Je suis une fervente partisane du pipi avant de partir. A l’excès, peut-être, parfois, mais il n’y a rien que je déteste plus qu’être gênée au cours d’une quelconque balade ou activité par une envie de faire pipi. A part peut-être devoir trouver des toilettes pour permettre à quelqu’un d’autre que moi, comme par exemple ma fille, de soulager sa vessie.
Donc, quel que soit le type de sortie prévu, dès lors que l’on s’absente plus d’une heure, on fait pipi avant de partir. Et c’est non négociable. Alors en vacances, quand on part le matin pour se balader toute la journée et ne rentrer que le soir, on fait évidemment pipi avant de partir, mais aussi à chaque occasion qui se présente. Autant dire qu’en matière de toilettes publiques, je pourrais écrire un guide international assez complet. Des plus rudimentaires aux plus nauséabondes, en passant par celles qui brillent jour et nuit et dont émane un parfum de bonbon qui restera à jamais un mystère pour moi, je croyais avoir tout vu. J’avais tort.
La Chine – du moins pour l’infime partie que j’en ai vue – regorge d’une quantité étonnante de toilettes publiques ce qui, quand on souffre comme moi de l’angoisse du pipi impromptu, est la meilleure nouvelle des vacances. Alors évidemment, la quantité ne permet pas toujours de garantir la qualité, mais ne mégotons pas… et, à Pékin notamment, nous avons, ma fille et moi-même, vécu des expériences étonnantes.
Pékin est une grande ville. Une très grande ville. Une ville immense, n’ayons pas peur des mots, dans laquelle le moindre déplacement peut prendre des allures de randonnée. Dans mon guide, j’avais des plans par quartier très bien fichus, mais, à cause de leur petite taille peut-être, ou bien parce que malgré l’indication de l’échelle je n’arrivais pas à me faire une idée précise des distances, il ne m’est pas arrivé une seule fois d’appréhender correctement le temps qu’il nous faudrait pour aller d’un point à un autre, si bien que nous avons passé énormément de temps dehors et, par conséquent, en prévision (aléatoire) du temps qu’il nous faudrait encore (ou pas, ou un peu plus…) y passer, nous avons beaucoup utilisé les toilettes publiques pékinoises.
Dans les parcs, les temples et autres lieux publics, leur propreté était, sans surprise, variable. Comme partout.
Dans les hutongs, ces étonnants quartiers de ruelles étroites, bordées de maisons basses en briques grises, où il faut absolument aller se perdre avec enthousiasme, tant l’ambiance et l’atmosphère qui y règnent semblent authentiques et réjouissantes, dans les hutongs, donc, les toilettes publiques dépassent totalement les limites de ce que l’on pourrait imaginer comme échelle standard allant de « très propre » à « très sale ». Bien que ce qu’il convient d’appeler lieu d’aisance ait été accessible en quantité encore plus étonnante qu’ailleurs dans ces incroyables quartiers, ce n’est pas là que nous en avons abusé le plus. Je pense – je n’ai pas vérifié l’information, mais j’ai de fortes présomptions – que les habitations dans les hutongs ne disposent probablement pas – ou pas toutes en tout cas – de toilettes et que, de fait, les toilettes publiques y sont abondamment utilisées. Je pense également que les concepts de pudeur et d’intimité diffèrent assez largement d’une culture à l’autre et tout particulièrement de ma culture à moi à celle d’un pékinois.
Ainsi, dans les hutongs, les toilettes publiques consistent en un alignement de trous dans le sol, les uns à côté des autres, sans murs, sans portes, sans cloisons, sans paravents, rideaux, ou que sais-je encore qui permettrait de se sentir un tantinet isolé de la dame du trou d’à côté qui fait popo. Mais comme je l’ai dit, il s’agit toutefois bel et bien de toilettes publiques : on ne fait pas ses besoins sur le trottoir foufoune au vent, il y a des murs et un toit, si bien que l’odeur y reste bien enfermée, au point d’avoir réussi à me faire renoncer, moi, la professionnelle des toilettes publiques.
Et puis il y a eu la cité interdite.
Qui, soit dit en passant, n'est plus interdite du tout.
Haut lieu du tourisme pékinois et, plus largement, chinois, elle grouille désormais d'une foule compacte qui, je dois l'avouer, gâche un tout petit peu le plaisir. Le palais est merveilleusement beau, vaste, porteur de tout un imaginaire un peu mystérieux véhiculé par les films pour petits et grands et le peu que l'on a retenu de quelque lointaine leçon d'histoire, mais le groupe de touristes chinois serait, je pense, tout à fait à la hauteur pour décourager le plus motivé des touristes allemands. Ou japonais. Et pourtant le chinois est courtois, mais le touriste chinois, en groupe, est la négation même de la courtoisie et du savoir-vivre. Comme si d'avoir tant de choses à découvrir à travers le vaste monde autorisait toutes les inconvenances. Mais là n’est pas le propos.
A l’entrée de la cité il y a des toilettes publiques.
Dans ces toilettes publiques il y a, bien évidemment, beaucoup de monde. Et pas de verrou aux portes parce que, nous l’avons vu, certaines notions comme l’intimité ou la pudeur n’impliquent pas les mêmes comportements ici ou là… Après avoir observé la façon dont certaines femmes, apparemment pressées, n’hésitaient pas à entrer dans des toilettes occupées pour en déloger les pisseuses trop lentes à leur goût, nous avions commencé à établir une stratégie pour protéger cette intimité à laquelle nous tenions, malgré tout, l’une comme l’autre, quand ma fille s’est soudain interrompue, avant de porter sur moi un regard empreint tout à la fois d’horreur et d’incrédulité.
J’ai jeté un œil du côté de ce qu’elle semblait avoir vu de tellement déconcertant, pour immédiatement lui retourner un regard probablement semblable au sien, avec une petite pointe de dégoût en supplément.
Le long des murs, alignés à moins d’un mètre les uns des autres, des seaux. Et au-dessus de ces seaux, des culs dénudés de femmes accroupies en train de se soulager joyeusement en rang d’oignons, comme une haie d’honneur de circonstance pour les pisseuses préférant faire la queue.
Je crois qu’aucune des merveilles que j’ai pu voir pendant mon périple ne suffira jamais à effacer cette image-là.