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28 septembre 2009 1 28 /09 /septembre /2009 00:12

 

La dame d'un certain âge qui lit France-Soir dans un coin du compartiment est une dame comme toutes les dames d'un certain âge à l'exception toutefois qu'elle porte des chaussures d'homme. Et que c’est un homme. Le choix de faire le voyage dans cet accoutrement est pour le moins surprenant et osé. On sait tous qu’il n’y a pas plus de femmes dans ce train qu’il n’y en aura là-bas. C’est même la seule chose qu’on sait sur « là-bas ». Pourquoi chercher à se faire cataloguer d’entrée comme fiotte, alors que c’est sans doute une des raisons qui l’ont poussé à se porter volontaire ? Il pense vraiment que tout sera différent là-bas ?

En s’apercevant que je le regarde, il semble mal à l’aise, alors je reporte mon attention sur le paysage qui défile. Moi c’est pas ma tasse de thé, les fiottes. Ça me fait beaucoup plus pitié qu’envie. Je suis plutôt du genre solitaire et ça m’a assez bien réussi jusque là. Je ne fais partie d’aucun clan, aucune meute, aucun gang, aucune famille. Et c’est entre autres pour ça que je fais toujours partie des vivants. Ça, ma carrure et mon pédigrée.

Je n’ai déjà plus aucune idée d’où on est. Je m’en fous, d’ailleurs. Ils peuvent bien nous balader autant qu’ils veulent avant de nous amener à destination, pour ce que ça change. On en est déjà à un avion, un car, deux trains et après on prend un bateau. Mais on est sans doute tous pareils, c’est pas où on va qui importe, mais d’où on part. On a un enfer à fuir, pas un paradis à gagner.

 

***

 

Je crois pas me tromper en disant qu’on a tous été surpris en arrivant. On a beau être du genre dur à cuire, on s’attendait pas à ça quand même. Dans le premier bateau, on était vingt. Ils nous ont largués sur cette plage et sont repartis. On a mis un moment à comprendre qu’ils ne reviendraient pas. Et qu’il n’y avait que nous ici.

L’île était grande, sauvage, verdoyante et peuplée d’animaux qu’on n’avait jamais vus. On n’avait rien. Les fringues qu’on portait et c’est tout. Même La Fiotte avait pas pu garder son journal.

 

***

 

-          Putain ! ça a d’la gueule !

Et merde. Je déteste qu’on vienne me faire chier quand je suis là le soir. Quand le soleil commence à décliner et que le ciel prend cette teinte rose-orangée. La vue d’ici est… surréaliste. Et y a jamais personne qui vient m’emmerder. Le peu de types qu’ont découvert l’endroit depuis que j’en ai fait mon coin n’y reviennent plus. Pas à cette heure en tout cas. Mon coin, mon moment. Ça doit être un nouveau. L’arrivage d’hier sans doute. Ne pas le laisser s’installer.

-          Casse-toi.

-          Et pourquoi j’me casserais ?

-          Parce qu’ici et maintenant, y a que moi. Ça fait dix ans que ça dure et c’est comme ça tous les jours. Alors tu te casses.

-          Ben ouais, mais c’est qu’la vue me botte sacrément, hein ? Et j’vois rien qui dit qu’c’est une propriété privée. Alors si j’veux poser mon cul à coté du tien… ben p’t’êt’ même que j’vais te d’mander d’le virer d’là, le tien, en fait.

-          Fais donc pas trop l’mariole…

-          Hé hé… houuuu ! le grand méchant me fait peur !

-          T’ont pas prévenu les autres ?

-          J’parle pas aux autres. Et qu’est-ce qu’ils auraient dû m’dire ?

-          Qu’il faut pas m’emmerder quand j’suis là.

-          Et ils respectent ça parce que… ?

-          A ton avis ?

J’ai dit ça avec le regard le plus méchant que j’sais faire, mais le gars avait pas l’air d’un tendre non plus et puis le regard qui tue marche mieux sur ceux qu’ont eu vent de ma réputation. C’était pas encore son cas. Ça viendrait.

-          Eh mec ! ce s’rait pas toi qu’ils appellent « Le Pionnier » ?

-          Et ben tu vois qu’tu parles aux autres !

-          C’est eux qui m’ont parlé. Première fournée alors ?

-          Ouais.

De la première fournée, il restait La Fiotte et moi. Mais y a que moi qu’on appelait Le Pionnier, parce que La Fiotte, on l’appelait La Fiotte. J’aurais d’ailleurs jamais cru qu’il survivrait aux autres, lui. Il a été plutôt malin. Les autres, ils ont pas mal fait les cons, faut dire. Y en a deux qu’ont essayé de se bricoler un radeau pour se faire la malle ; on a retrouvé leurs corps échoués sur la plage, à moitié bouffés par les crabes et les mouettes deux semaines plus tard. Y en a quelques-uns qu’ont bu et mangé n’importe quoi et qu’ont choppé des maladies dont ils se sont pas remis. Un qui s’est fait bouffer par une bête, on n’a jamais trop bien su laquelle. Mais La Fiotte a tenu le coup.

Pour pas se faire emmerder, il s’est isolé dès qu’on est arrivé. Il s’est aménagé un genre de campement, il a fait comme un potager qu’on a jamais bien compris comment il s’y était pris, et quand il a eu fini de tout bien s’installer, il s’est de nouveau mêlé aux autres. Il nous a montré ce qu’il avait fait, la source d’eau douce qu’il avait trouvée et tout ce qu’il avait réussi à tirer de cette île en moins de temps qu’il nous avait fallu à nous pour nous faire à la chaleur. Alors plus personne a voulu l’emmerder. Tout le monde a compris qu’il serait beaucoup plus utile vivant et conciliant.

Mais tout le monde a continué à l’appeler La Fiotte. Lui, il préférait ça et pas se faire enculer sous les douches plutôt que le contraire. Le nouveau a continué à me poser des questions :

-          Et tu savais qu’c’était comme ça, ici ?

-          Personne savait rien à l’époque. Et j’imagine que c’est toujours pareil…

-          Ouais. Faut dire qu’y a personne pour raconter.

-         

-          Tu f’sais partie des volontaires alors ?

-          Hm… mais vu c’que j’avais comme alternative… et toi ?

-          Pas eu l’choix.

Ah… c’était donc effectivement pas un tendre. D’autant que pour un contraint il avait pas l’air taré. Les dingues sont rarement méchants. Les autres…

-          Y a vraiment aucun moyen d’se barrer ?

-          Si y en a un, personne l’a encore trouvé. Et depuis l’temps… Ah !

-          Quoi ?

-          Le bateau…

-          Putain ! ça existe vraiment ?

-          T’en avais entendu parler ?

-          Ouais… on entend un tas d’conneries sur c’t’endroit…

-          T’y croyais pas ?

-          Au bateau ? Ah non ! non… Putain c’est quand même dur à avaler !

-          Ouais. Les gens sont bizarres, hein ?

-          Et c’est nous les curiosités…

Apparemment, le flou régnait toujours autour de l’île. Les nouveaux étaient toujours étonnés par ce qu’ils découvraient. Le bateau notamment restait donc un secret bien gardé… Faut dire que pour c’que j’en savais – pas grand chose en somme – c’était un truc pour gros richards qu’avaient les contacts qu’il fallait. Pas à la portée du touriste moyen.

Souvent une autre surprise de taille était l’absence de… tout. On arrivait là et on se démerdait. J’ai toujours pensé qu’ils espéraient qu’on s’entretue. Mais personne se donne la peine de vérifier, on se démerde aussi avec nos morts. Le bateau approchait et… oui. Elle était là.

-          Qu’est-ce t’as ?

-          Hm ?

-          Qu’est-ce tu r’gardes comme ça ?

-          Le bateau.

-          Il te fait toujours cet effet là ?

-          Hm…

-          Putain ! C’est qu’y a une sacrée bombasse, là ! Mate la rouquine ! T’as vu ces nibards ?! Putain… j’en avais pas vu des com…

-          Ta gueule !

-          Eh ! J’t’emmerde ! Non mais t’as vu c’te salope ?!

Il a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait quand je lui ai collé mon poing dans la gueule.

-          Cette salope, trou du c’, c’est ma fille ! Encore un mot déplacé et elle pourra montrer à ses touristes comment un connard de nouveau peut rapidement s’faire bouffer par les requins s’il apprend pas à fermer sa grande gueule !

Même par terre la tronche en sang il a encore trouvé moyen de la ramener :

-          Et ben… C’est qu’elle doit sacrément t’détester pour faire le guide à ces dégénérés !

-          Parle donc pas des choses que tu connais pas, ça t’évitera des tas d’emmerdes.

Ma fille… J’avais pas eu l’occasion de lui dire de pas faire ça. J’avais plus eu l’occasion de lui parler depuis que j’étais ici. J’étais parti entre autres pour qu’elle arrête d’organiser sa vie autour des heures de visite. Si j’avais su… J’avais jamais rien dit à personne et voilà qu’au bout de dix ans que la môme s’était fait embaucher sur ce rafiot, j’le disais à un parfait inconnu fraîchement débarqué ! Un contraint, en plus… Mais pour un contraint pas taré, il avait l’air d’avoir un soupçon d’humanité résiduelle, parce qu’il l’a bouclée jusqu’à c’que le bateau disparaisse. Il a fini de cracher son sang et il a repris :

-          Et ils sont tous aussi chaleureux qu’toi dans l’coin ?

-          Ta gueule !

-          Ça doit dézinguer à tour de bras, je suppose ?

-          Non. Non, pas du tout. C’est plutôt cool. Ça bastonne pas mal, mais rien de plus.

-          Rien ? Alors qu’on est tous là pour…

-          Question d’survie, mec, qu’est-ce que tu crois ? Parce que la moitié te dirait l’contraire, mais y a pas lourd d’innocents, sur l’île aux assassins…

 

***

 

 

 


la suite


 

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commentaires

F
<br /> C'était déjà fait.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> ;o)))<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> cette nouvelle est partie d'un texte très court qui se terminait là, en fait... du coup il ne me paraissait pas impossible que ce début puisse être pris pour une fin !<br /> <br /> <br /> pour me vanter un tout petit peu (je peux ??? ;o) cette nouvelle a été primée dans un concours ("sang pour sang polar") et j'en suis trèèèès fière!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci de ta lecture!<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Mais où vas-tu chercher tes idées ? J'aime beaucoup.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> j'ai eu une enfance difficile...   ;o))))<br /> <br /> <br /> Merci ! Mais il faut lire la suite alors ;o)<br /> <br /> <br /> <br />
H
<br /> Pas le temps d'approfondir non plus...<br /> Mais j'y reviendrais, pis à l'envers pour le coup ;)<br /> Mais surtout tu postes en rafale! Ouch!<br /> <br /> <br />
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P
<br /> pas grave ;o) pardon !<br /> <br /> <br />
J
<br /> Bon... juste pour dire que je prendrai le temps de lire ça plus tard... Alors pose ce fusil, calme toi et et attend le commentaire.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> ah... ok. Je range aussi le couteau, alors ?<br /> <br /> <br />

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