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5 novembre 2009 4 05 /11 /novembre /2009 00:17

 

L’épisode précédent, c’est là . La première partie, c’est ici.

 


 

 

Les albums contenaient des coupures de presses et les cahiers des pages entières noircies de l’écriture fine et minuscule du Tonton. J’ai commencé par feuilleter les albums. Ils contenaient des centaines d’articles de journaux relatifs à des disparitions. Je ne comprenais pas ce que ça signifiait quand je suis tombée sur la photo de quelqu’un qu’il me semblait reconnaître. La lecture de l’article ne m’a pas été d’un grand secours pour m’aider à me souvenir. J’ai mis de coté cet album et j’en ai pris un autre, plus ancien. Quand en première page je suis tombée sur un article au sujet des Soldats de la Waffen SS jamais rentrés chez eux, j’ai fait le lien. J’ai repris l’autre album et j’ai foncé dans le musée. L’article datait de 1979. J’ai suivi le sens de la visite jusqu’à tomber sur la vitrine que je cherchais : « Institutrice, 14/03/1979 ». Malgré l’aspect étrange du mannequin, aucun doute possible, c’était la même personne que sur la photo. Et l’article confirmait qu’il s’agissait d’une institutrice disparue le 14 mars 1979. Dingue. Je suis passée à la vitrine suivante et j’ai tourné une page de l’album. Bingo. « Retraité, 31/10/1979 ». Ça collait. J’en ai vérifié une douzaine comme ça et l’album les répertoriait bien tous. Il allait falloir que je comprenne ce que mon oncle avait en tête en faisant ces mannequins à l’image de personnes disparues… Est-ce que ses visiteurs privés étaient les proches de ces gens qu’il reproduisait ? Non, trop bizarre.

Je suis retournée dans le bureau et je me suis attaquée aux cahiers, en espérant y trouver une explication. J’en ai pris un au hasard dans lequel, effectivement, il expliquait le pourquoi et le comment de ses mannequins. Je n’ai pas compris tout de suite. J’ai relu plusieurs fois. J’ai encore pas voulu comprendre. J’ai pris un autre cahier. Même chose. Les lieux et les époques changeaient, les méthodes évoluaient, mais au fond c’était pareil. Je n’en revenais pas. Il n’était pas excentrique, le Tonton, mais complètement malade. Je tournais les pages sans plus les lire vraiment, mécaniquement, le cœur au bord des lèvres. Une feuille est tombée d’un des cahiers. Il s’agissait d’une lettre qui m’était adressée, datée de quelques mois plus tôt.

 

« Si tu lis cette lettre c’est que tu as sans doute déjà découvert mon travail et ses secrets. Les méthodes sont sommairement décrites dans les cahiers, mais tu trouveras à la cave tout ce qu’il faut pour arriver à de bons résultats si tu souhaites poursuivre mon œuvre, témoignage inestimable de l’époque que j’ai traversée. Je sais que mon travail peut paraître de prime abord moralement discutable, mais sa qualité artistique, voire scientifique est incontestable et je suis sûre que tu sauras l’apprécier. Si mes dernières volontés ont été respectées, mon corps a dû être inhumé conformément à mes spécifications et sera en bon état pour avoir sa place dans le musée, moyennant quelques soins que tu sauras sans aucun doute lui administrer. Tu pourras ainsi te faire la main sur moi – c’est plus facile pour commencer d’utiliser un corps déjà mort. Dans un deuxième temps tu pourras t’attaquer aux vivants. Ils offrent de plus grandes possibilités, mais chaque chose en son temps. Pour l’heure il t’appartient de décider si tu souhaites poursuivre ou non mon projet.

Si oui, j’ai pris soin de me faire enterrer avec la clé de la cave et un papier sur lequel j’ai inscrit le mot de passe de l’ordinateur : tu y trouveras les contacts avec lesquels je travaille et qui m’envoient des visiteurs. Dans le cas contraire, c’est que je me serai trompé sur toi. Mais par chance, je ne suis plus là pour en prendre ombrage !

Affectueusement. »

 

Il y a des musées qu’il vaudrait peut-être mieux laisser dormir. J’essayais de compter le nombre de mannequins – de corps, merde ! – qu’il y avait dans ce… sanctuaire, mais je n’y arrivais pas. « Ecolière, 08/04/1965 », « Garagiste, 12/08/1973 », « Vendeuse, 16/11/1949 »… Incroyable. Epouvantable. Fascinant. J’étais…

-          Ohé ! L’artiss’ ! Z’êtes là ? Oooohé ! Eh ! C’est Jojo ! Z’êtes où donc ? J’vous ai apporté du gratin de cardons. Vous aimez ça, dites ? Ohé !

 

A cet instant, j’ai pensé « Casse-couilles, 27/02/2008 ».




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4 novembre 2009 3 04 /11 /novembre /2009 00:16

L’épisode précédent, c’est là . La première partie, c’est ici .

 


 

 


Il y avait de grandes vitrines poussiéreuses derrière lesquelles étaient exposées des statues. Ou des mannequins, peut-être. Le jour déclinait déjà un peu et les vitres étaient vraiment sales, je ne voyais pas très bien. J’ai parcouru à peu près toutes les pièces, partout les mêmes grandes vitrines et le même genre d’objets exposés. Une porte était verrouillée ; je n’ai pas eu envie de fouiller une nouvelle fois dans ma collection de clés, alors j’ai tout refermé et je suis retournée dans la « petite maison ». Tout ça me paraissait totalement surréaliste. L’héritage inattendu, le Tonton richissime conservateur de son musée privé, Jojo… Oui, bon, Jojo, c’était autre chose. Moi qui me rêvais depuis toujours artiste de renom dont on s’arracherait le travail dans les plus prestigieuses galeries du monde de New-York à Tokyo, voilà que d’un seul coup j’envisageais la possibilité de finir riche héritière dans une propriété luxueuse, à ouvrir la porte d’un musée à quelques visiteurs occasionnels.

C’est sur ces pensées que je me suis endormie et au petit matin Jojo m’a réveillée en tambourinant à la porte :

-          Ohé ! L’artiss’ ! C’est l’heure !

Je me suis levée en pestant et je suis allée lui ouvrir la porte :

-          L’heure de quoi ?

-          Ah ah ! Z’êtes pas du matin, hein ? Ça viendra !

-          Hm… ou pas.

-          Ah ah ! J’vous ai apporté du pain frais et des croissants pour bien commencer la journée.

-          Ah… c’est gentil ça.

J’étais pas sûre que ça pardonnait le réveil en fanfare, mais ça rattrapait au moins un peu.

Une fois le petit déjeuner englouti, je me suis douchée et je suis retournée au musée. J’avais bien envie de voir de quoi il retournait.

Dans la lumière franche du matin, la couche de poussière qui s’était déposée à peu près uniformément partout confirmait qu’en effet, un musée qui dort, ça n’a rien de bon. J’ai décidé de m’attaquer au grand nettoyage. Je n’avais rien à faire de toute façon et peu importe ce que je ferais de l’endroit par la suite, il aurait besoin tôt ou tard d’être lavé, alors autant m’y mettre tout de suite.

La première vitrine que j’ai astiquée protégeait un mannequin de femme vêtue dans le style des années cinquante. Je ne voyais pas en quoi elle était faite. Elle n’avait pas cet aspect lisse et brillant des mannequins de cire. J’ai poursuivi mon nettoyage et découvert ainsi des dizaines de mannequins : des tas de gens ordinaires, de tous âges, hommes ou femmes, habillés à la mode de différentes époques, mais aussi un soldat de la Waffen SS en uniforme, un juif au sortir d’un camp, une bonne sœur, un flic... Les légendes sur les vitrines étaient assez sommaires, elles indiquaient en général une fonction et une date. Il y avait ainsi : « clochard, 22/07/1997 », « Femme au foyer, 12/10/1976 », « Banquier, 25/02/1962 » ou encore « Prostituée, 04/05/1986 ». Les vitrines, si l’on suivait le sens indiqué pour la visite, étaient rangées suivant l’ordre chronologique de ces dates. J’étais un peu perplexe. Dans l’absolu je ne comprenais pas bien l’intérêt de cette drôle d’exposition, en revanche j’étais fascinée par ces mannequins.

Je n’arrivais pas à comprendre en quoi ils pouvaient être faits pour avoir cette texture un peu rugueuse et cette couleur grisâtre, tout en ayant par ailleurs l’air presque… vivant. Oui, c’est ça. Vivant. Ou mort-vivant, disons. C’était très étrange. Je trouverais probablement des explications en fouinant dans la paperasse du Tonton, mais pour l’heure j’avais juste besoin de manger et dormir.

Le lendemain, j’ai réussi à me lever avant l’arrivée de Jojo et j’ai filé tout droit au musée. Ces mannequins… J’en avais rêvé toute la nuit. Je me suis équipée de toutes les clés et j’ai essayé d’ouvrir la porte verrouillée. Ça m’a encore une fois pris du temps mais pour finir j’ai pu pénétrer exactement dans la pièce que j’espérais : un bureau. Plein de poussière aussi, mais cette fois je n’étais pas là pour ça. Il y avait un ordinateur et des tas d’albums et de cahiers. Une bibliothèque, gigantesque, débordait d’ouvrages divers : art, chimie, Egypte, médecine, civilisations… J’ai allumé l’ordinateur, mais il était protégé par un mot de passe alors je me suis attaquée au reste d’abord.

 

 

A suivre…

 

 

 

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3 novembre 2009 2 03 /11 /novembre /2009 00:13


La première partie, c'est ici.

 


 

 

Il avait l’air tellement content que je sois là, j’ai pas eu le cœur à lui dire que j’avais l’intention de la vendre, la maison. Il m’a fait monter dans une antique 4L, on voyait la route à travers le plancher, et il m’a fait la conversation pendant tout le trajet. J’écoutais d’une oreille et j’appréciais le paysage. Je regrettais presque de n’être pas venue plus tôt. Vallonnée et verdoyante, la campagne était magnifique. On traversait des villages plein de charmes et je me surprenais à penser que je pourrais peut-être envisager une nouvelle vie, ici. On est entré dans un grand parc et Jojo a dit :

-          Nous y v’là, l’artiss’ ! Alors ?

-          C’est laquelle ?

-          Laquelle quoi ?

-          Maison. C’est laquelle ?

-          Ah ! Ben toutes !

-          Quoi ?

-          Toutes ! Pis ça c’est vot’ parc.

-          Sans déconner ?

-          Ben vous vous attendiez à quoi ?

-          Pas à ça…

En guise de maison, le Tonton m’avait donc légué un genre de manoir somptueux et au moins trois… dépendances, pour ce que j’en voyais depuis l’allée. Je suis descendue de la voiture et je regardais ce qui était donc ma maison quand Jojo m’a tirée de ma stupéfaction d’une bourrade.

-          C’est coquet, hein, l’artiss’ ?

-          Aïe. Oui, plutôt, oui. Qu’est-ce qu’il y dans les petites maisons ? Enfin… les autres maisons, quoi…

-          Ah ben celle-là, à gauche, là, c’est celle qu’il habitait, en fait, le Tonton.

-          Ah ?

-          Ouais. Et pis derrière, la grande, c’est son atelier…

-          Son atelier ?

-          Ben là où c’qui f’sait l’artiss’, quoi.

-          Ah…

-          Et puis la p’tite à droite c’est pour les amis.

-          Il recevait souvent ?

-          Jamais, mais il la louait aux touriss’.

-          Ah d’accord.

-          Derrière, dans la cour, y a les anciennes écuries…

-          Y a encore des trucs derrières ? Vache ! Bon… et il faisait quoi de la… du… manoir ?

-          Ben c’est l’musée ! C’est vous qu’allez vous en occuper, maint’nant, d’son musée ?

-          Son musée ?

-          Ben oui, c’est pour ça qu’y v’naient, les touriss’, hein, pas pour mes beaux yeux ! Ah ah ah !

-          Et y a quoi dans ce musée ?

-          Ah ben ça, ma p’tite, j’en sais foutre rien !

-          Ah bon ?

-          Visites privées seulement, sur rendez-vous et tout l’toutim ! Pas un truc pour nous aut’ de la campagne ! Pis entre nous, moi, la culture, c’est plus dans les champs, hein ! Ah ah ah !

-          Hin hin. C’est vous qui avez les clés, donc ?

-          Ah ! Oui, bien sûr. Alors dans la maison du Tonton j’vous ai r’mis l’chauffage hier, hein. Pis y a des trucs dans l’garde-manger. Mais l’musée j’ai pas la clé alors j’y ai rien fait... Mais vous allez vous en occuper, hein, l’artiss’ ? Nan pass’que j’ai beau êt’ pas bien malin, moi j’dis qu’un musée ça doit pas dormir trop longtemps. Les trucs d’art c’est fait pour qu’les gens les voyent. Là ça fait un moment qu’y a personne qu’est v’nu… Faut dire qu’vous avez mis l’temps à vous radiner, hein ?

-          C’est que le notaire a…

-          Ah ah ! J’vous fais marcher, ma p’tite, va ! J’sais bien qu’vous aut’, à la ville, z’avez jamais l’temps de rien…

J’ai pas insisté. J’ai pris les clés, il a mis encore un moment à m’expliquer comment marchait ci et ça, tout juste s’il ne m’a pas expliqué comment allumer la lumière avec l’interrupteur, et je me suis enfin retrouvée seule dans… ma maison.

Le mobilier et la déco étaient assez spartiates, mais pour un intérieur de vieux bonhomme célibataire c’était plutôt bien tenu. Et grand. Un palace à mes yeux et ce n’était que la « petite maison ». Il me tardait de découvrir le fameux musée… d’abord pour voir ce manoir de l’intérieur et puis parce que cette histoire de musée « sur rendez-vous » m’intriguait.

J’ai farfouillé un peu partout dans la maison et j’ai fini par trouver un tiroir plein de clés. Mais pas la moindre étiquette. J’avais de quoi m’occuper un moment… J’ai rempli mes poches avec et je suis allée au manoir. J’ai bataillé un moment avant de trouver la bonne clé, mais j’ai fini par réussir à entrer. Il avait raison le Jojo, un musée ça doit pas dormir trop longtemps… celui-ci avait effectivement beaucoup trop dormi : il y régnait une odeur écœurante. Je suis ressortie aussi sec. Encore un truc de la campagne, sans doute… parce que même fermé pendant longtemps, jamais un appart’ ne pue autant ! J’ai pris une grande goulée d’air et j’y suis retournée pour ouvrir autant de fenêtres que possible avant de ressortir. En attendant que ça devienne respirable, j’ai fait un petit tour de la propriété. Ma propriété. Je n’arrivais toujours pas vraiment à y croire. Je me disais qu’il y avait sûrement un truc qu’allait clocher. L’endroit était incroyablement beau, la vue splendide et oui, définitivement, je pourrais vivre ici ! J’étais plutôt une citadine et là j’étais vraiment loin de tout et je savais même pas exactement où – j’aurais été bien emmerdée pour situer l’endroit sur une carte – mais oui, sans le moindre doute, je pourrais vivre dans ce trou. Je suis retournée dans le manoir, l’odeur s’était bien atténuée, et j’ai exploré l’endroit.


 

 

A suivre…


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2 novembre 2009 1 02 /11 /novembre /2009 00:12

 

Quand mon grand-oncle est mort, j’ai été la première étonnée d’apprendre qu’il m’avait choisie pour hériter de sa maison. Du strict point de vue généalogique, il avait un paquet d’autres héritiers bien plus proches que moi. Quand j’ai su qu’en plus j’étais la seule à hériter parce que cette maison était tout ce qui lui restait, je me suis vraiment posé des questions. Je savais bien qu’il n’avait pas trop la cote dans la famille, au moins autant à cause de ses excentricités que parce qu’il faisait tout son possible pour qu’on lui foute la paix, mais de là à ne garder que moi sur son testament… J’essayais de me souvenir de moments particuliers qu’on aurait pu partager lui et moi et qui aurait pu créer une sorte de lien privilégié entre nous, même si ce privilège m’avait échappé à moi, mais je ne voyais pas. A croire qu’il n’aimait vraiment pas les autres. Ou qu’il était bien meilleur qu’on le disait et m’avait choisie moi parce que j’étais celle qui s’en sortait le moins bien financièrement. De toute façon les autres semblaient s’en foutre : le notaire a mis un temps fou à me retrouver et il a semblé dire que la plupart des autres prétendants potentiels à cet héritage étaient soit morts soit encore plus introuvables que moi. Comme modèle de famille unie, on se posait là.

Le train n’allait pas tarder à arriver. Je devais retrouver un certain Jojo. Le notaire m’avait donné ses coordonnées en me disant qu’il s’occupait de la maison de mon oncle et qu’il me donnerait les clés et me dirait tout ce dont j’avais besoin pour « ouvrir la maison ». Un truc de la campagne, ça, quand on a besoin d’autre chose que tourner la clé dans la serrure pour ouvrir une maison.

-          Et c’est Jojo comment ?

-          Ah, euh… Jojo, c’est tout.

-          Jojo ?

-          Jojo, voilà.

Une chance, le Jojo n’avait pas de nom, mais il avait le téléphone, alors je l’ai appelé pour lui annoncer ma venue.

-          Ah ! Enfin, la p’tite artiss’ !

-          Pardon ?

-          Bah oui, vot’ Tonton, là, il parlait que d’ça tout l’temps ! Sa p’tite nièce artiss’…

Allons bon. Un grand-oncle que je n’avais plus vu depuis probablement une décennie parlait de moi comme d’une artiste à un… Jojo. Pas que j’aurais pas voulu l’être, artiste. Au contraire. J’avais tout fait pour. Etudes, voyages dans le monde entier pour apprendre d’autres savoir-faire, tout juste si j’avais pas fait la pute avec des artistes reconnus pour m’ouvrir les portes des galeries… mais au final c’est surtout en enchaînant les petits boulots que je m’en sortais. Et encore, à peine. Cet héritage était une aubaine : en revendant la maison je pourrais peut-être au moins payer mes dettes.

J’ai tenté de dissuader Jojo de venir me chercher à la gare, mais il n’a rien voulu savoir :

-          Et comment c’est qu’vous allez v’nir, hein ?

-          Je prendrai un taxi.

-          Ah ah ! Faites donc pas vot’ parisienne, va ! J’viens vous chercher et pis c’est tout !

Je n’ai pas eu de mal à le reconnaître dans le hall de la gare : il portait une affichette avec écrit dessus mon nom, en gros, d’une écriture appliquée d’enfant, ratures comprises. Il s’était plaqué les cheveux sur le coté et ressemblait à un premier communiant. A ceci près qu’il affichait bien 70 ans et devait peser 120 kilos au bas mot. Je suis allée vers lui :

-          Monsieur… Jojo ?

-          M’sieur Jojo ? Ah ah ! Elle est bonne celle-là ! M’sieur Jojo… Bien un truc de la ville, ça ! C’est Jojo tout court, ma p’tite, d’accord ?

-          Euh… oui, d’accord, pardon.

-          Ça doit vous faire bien plaisir de rev’nir, hein ? Enfin… j’veux dire, c’est triste pour l’Tonton, hein, mais la maison…

-          En fait je ne suis jamais venue.

-          C’est pô vrai ? Z’êtes jamais v’nue voir vot’ Tonton ici ?

-          Ben non. C’est que je ne l’ai pas vu lui non plus depuis assez longtemps.

-          Ah ça, je sais oui. Il en parlait souvent…

-          Ah ?

-          Oui, mais allez, laissons les choses triss’ pour les moments triss’ et v’nez découvrir vot’ nouvelle maison !

 

 

 

A suivre…

 

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28 septembre 2009 1 28 /09 /septembre /2009 00:12

 

La dame d'un certain âge qui lit France-Soir dans un coin du compartiment est une dame comme toutes les dames d'un certain âge à l'exception toutefois qu'elle porte des chaussures d'homme. Et que c’est un homme. Le choix de faire le voyage dans cet accoutrement est pour le moins surprenant et osé. On sait tous qu’il n’y a pas plus de femmes dans ce train qu’il n’y en aura là-bas. C’est même la seule chose qu’on sait sur « là-bas ». Pourquoi chercher à se faire cataloguer d’entrée comme fiotte, alors que c’est sans doute une des raisons qui l’ont poussé à se porter volontaire ? Il pense vraiment que tout sera différent là-bas ?

En s’apercevant que je le regarde, il semble mal à l’aise, alors je reporte mon attention sur le paysage qui défile. Moi c’est pas ma tasse de thé, les fiottes. Ça me fait beaucoup plus pitié qu’envie. Je suis plutôt du genre solitaire et ça m’a assez bien réussi jusque là. Je ne fais partie d’aucun clan, aucune meute, aucun gang, aucune famille. Et c’est entre autres pour ça que je fais toujours partie des vivants. Ça, ma carrure et mon pédigrée.

Je n’ai déjà plus aucune idée d’où on est. Je m’en fous, d’ailleurs. Ils peuvent bien nous balader autant qu’ils veulent avant de nous amener à destination, pour ce que ça change. On en est déjà à un avion, un car, deux trains et après on prend un bateau. Mais on est sans doute tous pareils, c’est pas où on va qui importe, mais d’où on part. On a un enfer à fuir, pas un paradis à gagner.

 

***

 

Je crois pas me tromper en disant qu’on a tous été surpris en arrivant. On a beau être du genre dur à cuire, on s’attendait pas à ça quand même. Dans le premier bateau, on était vingt. Ils nous ont largués sur cette plage et sont repartis. On a mis un moment à comprendre qu’ils ne reviendraient pas. Et qu’il n’y avait que nous ici.

L’île était grande, sauvage, verdoyante et peuplée d’animaux qu’on n’avait jamais vus. On n’avait rien. Les fringues qu’on portait et c’est tout. Même La Fiotte avait pas pu garder son journal.

 

***

 

-          Putain ! ça a d’la gueule !

Et merde. Je déteste qu’on vienne me faire chier quand je suis là le soir. Quand le soleil commence à décliner et que le ciel prend cette teinte rose-orangée. La vue d’ici est… surréaliste. Et y a jamais personne qui vient m’emmerder. Le peu de types qu’ont découvert l’endroit depuis que j’en ai fait mon coin n’y reviennent plus. Pas à cette heure en tout cas. Mon coin, mon moment. Ça doit être un nouveau. L’arrivage d’hier sans doute. Ne pas le laisser s’installer.

-          Casse-toi.

-          Et pourquoi j’me casserais ?

-          Parce qu’ici et maintenant, y a que moi. Ça fait dix ans que ça dure et c’est comme ça tous les jours. Alors tu te casses.

-          Ben ouais, mais c’est qu’la vue me botte sacrément, hein ? Et j’vois rien qui dit qu’c’est une propriété privée. Alors si j’veux poser mon cul à coté du tien… ben p’t’êt’ même que j’vais te d’mander d’le virer d’là, le tien, en fait.

-          Fais donc pas trop l’mariole…

-          Hé hé… houuuu ! le grand méchant me fait peur !

-          T’ont pas prévenu les autres ?

-          J’parle pas aux autres. Et qu’est-ce qu’ils auraient dû m’dire ?

-          Qu’il faut pas m’emmerder quand j’suis là.

-          Et ils respectent ça parce que… ?

-          A ton avis ?

J’ai dit ça avec le regard le plus méchant que j’sais faire, mais le gars avait pas l’air d’un tendre non plus et puis le regard qui tue marche mieux sur ceux qu’ont eu vent de ma réputation. C’était pas encore son cas. Ça viendrait.

-          Eh mec ! ce s’rait pas toi qu’ils appellent « Le Pionnier » ?

-          Et ben tu vois qu’tu parles aux autres !

-          C’est eux qui m’ont parlé. Première fournée alors ?

-          Ouais.

De la première fournée, il restait La Fiotte et moi. Mais y a que moi qu’on appelait Le Pionnier, parce que La Fiotte, on l’appelait La Fiotte. J’aurais d’ailleurs jamais cru qu’il survivrait aux autres, lui. Il a été plutôt malin. Les autres, ils ont pas mal fait les cons, faut dire. Y en a deux qu’ont essayé de se bricoler un radeau pour se faire la malle ; on a retrouvé leurs corps échoués sur la plage, à moitié bouffés par les crabes et les mouettes deux semaines plus tard. Y en a quelques-uns qu’ont bu et mangé n’importe quoi et qu’ont choppé des maladies dont ils se sont pas remis. Un qui s’est fait bouffer par une bête, on n’a jamais trop bien su laquelle. Mais La Fiotte a tenu le coup.

Pour pas se faire emmerder, il s’est isolé dès qu’on est arrivé. Il s’est aménagé un genre de campement, il a fait comme un potager qu’on a jamais bien compris comment il s’y était pris, et quand il a eu fini de tout bien s’installer, il s’est de nouveau mêlé aux autres. Il nous a montré ce qu’il avait fait, la source d’eau douce qu’il avait trouvée et tout ce qu’il avait réussi à tirer de cette île en moins de temps qu’il nous avait fallu à nous pour nous faire à la chaleur. Alors plus personne a voulu l’emmerder. Tout le monde a compris qu’il serait beaucoup plus utile vivant et conciliant.

Mais tout le monde a continué à l’appeler La Fiotte. Lui, il préférait ça et pas se faire enculer sous les douches plutôt que le contraire. Le nouveau a continué à me poser des questions :

-          Et tu savais qu’c’était comme ça, ici ?

-          Personne savait rien à l’époque. Et j’imagine que c’est toujours pareil…

-          Ouais. Faut dire qu’y a personne pour raconter.

-         

-          Tu f’sais partie des volontaires alors ?

-          Hm… mais vu c’que j’avais comme alternative… et toi ?

-          Pas eu l’choix.

Ah… c’était donc effectivement pas un tendre. D’autant que pour un contraint il avait pas l’air taré. Les dingues sont rarement méchants. Les autres…

-          Y a vraiment aucun moyen d’se barrer ?

-          Si y en a un, personne l’a encore trouvé. Et depuis l’temps… Ah !

-          Quoi ?

-          Le bateau…

-          Putain ! ça existe vraiment ?

-          T’en avais entendu parler ?

-          Ouais… on entend un tas d’conneries sur c’t’endroit…

-          T’y croyais pas ?

-          Au bateau ? Ah non ! non… Putain c’est quand même dur à avaler !

-          Ouais. Les gens sont bizarres, hein ?

-          Et c’est nous les curiosités…

Apparemment, le flou régnait toujours autour de l’île. Les nouveaux étaient toujours étonnés par ce qu’ils découvraient. Le bateau notamment restait donc un secret bien gardé… Faut dire que pour c’que j’en savais – pas grand chose en somme – c’était un truc pour gros richards qu’avaient les contacts qu’il fallait. Pas à la portée du touriste moyen.

Souvent une autre surprise de taille était l’absence de… tout. On arrivait là et on se démerdait. J’ai toujours pensé qu’ils espéraient qu’on s’entretue. Mais personne se donne la peine de vérifier, on se démerde aussi avec nos morts. Le bateau approchait et… oui. Elle était là.

-          Qu’est-ce t’as ?

-          Hm ?

-          Qu’est-ce tu r’gardes comme ça ?

-          Le bateau.

-          Il te fait toujours cet effet là ?

-          Hm…

-          Putain ! C’est qu’y a une sacrée bombasse, là ! Mate la rouquine ! T’as vu ces nibards ?! Putain… j’en avais pas vu des com…

-          Ta gueule !

-          Eh ! J’t’emmerde ! Non mais t’as vu c’te salope ?!

Il a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait quand je lui ai collé mon poing dans la gueule.

-          Cette salope, trou du c’, c’est ma fille ! Encore un mot déplacé et elle pourra montrer à ses touristes comment un connard de nouveau peut rapidement s’faire bouffer par les requins s’il apprend pas à fermer sa grande gueule !

Même par terre la tronche en sang il a encore trouvé moyen de la ramener :

-          Et ben… C’est qu’elle doit sacrément t’détester pour faire le guide à ces dégénérés !

-          Parle donc pas des choses que tu connais pas, ça t’évitera des tas d’emmerdes.

Ma fille… J’avais pas eu l’occasion de lui dire de pas faire ça. J’avais plus eu l’occasion de lui parler depuis que j’étais ici. J’étais parti entre autres pour qu’elle arrête d’organiser sa vie autour des heures de visite. Si j’avais su… J’avais jamais rien dit à personne et voilà qu’au bout de dix ans que la môme s’était fait embaucher sur ce rafiot, j’le disais à un parfait inconnu fraîchement débarqué ! Un contraint, en plus… Mais pour un contraint pas taré, il avait l’air d’avoir un soupçon d’humanité résiduelle, parce qu’il l’a bouclée jusqu’à c’que le bateau disparaisse. Il a fini de cracher son sang et il a repris :

-          Et ils sont tous aussi chaleureux qu’toi dans l’coin ?

-          Ta gueule !

-          Ça doit dézinguer à tour de bras, je suppose ?

-          Non. Non, pas du tout. C’est plutôt cool. Ça bastonne pas mal, mais rien de plus.

-          Rien ? Alors qu’on est tous là pour…

-          Question d’survie, mec, qu’est-ce que tu crois ? Parce que la moitié te dirait l’contraire, mais y a pas lourd d’innocents, sur l’île aux assassins…

 

***

 

 

 


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28 septembre 2009 1 28 /09 /septembre /2009 00:10

 

J’ai entendu des cris, une engueulade sûrement. Ça arrivait souvent, mais ça allait jamais très loin. Y avait beaucoup moins de tension qu’en taule, ici. Pas sûr que c’est à ça qu’ils s’attendaient en nous larguant comme des bêtes dans un genre d’enclos cerné par les requins, n’empêche que s’ils espéraient vraiment qu’on s’entretue ils s’étaient bien plantés. Déjà, ici, pas de maton pour nous monter les uns contre les autres, diviser pour mieux régner… Et puis chacun trouvait sa place, son utilité, l’utilité de l’autre – qui savait cuisiner avec trois fois rien, qui était assez ingénieux pour bricoler des trucs utiles, qui chassait ou pêchait efficacement. Alors l’ambiance était finalement plutôt pas désagréable.

Mais là, le ton commençait à monter. Et puis Le Nouveau est arrivé en courant. Il était plus si nouveau, mais je l’appelais toujours comme ça parce qu’y avait pas de nouveau plus nouveau que lui à qui j’aurais pu attribuer le surnom. Faut dire aussi que j’avais pas besoin de surnommer grand-monde, j’étais pas du genre très liant. Nos vrais noms, on se les disait pas. Un genre d’accord tacite. Une façon de pas traîner sa vie d’avant jusqu’ici. Et on savait tous qu’on n’aurait pas de vie après, alors autant se débarrasser des excédents de bagages et voyager léger sur cette espèce de terre à taulards surréaliste.

-          Amène-toi !

-          Quoi ?

-          La Fiotte…

-          Et ben ?

-          Mort.

-          Merde.

J’ai suivi Le Nouveau jusqu’à l’attroupement autour du corps de La Fiotte. Les gars paraissaient nerveux, je comprenais pas pourquoi. Bien sûr La Fiotte était un ancien, un genre d’emblème ou de mascotte, même, vu comment il avait réussi à survivre ici, mais pour autant y avait pas vraiment de grands sentimentaux parmi nous et personne semblait jamais s’émouvoir plus que ça d’habitude quand un gars mourait. J’ai compris quand j’ai réussi à approcher suffisamment du corps pour voir le trou bien net dans sa poitrine. Il avait pris une balle dans le cœur.

On avait beau s’être bien démerdés sur cette putain d’île, on n’avait pas fabriqué d’arme à feu avec du bambou et des caillasses. Et personne était supposé avoir débarqué ici avec une arme. Cette histoire sentait pas bon. J’ai relevé la tête et j’ai vu que les gars commençaient déjà à se toiser, à se flairer, à bomber le torse… Non, ça sentait vraiment pas bon.

 

***

 

J’ai passé les deux ou trois jours d’après à distance raisonnable des autres pour éviter les tensions. Et puis j’ai voulu prendre un peu le large et en profiter pour nous rapprovisionner un peu en poissons, mais l’espèce de radeau qu’on avait bricolé avait été saccagé. Je suis allé voir Selim, le gamin avec qui j’avais fabriqué le truc et qui l’utilisait aussi, et je l’ai trouvé en grande conversation avec des gars à qui je l’avais jamais vu causer avant. Je l’ai appelé et au lieu de venir il m’a regardé comme en s’excusant et il s’est éloigné. Un des types avec qui il était est venu me demander si j’étais musulman. J’ai pas pu m’empêcher de me marrer :

-          Eh ! tu déconnes, mec ? Je suis pas plus musulman que Selim l’était hier !

-          Selim a rejoint ses frères maintenant.

-          Ses frères mon cul ! Dis-lui de venir : quelqu’un a bousillé le radeau et il sait peut-être quelque chose.

-          Il sait ce qu’on sait tous : ce sont les mêmes qui ont tué La Fiotte.

-          Ah ouais. Vous savez ça vous ?

-          Les aryens, probablement. Ou les motards.

-          Qu’est-ce c’est que ces conneries ?

-          Rejoins les tiens, Le Pionnier. Les temps changent.

Selim musulman ! Ça aurait pu être drôle si ce que j’venais d’entendre avait pas été inquiétant. Les aryens, les motards… Non. Ça sentait pas bon. Je suis allé voir si les autres pêcheurs, plus loin sur la côte, avaient toujours leur barque et en chemin je suis passé par le jardin de La Fiotte. Tout était ravagé. Plus une fleur debout, plus un légume en état d’être mangé, même les arbres autour étaient déracinés. Un type qu’on appelait Le Barje était en train de creuser la terre.

-          Eh ! Le Barje ! C’est quoi c’boxon ?

Il a sursauté et fait tomber de ses mains noires de terre ce qui ressemblait à une pomme de terre à moitié écrasée. Il paraissait effrayé.

-          Calmos, mec ! Qu’est-ce qui s’est passé ici ?

-          J’en sais rien ! J’ai rien fait ! J’te l’jure !

-          J’me doute que c’est pas toi qu’as déraciné ces arbres !

-          Hin hin ! Moi je fais juste des provisions pour partir.

-          Partir ?

-          Dans la jungle, tiens ! Ils sont devenus barjes ici ! Hin hin… barjes. C’est marrant.

-          Marrant, ouais.

Y avait une bande de mecs qui zonaient un peu plus loin, derrière la cabane de La Fiotte. Cinq noirs, dont deux qui se seraient entretués y a quelques semaines de ça si personne les avaient séparés. Ils semblaient hésiter à venir me chercher des noises – à moi ou au Barje. Cinq contre deux dont Le Barje, c’était pas la peine de les provoquer. J’ai dit au Barje de dégager et j’en ai fait autant. Les noirs m’ont pas suivi. Je sais pas s’ils ont suivi Le Barje.

 

***

 

Le Nouveau semblait lui aussi résister à la tentation de rejoindre une meute ou une autre. Parce que c’est vraiment ce que c’était devenu. On dit que l’homme est un loup pour l’homme, on sait même pas à quel point on a raison. Bien sûr, on n’était pas une joyeuse colonie d’enfants de chœur ni une communauté hippie vivant d’amour et de cannabis, mais il avait régné sur l’île presque naturellement une sorte d’équilibre des forces qui avait jusque là permis de maintenir… la paix, en quelque sorte.

Il avait suffi de découvrir que quelqu’un, sur l’île, avait une arme à feu et s’en était servi pour que de précaire l’équilibre devienne instable et laisse finalement rapidement la place au chaos. Les plus teigneux et les plus violents avaient vite saisi l’opportunité et les plus trouillards ne demandaient pas mieux que se rallier aux uns ou aux autres. La suspicion et, très vite, la haine ont retrouvé la place qu’elles avaient perdue des années plus tôt. La plupart de ceux qui ne pouvaient se rallier à aucune meute avaient vite pris la tangente et se planquaient dans la jungle, où leurs chances de survie étaient sans doute un poil supérieures à ce qu’elles étaient devenues ici, mais guère.

L’ironie de la chose c’est que La Fiotte, qui avait été le premier à savoir exploiter cette putain d’île et qui était presque responsable à lui tout seul de la paix qui s’était imposée jusqu’alors devenait aussi, en s’étant fait abattre, celui par qui tout s’effondrait.

Le Nouveau et moi on tenait bon et on avait tous les deux des réputations qui suffisaient à nous faire respecter un minimum. Pour autant, on formait pas un clan à nous deux. On était plutôt les deux derniers solitaires de l’île. On restait discrets. On évitait les emmerdes autant que possible. Mais on sentait bien que ça devenait critique.

Je l’avais pas entendu arriver quand il a demandé :

-          Qu’est-ce tu fabriques ?

-          Une croix.

-          Ben j’vois bien, mais pourquoi ? Quelqu’un est mort ?

-          Pas encore…

-          Ah. Quelqu’un va mourir ?

-          Ça s’pourrait.

-          Tu vas m’laisser poser encore beaucoup d’questions avant d’expliquer ?

Non. Bien sûr que j’allais lui expliquer. A qui d’autre ? Mais qu’on soit deux asociaux impliquait pas qu’on soit amis, alors j’hésitais un peu. J’ai fini par me lancer :

-          C’est pour moi.

-          Hein ?

-          La croix. C’est pour moi. Enfin… plutôt pour ma fille. Enfin non, mais…

-          OK… je comprends rien, là. C’est toi ou c’est ta fille qui doit mourir ?

-          Moi ! Enfin je dois pas mourir, mais au cas où…

-          Tu veux un bel enterrement catholique et une prière pour ton âme ? Tu te foutrais pas d’ma gueule, là ?

-          Non… c’est pas ça. C’est le symbole. Si je mourais, faudrait que ma fille le sache. Si tu plantais la croix là où j’me mets d’habitude quand le bateau passe, elle comprendrait.

-         

-          OK ?

-          Et si je meurs avant toi ?

Ça, ça me paraissait pas possible. Il la ramenait pas beaucoup avec moi parce que je l’avais allongé le premier, mais tout le monde savait qu’il était bien plus mauvais que moi. Les autres s’attaqueraient à lui en dernier. Il a repris :

-          De toute façon, on va crever tous les deux si on fait rien.

-          Et tu voudrais qu’on fasse quoi ?!

-          Trouver l’enculé qu’a buté La Fiotte.

-         

-         

-          Rien que ça.

-          Quoi d’autre ? Faut bien que quelqu’un s’en occupe.

-          Toi et moi, justiciers de l’île ? Hé hé… la gueule de la justice !

-          Ouais, t’as raison, c’est mieux d’bricoler ta croix.

Non, bien sûr, c’était pas mieux, non. Mais l’île était grande, y avait des gars partout prêts à tuer avec leurs dents pour un seul pied posé au mauvais endroit, on n’avait aucune idée de qui on pouvait bien chercher… et on a beau avoir côtoyé pas mal la flicaille, on n’en devient pas fin limier pour autant. Sans compter que j’avais aucune raison de lui faire confiance, au Nouveau.

-          Et pourquoi j’irais avec toi ?

-          On sera pas trop d’deux contre un tueur armé.

-          Pourquoi moi ?

-          Putain, mec ! Les autres sont à ça de s’lancer dans une putain d’guerre des gangs ! Ou alors c’est le ramassis d’lavettes qu’a fui dans la jungle… Cherche pas, y a plus que toi et moi.

-          Je t’aime pas.

-          J’te parle pas d’amour, j’te parle de sauver notre peau, bordel !

Je savais qu’il avait raison. J’avais beau essayer de me tenir à l’écart des autres et des emmerdes, ça m’avait quand même pas échappé que les gars étaient fin prêts à passer à l’action et à redevenir les tueurs qu’ils avaient déjà été. Et ils commenceraient par se faire les dents sur des proies isolées. S’il y avait une seule chance de les calmer, c’était bien en ramenant le tueur et le flingue.

 

 

 

***


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4 septembre 2009 5 04 /09 /septembre /2009 01:13


Je n’aurais jamais pensé que ça puisse être aussi facile.

C’est vrai aussi que je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Pas sérieusement, du moins. Mais je suis sûre que si je me l’étais posée j’aurais imaginé la chose très différemment. Faut dire que là, ça s’est fait comme ça, sans réfléchir, presque malgré moi. Je ne sais pas trop pourquoi, d’ailleurs, mais il sera bien temps d’y réfléchir plus tard. Pour l’heure, j’ai mieux à faire et j’ai besoin d’avoir les idées claires pour ne rien négliger.

D’abord, essuyer tous les endroits où j’ai pu poser les mains et laisser des empreintes. Et puis, je ne sais pas si ce qu’on voit dans les séries américaines est vrai, mais dans le doute il vaut mieux que je trouve un aspirateur et que je le passe jusque dans les moindres recoins pour qu’il ne reste ni un cheveu ni un poil de mon passage ici. Pour finir, récupérer la capote et essuyer soigneusement le manche du couteau.

 

Ses yeux sont restés ouverts. Il a l’air étonné. On le serait à moins. J’ai été obligée de bouger un peu le couteau en l’essuyant, on va croire que c’était par cruauté je suis sûre… Je lui fermerais bien les yeux, mais j’ai vu une fois dans un film qu’ils arrivaient à relever des empreintes sur la peau de la victime, alors je ne vais pas tenter le diable plus que nécessaire. Mais il n’est pas à son avantage, avec cette drôle d’expression sur le visage. J’espère que ce n’est pas sa femme qui le trouvera. Ni un de ses enfants. S’il ne m’a pas trop menti et vu la chaleur qu’il fait ces jours, il sera découvert bien avant leur retour : l’odeur devrait être assez vite insupportable.

 

Je crois que je n’ai rien oublié. Maintenant une douche, me débarrasser de son sang et de son odeur – ne pas oublier de nettoyer la bonde – me rhabiller et filer.

On n’a croisé personne en arrivant cette nuit. Il est encore tôt pour croiser du monde un dimanche matin. Je vais faire profil bas quand même, mais les gens ne font tellement pas attention aux autres… Au pire un voisin ou un promeneur de chien se souviendra bien avoir croisé quelqu’un ce jour-là, oui, ou peut-être la veille, à moins que ce ne fût le lendemain… mais c’était une femme, oui, sûr. Ou un homme de petite taille. Ou une adolescente, il faisait encore un peu sombre.

 

Je me sens étonnamment apaisée.

Moi d’ordinaire si encline à l’énervement, à la colère, à l’excitation, aux débordements émotionnels de toutes sortes, je me sens exceptionnellement calme. En paix. Une sensation totalement inédite pour moi. Ce pauvre type ne méritait peut-être pas ça, mais moi oui.

Bien sûr qu’il ne m’avait pas fait de mal. Pas encore. Mais ce serait arrivé tôt ou tard. Ça finit toujours par arriver. Alors oui, moi, je méritais pour une fois de ne pas souffrir.

 

Je ne sais pas s’il a dit ou fait quelque chose pour provoquer ça. Tout ce que je sais, c’est qu’il y a eu cet instant précis où j’ai su ce que je devais faire et je l’ai fait sans le moindre doute ou la moindre hésitation. C’est tout. Je ne tiens pas à me perdre en analyses et réflexions inutiles. Ce geste m’a donné la paix. C’est tout ce que j’ai besoin de savoir.

 

***

 

-  Salut, ça va ?

-  Bien et toi ?

-  Bien bien… bon week-end ?

-  Tranquille. Et toi ?

-  Ouais, cool. Bonne journée !

-  Toi aussi, à plus !

 

Mes collègues. Tout est toujours très « cool », « tranquille », au pire « comme un lundi »… Ce n’est pas désagréable, dans le fond. Confortable. Sans surprise. Tout le monde joue parfaitement le jeu. Il est impossible qu’ils n’aient pas noté mes sautes d’humeur. Impossible qu’ils n’aient pas remarqué que j’étais souvent déprimée. Mais je réponds invariablement « tranquille ». Et ils font invariablement semblant de me croire. Pourtant je me sens tellement bien aujourd’hui ! J’aurais envie de le dire à tout le monde, de raconter comme je me sens légère, débarrassée de… de je ne sais pas quoi, d’ailleurs, mais débarrassée sans le moindre doute ! Ah… les collègues.

Je les aime bien pour la plupart. Je leur sais gré d’avoir su être poliment discrets sur mes états d’âme, en fait. Dans un sens, je me sentirais même presque redevable. Jusqu’à ma hiérarchie qui a gentiment fermé les yeux sur mes périodes creuses, pourtant professionnellement assez désastreuses. Ils mériteraient de me savoir si bien aujourd’hui. D’être remerciés pour ne pas m’avoir enfoncée. Mais je ne peux pas leur raconter, évidemment.

 

Alors on va continuer. Tranquille. Cool. A plus. De toute façon, je ne vois pas bien ce que je pourrais raconter. Tout est déjà un peu flou. J’en arrive à me demander si c’est vraiment arrivé. C’est bizarre. Parce qu’en revanche je me souviens parfaitement bien de ce fameux jour avec Pierre, où j’avais eu exactement la même sensation d’évidence, sans pour autant aller au bout. Je le revois, là, debout devant la fenêtre ouverte après une de ces séances pénible et douloureuse de cris, de larmes, de violence…

Je me souviens très exactement de ce que je me suis dit alors. Qu’il serait toujours malheureux. Qu’il n’y avait rien à faire pour lui. Qu’il continuerait à faire souffrir les autres. A me faire souffrir, moi. Qu’il ne sortirait jamais de ma vie… il s’agrippait à moi comme à une bouée de sauvetage. C’était lui ou moi. De la même façon qu’il s’était « raté » la dernière fois, il n’oserait pas sauter ce jour-là, même si j’étais sûre que c’est à ça qu’il pensait. Je me suis dit « Pousse-le ».

 

Je ne sais plus ce qui m’a retenue de le faire, mais je l’ai souvent regretté. Non seulement pendant les semaines d’enfer que j’ai dû vivre encore avec lui après ce jour-là, mais aussi longtemps après avoir finalement réussi à me dépêtrer de cette histoire. Je le tiens pour responsable de la misère sentimentale de ma vie après qu’il l’a consciencieusement ravagée. Et si je l’avais poussé, peut-être n’aurais-je pas eu à faire ce que j’ai fait à… à… l’autre, là. Ah zut… comment s’appelait-il ? Bon sang… comment ai-je pu déjà l’oublier ? Peut-être qu’il ne m’a pas dit son nom ? J’ai pourtant bien dû lui demander… enfin bref. Peu importe. Je ne vois pas l’intérêt de remuer tout ça. Ce serait idiot de me miner le moral aujourd’hui alors que je me sens si bien !

 

***

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4 septembre 2009 5 04 /09 /septembre /2009 01:12

 

Un mois déjà. Un mois seulement, devrais-je dire… Tout allait si bien. Ma bonne humeur a tout changé ! Ambiance bien plus agréable au bureau, sorties en nombre, vie sociale ressuscitée… Quel pied ! Et puis hier… je ne sais pas. Une rechute. Un peu de fatigue, sans doute, mais mes idées noires ont fondu de nouveau sur moi d’un coup, en bloc, sans que j’aie pu comprendre d’où elles venaient et sans que j’aie eu le temps de réagir.

Je me suis de nouveau sentie si seule, si lasse, si… malheureuse.

J’avais tellement peur que mes vieilles déprimes me retombent dessus ! Je me suis fait une beauté et j’ai filé. J’ai ramassé le premier type pas trop vilain qu’a eu l’air de me trouver à son goût. Plutôt, je l’ai laissé me ramasser. M’offrir un verre. Me conter fleurette. Me parler de sa femme qu’il va quitter. De ses enfants qu’il aime par-dessus tout. De ses nobles sentiments à l’égard des femmes en général, moi en particulier. De son appartement à deux pas d’ici.

 

J’avais dans l’idée de trouver de la compagnie pour ne pas laisser la déprime gagner du terrain et reprendre le dessus. J’avais évidemment pensé qu’une compagnie masculine serait la bienvenue. J’avais bien sûr caressé l’idée d’une nuit d’amour, même si d’amour, je le savais, il n’y en aurait guère. Mais je n’avais pas pensé à ça. Vraiment pas. Et encore une fois je ne comprends pas comment les choses se sont enchaînées. Il était agréable, charmeur, mais pas plus que nécessaire, tendre sans avoir l’air de se forcer juste pour me dessaper… D’ailleurs je n’ai ôté mes vêtements qu’après-coup. Lui n’a pas eu un geste déplacé. Alors que s’est-il passé exactement ? Sans doute encore une fois une réaction consciente à un déclencheur inconscient. Ou l’inverse. Je n’en sais rien. Mais comme la première fois, tout a été tellement facile !

 

Lui non plus n’a pas eu peur. Il n’a pas dû comprendre ce que je comptais faire. A juste titre d’ailleurs puisque moi-même j’aurais été bien incapable de l’expliquer. Alors il m’a juste regardée approcher avec un étonnement amusé. Il devait penser à un genre de jeu. Un jeu. Un peu cruel, alors, pour le moins. Je crois que je lui souriais moi aussi en retour. Et même si son regard s’est voilé, il semblait toujours sourire quand j’ai enfoncé le couteau dans sa gorge.

Ça a fait un drôle de bruit. Sa bouche s’est tordue en un rictus bizarre. En le regardant, comme ça, avec cet air qu’il avait d’hésiter entre rire et pleurer, il m’a fait penser à Ludo.

Je n’y avais pourtant plus pensé depuis longtemps… Une petite histoire sympathique, légère, sans importance. Pas de grandes déclarations, pas de promesses, juste un peu de bon temps, rien qui n’ait eu vocation à durer. Je ne sais pas pourquoi il s’est mis à m’ignorer, après. Ce n’est pas moi qui avais décidé de lui refuser mon cul, c’est lui qui n’en voulait plus. Je ne lui ai même pas reproché. Alors je ne sais pas pourquoi il est devenu si distant et arrogant. Ce n’était pas indispensable qu’il s’efforce d’être blessant.

 

Mais j’avais mieux à faire que m’apitoyer sur mon sort dans l’immédiat. Empreintes, aspirateur, douche, … J’ai dû changer de chemisier : du sang avait giclé sur le mien. J’ai cherché dans l’armoire… sa femme devait être très différente de moi vu le style et la taille de ses fringues. Alors j’ai pris un polo qui devait être à lui et fourré mon chemisier dans mon sac. Un dernier coup d’œil avant de filer… Les verres ! On avait bu. Laver les verres. Le mien en tout cas. Autre chose que j’aurais oublié ? Non. Plus rien a priori. Je n’avais plus qu’à rentrer discrètement en espérant ne croiser personne.

 

***

 

-  Oui allô ?

-  Marie ?

-  Oui.

-  Bonjour, c’est Nathan.

-  Nathan ?

-  Nathan, oui…

-  Et qu’est-ce que tu me veux ?

-  Ah… mon appel n’a pas l’air de t’enchanter.

-  Il aurait pu m’enchanter il y a deux ans, quand je croyais qu’on était amoureux et que j’attendais que tu me rappelles pour me dire quand tu allais revenir, mais là…

-  On ne peut pas oublier le passé ?

-  Oublier le passé ? Tu veux savoir comment je l’ai vécu, ce passé ? Tu veux que je te raconte ?

-  Allez… je sais, j’ai été nul… Mais j’ai changé.

-  Ben voyons !

-  Tu sais, ça n’a pas été facile pour moi non plus…

-  Ecoute, si tu m’appelles pour m’expliquer comme il a été pénible pour toi de cesser de me donner signe de vie brutalement, sans la moindre raison et aucune explication, autant te dire tout de suite que je n’en ai rien à secouer.

-  Mais non, c’est pas ça…

-  C’est quoi alors ?

-  Ben on était bons amis, quand même…

-  On l’était, oui.

-  Tu ne penses pas qu’on pourrait le redevenir ?

-  Non.

-  Non ?

-  Non !

-  Tu en es…

-  Sûre, oui. Maintenant fous-moi la paix s’il te plaît.

 

Pas croyable ! Nathan.

Deux ans pour que j’ose me laisser approcher de nouveau par un homme après lui, et voilà qu’il se permettait de me parler de notre amitié ! Bon sang… J’étais pourtant de bonne humeur, là, depuis… ben depuis l’autre, là. Machin. Celui qu’avait un peu le sourire de Ludo. Alors pourquoi avait-il fallu que ce petit con de Nathan me fasse l’affront de s’inviter comme ça dans mon nouveau bien-être ?

Nathan. Encore une brillante réussite amoureuse, celui-là, tiens ! Ah ça, pour être ami, on était ami, sûr… plutôt deux fois qu’une ! On passait le plus clair de notre temps ensemble et je crois que je n’ai jamais autant ri qu’avec lui. Une belle amitié, sans ambiguïté. Jusqu’à ce que je découvre qu’elle était on ne peut plus ambiguë, le jour où il m’a dit qu’il était amoureux de moi depuis la première fois qu’il m’avait vue. Passée ma première réaction de surprise, je me suis dit qu’après tout, puisque mes histoires d’amour étaient foireuses, peut-être que la transformation d’une amitié en relation plus intime pourrait donner de meilleurs résultats… Erreur ! Une fois que je me suis vraiment mise à y croire, cet affreux petit connard capricieux a pris la tangente et a tout bonnement cessé de répondre à mes appels et messages divers. Deux ans pour m’en remettre. Ou du moins me donner l’illusion de m’en être remise, parce que vu dans quel état son appel me mettait…

 

Quel gâchis ! J’allais si bien… Et en quelques minutes à peine je me retrouvais plongée une fois encore dans les affres de mes échecs passés, de mes craintes à venir, de mes blessures mal cicatrisées… Je ne trouverais donc jamais la paix ?

Il me fallait un verre. En sortant, je suis tombée sur l’ex de la voisine. Une copine. Il est plutôt bel homme, mais la loyauté avec les copines interdit de fricoter avec. Je ne sais pas ce qui est pire entre piquer le mec d’une copine ou se taper son ex. Quoi qu’il en soit, on a discuté cinq minutes poliment et de fil en aiguille… Les choses sont allées très vite cette fois. Il était bien comme le disait ma copine. Un putain de coureur. Alors à peine arrivée chez lui j’ai très vite fait ce qu’il semblait naturel et évident de faire.

Même le nettoyage est allé vite : je n’avais pas eu le temps de toucher à grand-chose… Mais je m’en voulais un peu quand même. Bien qu’il n’y ait pas de raison de chercher de mon coté, il y avait néanmoins possibilité de remonter indirectement jusqu’à moi. Erreur. Grossière erreur. A ne jamais, jamais reproduire.

 

***


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4 septembre 2009 5 04 /09 /septembre /2009 01:11

 

-  Mais bien sûr que je comprends, Caroline, enfin…

-  Non, parce que la dernière fois que je suis venue pleurer à cause de lui, c’était en le traitant de salaud !

-  Ben oui, mais avant qu’il se comporte comme ça, tu l’as aimé…

-  Oui… et puis bon, quelqu’un qu’on connait, assassiné, comme ça… ça fait un choc, tu sais, Marie.

-  Je veux bien te croire ! Même moi, hein, je ne le connaissais pas vraiment, mais ça me fait tout drôle aussi.

 

Et le pire, c’est que c’était vrai. Comme si d’apprendre sa mort par quelqu’un d’autre avait effacé ce que j’avais fait. J’étais sincèrement choquée. Et encore plus sincèrement compatissante. Quelle connerie ! Plus jamais, jamais quelqu’un que je connaissais. Même indirectement.

 

-  Et tu sais que la police m’a interrogée ?

-  Non ?! Ils te soupçonnent ?

-  Pas vraiment, non. De toute façon j’étais pas là, j’étais en week-end, mais bon… ils ont vérifié quand même.

-  Vache !

-  Comme tu dis !

-  Ils t’ont demandé d’autres trucs ?

-  Ben ouais, des trucs du genre « est-ce qu’il avait des ennemis », tout ça… j’ai pas dû les aider beaucoup. Ils pensent que c’est un homme qui l’a tué.

-  Ah ?

-  Ouais, ils disent que les femmes, ça tue pas comme ça.

-  Pas comment ?

-  Avec un tel sang-froid. Ils disent que les femmes, c’est toujours passionnel. Que là, ça ressemble à un meurtre de hasard, un rôdeur…

-  Ah bon…

-  Ouais.

-  Je te ressers un verre ?

-  Oh oui ! Putain, je commençais tout juste à me remettre du divorce…

-  T’en fais pas, ça ira… Tu es sous le choc, c’est normal, mais tu verras, tu surmonteras ça aussi. Et puis t’es pas toute seule, hein, tu sais que tu peux compter sur les copines !

-  Ouais, une chance… toi d’ailleurs t’as l’air d’aller vachement mieux depuis quelques temps… t’as dégoté un super psy ou quoi ?!

-  Hé hé… non. Mais c’est vrai que je reprends du poil de la bête, oui…

-  C’est bien. Tant mieux. Allez : à la tienne, Marie !

-  A la tienne, Caroline.

 

***

 

Cette histoire m’avait fichu un coup. Caroline semblait assez bien s’en remettre – après tout c’était le salaud qui lui avait valu des mois d’antidépresseurs et des années de thérapie – mais je n’arrivais pas à m’enlever de l’idée que j’avais mal agi. Sans compter le risque que j’avais pris. J’avais été extrêmement négligente, inconséquente et stupide.

J’essayais malgré tout de ne plus y penser.

Depuis Didier, j’avais pris la résolution ferme de ne plus jamais, jamais laisser un homme me faire souffrir, alors je n’allais quand même pas me laisser abattre par un cadavre ?

Bon sang, Didier… et voilà, il fallait que j’y repense… Des mois à me vider la tête de centaines de souvenirs, des mois pour ne plus pleurer chaque soir en pensant à lui, des mois avant de pouvoir revivre presque normalement, et voilà que tout me revenait d’un coup, brutalement, le bon comme le mauvais. Le bon, surtout. Le plus douloureux.

 

Qu’est-ce que j’ai pu l’aimer, Didier… Et d’une certaine manière, je crois que je l’aimerai toujours. Il était tellement tout ce dont j’avais toujours rêvé… Il était exactement l’homme que je voulais aimer. Et l’homme dont je voulais être aimée. Alors je lui ai tout donné… mon amour, mon corps, ma confiance, ma vie, mon fric, mes clés... tout. Et je ne l’ai jamais regretté. Il a été et restera ma plus belle histoire d’amour. Ma seule vraie belle histoire d’amour. Alors ça valait bien le coup. Et puis c’est moi qui l’ai quitté…

Il m’a fait accepter l’inacceptable. Une fois, deux fois, trois… jusqu’au jour où j’ai dit que c’était la dernière fois. Il a pleuré, demandé pardon. J’ai pleuré, pardonné. Il a promis. Et il a recommencé. Alors quel autre choix est-ce que j’avais ?

Entre souffrir sans lui ou souffrir encore avec lui, j’ai choisi la souffrance qui épargnait ma fierté. Et j’ai sans doute bien fait parce qu’il n’a jamais cherché ni à me retenir, ni à me récupérer par la suite. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Et je n’en ai plus jamais demandé.

J’ai juste décidé que plus un homme ne me ferait pleurer à l’avenir, mais voilà qu’à seulement repenser à lui je commençais à sangloter…

 

Hors de question que ça recommence ! Je ne pouvais plus vivre comme ça, impossible, j’avais perdu assez de temps, de poids, d’énergie en chagrin d’amour pour au moins deux vies déjà. Il fallait que je me reprenne tout de suite.

J’ai mis des gants et des fringues dans un sac et je suis partie chercher un remontant. Cette fois, je n’ai pas fait la difficile. Il n’était pas question de me faire sauter ce soir, seulement d’évacuer un trop plein d’émotion. Le premier qui m’a offert à boire, je ne lui ai même pas laissé le temps de passer commande à la serveuse, je lui ai directement proposé d’aller chez lui. Ce qu’il a accepté sans hésiter. Les hommes se croient tellement irrésistibles… Ce serait drôle si ce n’était pas si pathétique.

 

J’ai sorti mes gants pendant qu’il ouvrait la porte. Il s’en est étonné. Je lui ai promis qu’il adorerait. Ce con a eu une érection instantanément. On est entré. Je lui ai demandé où était la cuisine. Je lui ai dit de s’installer au salon et de fermer les yeux. Il l’a fait. Les hommes ne doutent de rien, quand même.

A la cuisine, j’ai vite trouvé mon bonheur… J’étais tombée sur un célibataire cette fois. L’évier débordait de vaisselle sale et je n’ai eu aucun besoin de fouiller pour trouver un grand couteau. Il avait toujours les yeux fermés. Il a demandé ce que je mijotais. J’ai répondu « surprise » et lui ai planté la lame dans le ventre. La première fois il a ouvert grand les yeux et les a posés sur moi avec un air de totale incompréhension. Quand j’ai retiré la lame pour la planter une seconde fois il a tourné son regard vers la tâche sombre qui s’agrandissait sur sa chemise.

Pas besoin de nettoyage cette fois-ci. Je n’avais même pas sali mon tee-shirt. Je suis repartie sans traîner. Je me sentais mieux.

 

***


Suite et fin



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4 septembre 2009 5 04 /09 /septembre /2009 01:10

 

On entend souvent dire que les tueurs en série sont des hommes qui se trompent de victimes. Qu’ils ont souffert d’une mère castratrice et que c’est elle et elle seule qu’ils pensent tuer un peu en tuant toutes les autres. Il en va de même des séducteurs invétérés qui veulent aimer un peu leur mère dans chaque femme qu’ils séduisent… même s’ils sont moins violents.

Mais on ne dit rien des femmes qui tuent. Il y en a quelques-unes, pourtant. Et elles mettent en moyenne beaucoup plus de temps à se faire prendre que les hommes. Faut dire que souvent les hommes enragent de ne pas être connus et reconnus pour ce qu’ils font. Alors que les femmes semblent assez peu aspirer à ce genre de gloire. Faut dire aussi que les femmes sont de toute façon moins violentes. Elles tuent majoritairement en administrant du poison, tandis que les hommes tuent plutôt de leurs propres mains ou à l’arme blanche.

 

Ce que je trouve dingue, c’est qu’il y ait autant d’informations et de littérature sur ce sujet ! Les gens sont vraiment bizarres. Mais c’est vrai que de nos jours, on peut lire tout et n’importe quoi sur… tout et n’importe quoi.

Mais pas un mot sur moi. Enfin, pas vraiment sur moi, mais sur mes… mes trucs, là. Je n’étais pas à l’affut, mais j’aimais autant savoir qu’on ne me cherchait pas. Et jusqu’ici, tout allait bien. J’avais plutôt le moral depuis un moment. Le passé était de nouveau oublié et j’allais de l’avant en toute confiance. Je fuyais les hommes comme la peste, mais tant que je gardais prudemment mes distances, tout allait bien.

 

Alors j’ai rien vu venir quand tout m’est retombé dessus d’un coup. Je n’aurais pas cru que ça pourrait venir de lui, en plus. Bien sûr on avait eu des hauts et des bas, mais au final il était loin d’avoir été celui qui m’avait le plus fait souffrir. En tout cas j’ai toujours été persuadée, et je le suis encore aujourd’hui, qu’il ne m’a jamais fait souffrir sciemment. Il aurait tout fait pour l’éviter s’il avait su. Et je gardais de notre histoire, au fond, un souvenir plutôt agréable. On s’était quitté raisonnablement puis perdu de vue doucement, sans heurt, sans crise, sans drame. Une histoire somme toute assez normale.

Je ne l’avais plus vu depuis des lustres quand on s’est croisé devant ce cinéma. Il n’avait pas changé. On est allé boire un verre. Un moment sympathique. On a parlé du bon vieux temps, sans s’étendre plus que ça sur ce couple mal assorti qu’on formait. Un échange assez anodin entre deux adultes raisonnables avec une histoire commune et chacun une vie.

 

On s’est quitté en se promettant de se rappeler, en sachant bien qu’on ne le ferait pas et content l’un comme l’autre sans doute d’avoir eu la confirmation qu’on avait eu raison de se séparer. Alors je ne sais pas du tout pourquoi je l’ai rappelé. Et pourquoi je me suis sentie tellement bafouée qu’il ne me rappelle pas. Encore moins pourquoi j’ai cru mourir en apprenant qu’il s’était marié… Je sombrais de nouveau. Il fallait à tout prix que j’agisse vite pour y remédier. Et c’est là que j’ai merdé.

 

A agir sous le coup de la panique on ne fait jamais rien de bon. J’ai accumulé les erreurs. Mal choisi le lieu. Mal choisi la victime. Mal choisi l’arme. Mal choisi l’endroit où j’ai frappé. J’ai eu un mal fou à tuer le gus que j’avais aguiché en deux temps trois mouvements à un feu rouge. Il ne voulait pas mourir, bon sang. C’était terrible. Il criait, saignait de plus en plus à mesure que j’enfonçais ma lame trop courte partout où je pouvais, mais il ne voulait pas mourir. Et puis il a réussi à me blesser. Je ne savais plus à qui était le sang, je ne supportais plus ses cris, c’était épouvantable. J’ai fini par réussir à atteindre sa gorge et je me suis enfuie en courant, sans nettoyer, sans me doucher, rien. Il avait fait tellement de bruit que je ne voulais pas prendre le risque de perdre encore du temps chez lui.

 

***

 

Il n’a pas fallu deux jours avant que les flics débarquent chez moi. Ils n’avaient pas encore de quoi être sûrs que j’étais celle qu’ils cherchaient, mais ils semblaient me soupçonner. J’avais dû laisser chez le dernier type des preuves qui leur permettraient de m’enfermer pour au moins cent ans. Ce n’était sans doute qu’une question de temps. Je me sentais acculée.

 

J’ai cherché que faire pour me donner une chance de m’en sortir et j’ai pensé au psy. Je me suis dit que si j’avais l’air d’entreprendre une thérapie, j’arriverais peut-être à me faire passer pour une folle. Et qu’en lui racontant mes difficultés relationnelles avec les hommes, un bon psy me trouverait peut-être des explications valables, qui me feraient des excuses acceptables et des circonstances atténuantes en cas de procès.

 

J’ai pris le bottin, appelé tous les psys du quartier jusqu’à tomber sur un qui pouvait me recevoir le jour même. Il m’a demandé ce qui m’amenait et je lui ai donc raconté mes échecs amoureux, ma peur de souffrir, tout ça… Il ouvrait pas la bouche. Alors moi, vu que j’ai un peu de mal avec le silence, je blablatais… Lui se contentait de hocher la tête. Mais il ne semblait pas opiner en réaction à ce que je racontais, il hochait juste la tête à intervalles réguliers, mécaniquement, comme les petits chiens à la con sur les plages arrières des voitures de beauf. J’ai vite compris qu’il m’aiderait pas beaucoup, celui-là. Alors comme j’allais raquer quand même, j’ai continué à le gaver avec mes histoires. Question de principe.

J’en ai même inventé des débiles pour me marrer. Aucune réaction. Jusqu’à ce qu’il lève les yeux sur son horloge et me dise « Bien bien, on va s’arrêter là. Au prochain rendez-vous on parlera de votre père ».

 

Je suis presque sûre que si j’avais été un homme venu consulter pour une phobie des araignées ou pour arrêter de fumer, il m’aurait dit qu’on parlerait de ma mère la fois suivante. Bref. J’étais pas très avancée, mais en sortant, vu qu’il venait de m’y faire penser, je me suis dit que j’étais pas très loin de chez mon père et que ça faisait longtemps que j’étais pas allée dire bonjour. Alors j’y ai fait un saut. Et je ne sais pas… je ne m’explique pas vraiment. Les choses se sont passées presque malgré moi, encore une fois. Mais là… non, je ne sais pas. Je n’ai pas éprouvé le besoin d’effacer mes traces, de fuir, de me cacher… au contraire. J’ai appelé la police.

 

Au fil des interrogatoires je me suis aperçue qu’ils ne me soupçonnaient pas du tout pour les autres types, mais dans le fond je m’en foutais un peu.

Le psy, lui, a dû se sentir con en se rendant compte que j’avais filé tout droit massacrer mon père en sortant de chez lui, parce qu’il s’est défoncé pour m’aider. Et pour pas un rond.

 

Du coup, je suis dans une chambre blanc immaculé avec des sangles sur le lit au lieu d’une cellule grise avec des cafards dans les draps. Je ne sais pas si c’est mieux ici qu’en prison. En prison j’aurais sans doute eu besoin de me battre pour pouvoir me droguer. Ici on me drogue à l’œil et sans que j’aie à demander.

 

Je me sens bien maintenant. Apaisée.

 

***


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