour être une maman moins… dangereuse, déjà, et plus présente, surtout, mais j’avais l’impression que ma présence lui importait beaucoup moins maintenant qu’elle était régulière. Je ne me sentais plus « spéciale » dans son regard, peut-être parce que je ne l’étais plus non plus dans le mien ? A moins simplement qu’elle n’ait été une préadolescente un brin précoce et prématurément en opposition avec sa mère, mais cette idée-là n’était guère plus réconfortante.

- Bon, ma chérie : qu’est-ce que tu veux manger ce soir ?

- Des nouilles ?

- Pas tous les soirs… Tu as mangé quoi à midi ?

- Des nouilles.

- C’est vrai ?

- Oui, mais y avait de la sauce pas bonne, alors ça compte pas !

- Ah ben si, quand même. Légumes, ce soir.

- Tu as fait les courses ?

Voilà. L’autre habitude à prendre, mais j’avais beaucoup de mal… Tant que j’avais des horaires farfelus, Lila dînait très souvent avec la voisine qui lui faisait des bons petits plats et quand j’étais là, c’était toujours la bonne excuse pour manger n’importe quoi, parce que c’était suffisamment rare pour qu’on ne se soucie pas de manger équilibré… Maintenant, c’était à moi de remplir le frigo pour tous les soirs et j’avais encore du mal à organiser correctement cette partie de mon quotidien. J’avais toujours eu une aversion certaine pour tout ce qui touchait de près ou de loin à une tâche ménagère, mais plus d’excuse désormais pour ne pas assurer. Lila le savait et je la soupçonnais de savoir en jouer pour me faire culpabiliser.

- Il doit rester une boîte de haricots verts, non ?

J’étais à peu près sûre que non, ou alors oubliée depuis tellement longtemps qu’elle serait sans doute périmée, mais je préférais me donner l’air d’avoir commis une petite erreur dans la gestion des stocks, plutôt que d’assumer l’oubli pur et simple de mes obligations parentales.

- Mais sinon c’est pas grave, je vais redescendre rapidement faire une petite course.

A ces mots, le visage de ma Lila a pris instantanément cette expression d’infinie tristesse parfaitement simulée qu’elle utilisait depuis son tout premier chantage, qui ne trompait personne, mais qui lui garantissait toutefois quelques résultats. Avec moi du moins. Ses grands yeux faussement malheureux plongés dans les miens, la lèvre boudeuse et le menton tremblant, elle s’est blottie dans mes bras avant de lâcher, comme dans un dernier souffle :

- Tu peux pas rentrer de bonne heure comme ça et repartir tout de suite en m’abandonnant… j’étais trop contente que tu sois là !

On a mangé des nouilles.

 

*

 

Très vite, j’ai réalisé que mon nouveau boulot était une caricature de la vie de bureau. La partie très concrète et quotidienne du travail d’une équipe de sécurité dans un immeuble de bureaux, c’était Vincent et Nicolas qui s’en chargeaient. Moi, en tant que responsable, très honnêtement, je n’en foutais pas une. Au début, j’avais voulu qu’on se répartisse ces tâches relativement ingrates pour en prendre ma part, mais ils n’avaient pas semblé apprécier l’initiative et je n’avais pas insisté. Je me contente de les remplacer quand ils sont absents et j’ai gardé pour moi la partie supposément plus gratifiante du boulot : j’encadre, je supervise, j’organise… En d’autres termes, j’ai changé les couleurs du planning, j’ai créé un fichier informatique où enregistrer les incidents (mais ils continuent tous les deux à les consigner d’abord par écrit dans le vieux cahier hérité de Doudou) et j’ai instauré le point hebdomadaire du vendredi, réunion sans intérêt au cours de laquelle on se redit tout ce qu’on s’est déjà dit dans la semaine et ce qu’on a pu ajouter ou modifier dans le planning ou dans le FI. Fichier des incidents. C’était mieux que VC pour « vieux cahier » ou CD pour « cahier de Doudou ».

Heureusement, il y avait la face cachée du boulot, le fameux espionnage de toute personne passant devant les vitres de mon bocal, si l’envie me prenait de fouiller dans sa vie… Mais je me suis vite aperçue que malgré la sensibilité d’un certain nombre de dossiers traités par la boîte, un soin réel apporté à l’embauche ou dans le choix des clients garantissait peu ou prou une vraie tranquillité d’esprit par la suite. Ça ne m’a pas empêchée de fouiner – bon sang, il faut bien que je m’occupe ! – mais creuser pour ne jamais rien trouver, ce n’est que modérément stimulant.

En premier lieu, je me suis intéressée aux services annexes : les services sans rapport avec l’activité de la boîte : il y avait le personnel du ménage, la cantine et nous, la sécurité. Ces services sont souvent sous-traités à des sociétés prestataires, mais le patron considérait qu’il était plus sûr de procéder lui-même au recrutement de chaque cuistot et de chaque femme de ménage. Je le soupçonnais d’être au moins un tout petit peu paranoïaque, mais puisque c’est cette même paranoïa qui me valait d’avoir rapidement trouvé un boulot bien payé, je n’allais sûrement pas lui suggérer une thérapie et je suis donc allée voir du côté des cuisines comment ça se passait. Outre les cuisiniers, il y avait du personnel qui assurait le service, la caisse et la plonge, sous la houlette d’un responsable qui veillait également à la bonne gestion des stocks et à l’élaboration des menus, en collaboration avec une diététicienne.

Pour une raison sans doute assez peu glorieuse de type « moins c’est convivial, moins on y passe de temps, la cantine occupait un niveau en sous-sol, encore plus bas que les parkings. La plupart des employés qui y travaillaient – ceux qui venaient en voiture du moins – étaient les seuls de la boîte qui n’avaient pas à passer devant mes fenêtres pour rejoindre leur lieu de travail. Je n’avais donc pas une idée bien précises de leurs horaires de travail, mais j’ai supposé qu’en y allant en milieu de matinée j’y trouverais du monde. Je me suis équipée de la carte magnétique qui m’ouvrait toutes les portes, mon talkie-walkie (ce truc grésillait et me faisait sursauter à chaque fois qu’il émettait un son, mais mes petits collègues et moi-même devions rester en contact permanent… sécurité oblige) et je suis descendue au troisième sous-sol. C’était encore un parking, donc je suis redescendue d’un niveau et j’ai découvert les fameuses cuisines.

- Oh pardon !

Un jeune type en blouse, les bras chargés de ramequins, avait failli me percuter à l’instant où j’étais sortie de l’ascenseur.

- Vous cherchez quelqu’un Madame ? Je peux vous aider ?

- Non. Non, merci. Je visite.

- Ah, bien. Bonne visite alors !

Il est reparti avec ses ramequins. J’ai fureté un peu partout, pas une porte n’a résisté à mon passe-partout magnétique, et l’ensemble m’a donné une impression de grande normalité, même si je ne suis pas spécialiste de la restauration d’entreprise. J’ai également rencontré le responsable de ce royaume d’en-dessous.

- Vous êtes qui exactement ? Je n’ai pas bien compris.

- Marie Hyckz. Je travaille à la sécurité. Vous pouvez m’appeler Big Brother.

- Ha ha ! Appelez-moi Sweeney Todd alors !

- Vous leur faites manger des cadavres ?

- Je suis sûr qu’ils sont nombreux à le penser, mais… non. Seulement je ne voyais pas d’autres exemples pour concurrencer Big Brother. Cela dit, à croire ce que disent les gens, on leur fait parfois manger des tas de trucs dingues, quand même !

- Comme ?

- Euh… enfin… Pas si dingues que ça, j’en ai peur. Mais il existe un principe tacite qui veut que quoi qu’il advienne, ce qu’on mange à la cantine ne peut en aucun cas être bon. Et ça commence dès la maternelle… Les frites de maman, même si elles sortent du même sachet surgelé que celles de la cantine, sont toujours meilleures. Avec les adultes, ce sont les frites du restaurant d’à côté qui sont meilleures que les miennes.

- Elles sont sans doute aussi plus chères.

- A peu près trois fois, oui. C’est sans doute ce qui leur donne ce petit truc en plus.

Mon chef cuistot m’a baladée dans ses cuisines et la salle du restaurant en m’expliquant des tonnes de choses auxquelles je n’ai prêté qu’une attention distraite, mais il était charmant et assez drôle alors je l’ai écouté avec plaisir. Sa compagnie était agréable et je n’étais pas à proprement parlé débordée par ailleurs. Il y avait ici plus que largement de quoi commettre des tas de meurtres odieux – ustensiles tranchants de toutes les tailles, bains d’huile, plaques de cuisson assez grandes pour y cuire un homme allongé, sans parler des possibilités d’empoisonnement – mais pas de raison de penser qu’un complot visant à escroquer l’assureur des grands de ce monde et leurs lubies pourrait prendre naissance ici. J’ai fini par retourner tout de même à mon bocal, après m’être accidentellement enfermée dans un grand frigo et avoir ressenti aussitôt l’appel du grand air et des relativement grands espaces de mon bureau avec vue sur cour.

 

*

 

- Mais t’es trop grosse pour tenir tout entière dans un frigo !

- Dis donc !

- Ben c’est vrai !

- C’était pas un vrai frigo… Enfin, si, mais pas un comme nous. C’était… comme une petite pièce où on peut entrer, avec des étagères tout autour.

- Et y avait des morts sur les étagères ?

Ma petite fille chérie et ses jolies idées…

- Non… non. Seulement des… des trucs.

- Des yaourts ? De la limonade ?

- Je sais pas, moi, il faisait noir !

- Mais pourquoi t’es allée dans le frigo ?

- Ben pour mon travail, pour… enfin…

- Oh lala, j’y comprends rien du tout à ton nouveau travail ! T’aurais dû garder l’autre… Ou faire cuisinière de crêpes.

J’aurais mieux fait de lui dire que j’y étais simplement allée par curiosité, dans ce fichu frigo ! J’avais désormais un mal fou à capter l’attention de ma Lila plus de cinq minutes avec mes anecdotes de boulot, alors qu’avec mes histoires de police je pouvais la captiver des heures… Mais peut-être aussi qu’elle grandissait, simplement, et que je lui apparaissais naturellement de moins en moins comme un être d’exception… Ça ne m’aidait pas à aimer ma nouvelle vie.

- Tiens, bonne idée : si on faisait des crêpes ?

- OUAIS ! Et après on ira les vendre dans la rue ?

- Quoi ?

- Ben oui : si tu veux gagner des sous, faut les vendre, hein !

- Mais je ne veux pas… Lila : je te propose de faire des crêpes pour nous. Juste pour nous. J’ai pas l’intention de changer de travail… surtout pour faire des crêpes !

- Mais il est nul ton travail, tu t’amuses pas ! C’est pas comme coiffeuse… tout le monde aime jouer à la coiffeuse.

- Ah, tu veux toujours être coiffeuse ?

- Ah non ! Non, je veux être actrice de comédie musicale.

Bon. Ni flic ni le nouveau boulot pas marrant de maman. C’était plutôt une bonne chose.

- Ah c’est chouette, ça, comme métier… mais en attendant, tu veux même pas savoir comment je suis sortie du frigo ?

- Quelqu’un t’a ouvert la porte ?

- Euh… oui.

- Bon, je vais jouer : tu m’appelles quand on mange ?

 

A suivre…

 

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4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 18:20
  
Suite du début de la fin de…  1ère partie, ici .
 

 Le poste ne justifiait très clairement pas du tout ni l’embauche d’un ancien flic – commissaire ou autre – ni un salaire si généreux, mais je ne voyais aucune raison de m’en plaindre. En termes de communication, notamment vis-à-vis des clients, le simple fait de pouvoir dire que la sécurité des bureaux avait été confiée à un commissaire de police suffisait à donner de l’importance et de la crédibilité à ce qui s’y faisait. Bien sûr, le client lambda, contraint de souscrire une assurance à un prix scandaleux pour pouvoir emprunter à un taux tout aussi scandaleux de quoi payer son appartement ou, pire, sa voiture ou sa machine à laver, se moque royalement de savoir que l’assureur qu’il engraisse dispose d’un service de sécurité en béton. En revanche, la boîte avait ce qu’elle appelait des « clients privilégiés » – comprendre riches et souvent frapadingues – pour qui elle concoctait des assurances sur mesure toutes plus farfelues les unes que autres : ça allait des lèvres d’une actrice au chien d’une riche héritière en passant par le pied gauche d’un footballeur et, apparemment, ça rapportait d’autant plus d’argent que le client savait ses petits secrets bien gardés.
Le patron était issu d’un milieu pour le moins privilégié et n’avait jamais travaillé qu’avec un seul objectif : y rester. L’orientation et la spécialisation de sa société dans ces assurances « particulières » était son idée et sa clientèle de départ était constituée d’amis et relations de ses parents, qui l’avaient recommandé à leurs amis et ainsi de suite, jusqu’à lui assurer un fonds de commerce suffisamment confortable pour presque pouvoir se passer de la clientèle ordinaire. Presque, parce que le riche excentrique est également souvent versatile, tandis que le pauvre, moins bon payeur mais plus nombreux, est aussi bien plus stable et reste une valeur sûre à long terme.
Les personnalités, mais aussi certaines entreprises clientes étaient diverses et variées et en nombre suffisamment conséquent pour que Jobert ait fini par m’avouer que s’il trafiquait quoi que ce soit d’un peu louche, il avait largement les moyens de le noyer dans la masse de ses contrats et du fric qu’il brassait désormais. Mais s’il y avait un loup, il était suffisamment bien caché pour qu’en cas d’embrouilles je puisse en toute honnêteté clamer que je ne savais pas ! J’ai donc pris le job, le fric, les congés et tout ce qui allait contribuer à rendre ma vie plus confortable. Le patron, je l’ai surtout vu le premier jour. Il m’a expliqué ce qu’il attendait de moi, au-delà du contrôle des allées et venues des employés et de l’établissement des badges « visiteur ». En gros, il voulait que je sois ses yeux et ses oreilles partout, que je sache tout sur le moindre péquin qui avait un rapport, de près ou de loin, avec lui et sa société et que je prévienne ainsi toute malversation susceptible d’être entreprise au sein de son royaume. Il voulait aussi que je l’appelle Jean-Pierre, mais au moindre début de familiarité avec ce type, je me mettais à l’imaginer à poil, avec Jeanne en train de lui susurrer des « Jean-Pierre » au creux de l’oreille parce qu’il payait pour ça et… non : je préférais définitivement en rester à un « monsieur Moriot » poli et distant.
- Marie – je peux vous appeler Marie ?
- Euh… oui, si vous voulez.
J’avais envie de lui dire qu’au prix où il me payait, il pouvait bien m’appeler comme il voulait, mais c’était sûrement un truc qu’avait déjà dû lui dire Jeanne, alors je préférais ne pas risquer de créer de confusion.
- Vous pouvez m’appeler Jean-Pierre.
Non. Non, non, non et non !
- La plupart des employés n’ont pas accès aux données les plus sensibles. Seule l’équipe dédiée aux clients privilégiés est supposée avoir accès aux fichiers concernant nos clients les plus selects. Néanmoins… il peut arriver à tout le monde ici de croiser un client spécial et on n’est jamais à l’abri d’une oreille indiscrète à la cantine ou que sais-je encore. Non seulement on ne peut pas se permettre de fuites vers la presse, mais en plus la tentation de balancer des informations à la concurrence pourrait nous être extrêmement dommageable. Et ça pourrait être le fait de n’importe qui, pas uniquement les cadres ou les pontes. Le moindre grouillot du plus obscur service peut tout à fait être une taupe de la concurrence. Alors quoi que ce soit que vous jugerez nécessaire pour aller au bout de vos investigations sur n’importe qui que vous trouverez louche, faites-le. La sécurité, pour la plupart de mes clients, c’est presque le plus important.
- Vous me donnez les pleins pouvoirs pour espionner qui je veux ?
- En quelque sorte. Mais je nierai catégoriquement avoir formulé la chose de cette façon.
Tu m’étonnes !
- Sinon, à l’occasion, je vous demanderai de vous renseigner sur un client, mais pour l’essentiel et pour la partie visible, votre boulot consistera à vous montrer un peu partout, que chacun ait conscience de votre présence.
- Présence menaçante ou…
- Ou rassurante ! A chacun selon ce qu’il aura à se reprocher, hein ? Pour les tâches quotidiennes les moins… rigolotes, vos deux collaborateurs seront tout à fait à même de tout vous expliquer. Des questions ?
- Probablement des tas, mais pas dans l’immédiat… Je dois vous faire… je ne sais pas : un rapport, ou quelque chose comme ça, régulièrement ?
- Non ! Surtout pas ! Déjà, je ne veux rien savoir de qui couche avec qui et qui a ses petits arrangements avec les horaires pour pouvoir aller au sport ou chercher ses gosses. Je veux que vous ne veniez me voir qu’en cas de doute sérieux, voire de preuve de… faute, qui touche directement aux activités de la société. Si un comptable fournit tout le service financier en cannabis de son jardin, je ne suis pas sûr que ça m’intéresse vraiment, vous voyez ?
- Je vois, oui. En somme, je fais ce que je veux et personne ne vérifie ?
Il a eu l’air de réfléchir un peu, assez pour que j’aie le temps de me dire que j’aurais peut-être mieux fait de me taire. Mais il a finalement répondu :
- C’est ça. Mais s’il arrive quoi que ce soit que vous auriez pu éviter en faisant correctement votre boulot, vous êtes virée. Et pour peu que vos manquements me fassent perdre gros, je vous poursuis en justice pour négligence et je vous saigne jusqu’à ce que plus le moindre sou que pourrez gagner de toute votre vie ne finisse ailleurs que dans ma poche. Ça vous semble correct ?
Il avait dit ça avec un sourire qui pouvait laisser croire qu’il plaisantait, mais quelque chose dans son regard assurait le contraire. Il avait exactement la même expression que ce type qu’on était allés arrêter, Dubuze et moi… Un mec suspecté de meurtre et, dès qu’il nous a vus, il a choppé sa copine et lui a collé un couteau sur le cou en hurlant qu’il lui trancherait la gorge si on faisait un pas. En disant ça, il avait eu un sourire du même genre que celui que mon nouveau patron venait d’avoir. J’avais cru un instant aussi qu’il bluffait, j’avais fait un pas, et il avait commencé à entailler sa copine… Du coup je prenais la menace au sérieux. Avec l’assassin, j’avais Dubuze en soutien et ça s’était bien fini – même pour la copine, à peine une petite cicatrice – mais là j’étais seule et peu disposée à vérifier comment ce grand patron d’une boîte pleine de fric pourrait me mettre sur la paille.
- Correct, oui.
Je n’ai rien ajouté parce qu’un boss qui se donne des airs de caïd n’a pas envie d’entendre que ça ne sert à rien, mais de toute façon j’ai tout un tas de principes à la con dans la vie et, entre autres, quand on me paie pour un boulot, je le fais. Les menaces sont parfaitement superflues.
 
*
 
Après ce bref mais fort sympathique entretien, il m’a conduite à mon bureau au rez-de-chaussée et présentée ma petite équipe et, depuis, je ne l’ai pour ainsi dire plus revu. Contrairement aux supputations de Jobert, on était loin du bureau luxueux à moquette épaisse, mais au moins c’était grand et lumineux. Trois des quatre murs étaient en fait des miroirs sans tain, qui nous permettaient de voir sans être vus. On donnait sur la cour intérieure du bâtiment où les fumeurs fumaient et où tout le monde passait et venait siroter son café. Entre les trois cents et quelques employés, les quelques dizaines de prestataires extérieurs, le personnel du ménage et de la maintenance et les visiteurs, il y avait à peu près toujours quelqu’un dans cette cour en train de discuter. Et l’acoustique était telle qu’il suffisait d’entrouvrir la porte pour entendre tout ce qui s’y disait : un parfait poste d’observation. Ou d’espionnage, selon. Dont peu de gens avaient connaissance : le bureau avait un genre d’antichambre où on recevait les éventuels « visiteurs », mais à part le patron, mes deux collaborateurs, le monsieur du ménage et, maintenant, moi, personne ne savait qu’on avait cet autre vrai bureau derrière, d’où on pouvait tout voir et tout entendre.
- C’est pas un peu… limite, quand même ?
Vincent – Nom-de-famille-imprononçable – m’a adressé un regard interrogateur.
- Oui, cette façon de pouvoir épier tous les employés à leur insu…
- Ah… ben s’ils le savaient, ils ne diraient plus rien d’intéressant.
Imparable.
- Il s’en dit souvent, des choses intéressantes ?
- Bof… je ne sais pas trop. Moi je fais souvent des rondes, et puis j’accompagne les gens de l’extérieur et je m’occupe aussi de tout ce qui est alarme et tout ça, du coup je ne suis pas trop souvent ici… C’est plutôt Doudou l’espion. Pardon, je veux dire… C’était plutôt votre prédécesseur qui passait du temps ici et qui aurait pu vous dire.
- Doudou ?
- Oui, enfin… Monsieur Douris.
- Et vous l’appeliez Doudou.
- Oui. Non ! Je veux dire… pas devant lui. C’était pas franchement le gars… jovial, voyez ?
- En tout cas, je suis désolée.
- De quoi ?
- Qu’il soit mort. J’imagine que ça fiche un coup, ça n’a pas dû être facile.
Il a jeté un coup d’œil par-dessus son épaule avant de me répondre :
- Pour tout dire, entre nous… je sais bien que ça se fait pas de dire du mal des morts, mais c’était qu’un sale con.
Je n’ai pas pu m’empêcher de rigoler, ce qui m’a valu un regard d’abord surpris, puis un brin amusé de mon nouveau collaborateur. De prime abord, il avait l’air d’un vieux garçon bourru et asocial, mais ce timide sourire, bien qu’il l’ait vite ravalé, n’interdisait pas tout espoir. J’ai donc poursuivi la conversation sur le seul sujet qui me paraissait exploitable pour le moment :
- Et il est mort comment, exactement ?
- Bof.
J’ai cru qu’il allait poursuivre, amis apparemment non.
- Il a fait une mauvaise chute, c’est ça ?
On s’est aperçu ensemble à ce moment-là que Nicolas, mon autre collaborateur, venait d’entrer. C’est lui qui a répondu :
- C’est ce qui se dit.
- Vous n’êtes pas convaincu ?
- Je n’étais pas avec lui. Et je sais que ça arrive à tout le monde. Mais Doudou avait trente-deux ans, une condition physique parfaite et c’était tout sauf un casse-cou, alors je vois mal pourquoi il serait allé se mettre en situation de pouvoir s’écraser au bas de l’échelle de secours comme une merde. Si vous me permettez.
- Je vous permets… Vous ne pensez pas que c’était un accident ?
- Je pense que ça aurait mérité qu’on s’y intéresse d’un peu plus près.
- Et vous, Vincent, vous en pensez quoi ?
- Moi je suis pas exactement un grand penseur. J’ai pas d’avis. Si vous avez pas besoin de moi, je vais faire ma ronde.
Il semblait y avoir une certaine tension entre mes deux équipiers… agents ou… qu’importe comment je devais les appeler. J’espérais que ce n’était qu’au sujet de la mort de l’ancien chef, et pas une mésentente profonde et durable. Dans une équipe de trois, si t’en as deux qui ne peuvent pas se blairer, c’est compliqué. J’ai libéré Vincent et poursuivi un peu avec Nicolas :
- Mais… Doudou – monsieur Douris, c’est ça ? Il y a une raison particulière pour que vous pensiez que sa mort n’était pas accidentelle ?
- Non, non… et n’allez pas croire que je suis du genre à faire des histoires pour rien… C’est juste ce que je vous ai dit : les circonstances de sa mort m’ont semblé suffisamment curieuses pour mériter qu’on s’y intéresse un peu plus.
- Il n’y a pas eu d’enquête de police ?
- Si, vaguement… les flics sont venus, mais vous savez bien ! Personne n’a mis la pression pour creuser et pour peu que quelqu’un leur ait graissé la patte pour regarder ailleurs… Vous savez comme ils sont, hein ?
Je l’ai regardé sans répondre, ne sachant pas s’il essayait de me jauger ou s’il ignorait vraiment que je venais de quitter la police. J’ai vite été fixée :
- Oh merde ! Pardon : vous êtes flics, non ? Si, c’est vrai, le mormon me l’a dit… pardon !
- C’est rien. Je ne le suis plus. Le mormon ?
- Monsieur Moriot. Moriot / mormon… ça se ressemble et puis…
- Il est très pieu ?
- Ha ha ! Non, c’est plutôt… c’est plus le côté polygame, en fait. Mais c’est juste pour plaisanter entre nous, hein ? Ce ne sont ni des accusations, ni des ragots ni… ce n’est qu’une blague.
- Vous avez des petits surnoms pour tout le monde ?
- Oui et non… ça dépend, mais oui, quand même. Vous savez… vous allez voir : nous, on connaît tout le monde, y a pas une personne qui entre ici sans qu’on connaisse son pédigrée, mais nous, personne ne nous connaît… des ombres dans les couloirs, voilà ce qu’on est ! A part les cinq ou six personnes à qui on a affaire en direct régulièrement, on n’existe pour ainsi dire pas. Alors le coup des petits surnoms, c’est un peu une façon de faire des familiarités là où on en manque cruellement. Et pour tout dire… c’est aussi une façon de se moquer gentiment.
- Gentiment ?
- Oh ben tant que c’est juste entre nous, ça ne fait de mal à personne, hein ?
- Et quel surnom vous allez me donner, à moi ?
Il m’a souri comme s’il attendait cette question, sans le moindre soupçon de gêne, avec au contraire une évidente satisfaction :
- Vous vous appelez Marie Hyckz, c’est bien ça ?
- C’est ça, oui.
- Franchement… avec un nom pareil, qu’est-ce que vous voudriez qu’on trouve de mieux ?
Un bagout qui n’avait rien pour me déplaire, le petit Nicolas… Il est parti à son tour faire ce qu’il avait à faire et j’ai rapidement constaté que je ne les croiserais pas énormément, mes collaborateurs. Un ours et un coq. A priori plutôt sympathiques, chacun à leur manière. Peu de comptes à rendre, un boulot à organiser apparemment comme bon me semblait et des conditions de travail en or. J’allais peut-être bien l’aimer, ce job, après tout. 
  
A suivre…     Ici.   
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