Il me regarde.
Qui d’autre ? La rue est déserte et je suis la seule cliente. De toute façon il ne s’en cache pas vraiment. Au point que ça m’aurait sans doute paru inconvenant s’il n’avait pas été joli garçon. Mais pourquoi est-ce qu’il ne m’aborde pas à la fin ?... Je ne suis pas mécontente d’avoir mis cette robe. Finalement la journée ne sera peut-être pas si mauvaise. En général, quand ça commence comme ça, ça va de mal en pis, mais peut-être que pour une fois… J’ai bien fait de m’arrêter ici. Je reprends un café ou non ? Je suis bien, là. Le soleil matinal est tout ce qu’il y a de plus agréable et sentir ce regard charmant qui revient sans cesse sur moi n’est pas pour me déplaire. Mais s’il ne se décide pas… Vu comme il me regarde, il n’a pourtant pas l’air bien timide. Un peu nerveux peut-être. Moi non. Je suis même étonnamment calme. Pourtant, une engueulade de bon matin avec cet emmerdeur de gardien, la voiture qui n’a pas voulu démarrer, les kilomètres que j’ai dû parcourir à pieds pour rater quand même LE rendez-vous important de la semaine et finalement me perdre en chemin en essayant d’aller au rendez-vous suivant, il y avait de quoi m’énerver sérieusement. A croire que l’âge me rend philosophe. L’âge et le fait que le hasard m’a conduite ici et que s’y trouve ce charmant jeune-homme qui ne me quitte pas des yeux. Une aventure avec un inconnu… voilà qui transformerait radicalement la journée !
Elle doit partir.
C’est pas possible autrement. Elle va tout faire foirer. Des mois de boulot foutus en l’air et plusieurs vies menacées si elle sort pas ses fesses de là vite fait ! Putain… qu’est-ce que je peux faire ? Ils ont sûrement déjà des gars en place, je peux pas lui parler ils vont penser qu’il y a embrouille. Ils le pensent sûrement déjà… Mais qu’est-ce qu’elle fout là ? Il n’y a jamais personne ici avant 11 heures. Jamais. Et cette conne était là avant moi. Comment c’est possible, ça ? En plus ça fait un moment qu’elle a fini son café. Pourquoi elle part pas ? Elle va tout faire foirer. A moins qu’elle soit avec eux ? Un piège ? Un éclaireur ? Peu probable… Ils auraient pas non plus pris le risque de jouer aux cons dans cette histoire. Le hasard. Seulement le hasard. Putain on avait tout prévu ! Tout. Des mois à gagner leur confiance. A nous introduire un par un, à nous faire accepter, à les amener à conclure ce deal. Mais un rien les fera lâcher l’affaire. Ou pire. Pourquoi on n’a pas pensé à ça ?... Parce qu’il n’y a jamais personne ici d’habitude. Jamais. Comment un plan si parfaitement préparé peut-il se transformer en fiasco ? Putain… à cause d’une donzelle qu’a rien d’autre à foutre que siroter un café pendant des plombes ! C’est pas possible une tuile pareille. Pourvu qu’ils n’en tiennent pas compte. Il faut qu’ils viennent. On me redonnera pas de sitôt les moyens de les serrer. Et j’ai deux gars encore dans leurs rangs. Si ça foire ils vont morfler. Qu’est-ce que… ?!
Fusillade au sunlight café.
C’est en milieu de matinée hier qu’a éclatée l’impressionnante fusillade qui a secoué tout un quartier, d’ordinaire très paisible. Les rares témoignages évoquent des hommes « sortant de nulle part » et « tirant en tous sens ». La fusillade a fait de nombreuses victimes, parmi lesquelles quatre policiers en civil dont on ignore encore ce qu’ils faisaient sur les lieux, deux membres influents d’une importante organisation criminelle ainsi que le patron du café et une cliente, tous deux inconnus des services de police.
Ecrit pour Kaléïdoplumes : écriture sur image (E. Hooper – Sunlight in a Cafeteria).