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28 septembre 2009 1 28 /09 /septembre /2009 00:10

 

J’ai entendu des cris, une engueulade sûrement. Ça arrivait souvent, mais ça allait jamais très loin. Y avait beaucoup moins de tension qu’en taule, ici. Pas sûr que c’est à ça qu’ils s’attendaient en nous larguant comme des bêtes dans un genre d’enclos cerné par les requins, n’empêche que s’ils espéraient vraiment qu’on s’entretue ils s’étaient bien plantés. Déjà, ici, pas de maton pour nous monter les uns contre les autres, diviser pour mieux régner… Et puis chacun trouvait sa place, son utilité, l’utilité de l’autre – qui savait cuisiner avec trois fois rien, qui était assez ingénieux pour bricoler des trucs utiles, qui chassait ou pêchait efficacement. Alors l’ambiance était finalement plutôt pas désagréable.

Mais là, le ton commençait à monter. Et puis Le Nouveau est arrivé en courant. Il était plus si nouveau, mais je l’appelais toujours comme ça parce qu’y avait pas de nouveau plus nouveau que lui à qui j’aurais pu attribuer le surnom. Faut dire aussi que j’avais pas besoin de surnommer grand-monde, j’étais pas du genre très liant. Nos vrais noms, on se les disait pas. Un genre d’accord tacite. Une façon de pas traîner sa vie d’avant jusqu’ici. Et on savait tous qu’on n’aurait pas de vie après, alors autant se débarrasser des excédents de bagages et voyager léger sur cette espèce de terre à taulards surréaliste.

-          Amène-toi !

-          Quoi ?

-          La Fiotte…

-          Et ben ?

-          Mort.

-          Merde.

J’ai suivi Le Nouveau jusqu’à l’attroupement autour du corps de La Fiotte. Les gars paraissaient nerveux, je comprenais pas pourquoi. Bien sûr La Fiotte était un ancien, un genre d’emblème ou de mascotte, même, vu comment il avait réussi à survivre ici, mais pour autant y avait pas vraiment de grands sentimentaux parmi nous et personne semblait jamais s’émouvoir plus que ça d’habitude quand un gars mourait. J’ai compris quand j’ai réussi à approcher suffisamment du corps pour voir le trou bien net dans sa poitrine. Il avait pris une balle dans le cœur.

On avait beau s’être bien démerdés sur cette putain d’île, on n’avait pas fabriqué d’arme à feu avec du bambou et des caillasses. Et personne était supposé avoir débarqué ici avec une arme. Cette histoire sentait pas bon. J’ai relevé la tête et j’ai vu que les gars commençaient déjà à se toiser, à se flairer, à bomber le torse… Non, ça sentait vraiment pas bon.

 

***

 

J’ai passé les deux ou trois jours d’après à distance raisonnable des autres pour éviter les tensions. Et puis j’ai voulu prendre un peu le large et en profiter pour nous rapprovisionner un peu en poissons, mais l’espèce de radeau qu’on avait bricolé avait été saccagé. Je suis allé voir Selim, le gamin avec qui j’avais fabriqué le truc et qui l’utilisait aussi, et je l’ai trouvé en grande conversation avec des gars à qui je l’avais jamais vu causer avant. Je l’ai appelé et au lieu de venir il m’a regardé comme en s’excusant et il s’est éloigné. Un des types avec qui il était est venu me demander si j’étais musulman. J’ai pas pu m’empêcher de me marrer :

-          Eh ! tu déconnes, mec ? Je suis pas plus musulman que Selim l’était hier !

-          Selim a rejoint ses frères maintenant.

-          Ses frères mon cul ! Dis-lui de venir : quelqu’un a bousillé le radeau et il sait peut-être quelque chose.

-          Il sait ce qu’on sait tous : ce sont les mêmes qui ont tué La Fiotte.

-          Ah ouais. Vous savez ça vous ?

-          Les aryens, probablement. Ou les motards.

-          Qu’est-ce c’est que ces conneries ?

-          Rejoins les tiens, Le Pionnier. Les temps changent.

Selim musulman ! Ça aurait pu être drôle si ce que j’venais d’entendre avait pas été inquiétant. Les aryens, les motards… Non. Ça sentait pas bon. Je suis allé voir si les autres pêcheurs, plus loin sur la côte, avaient toujours leur barque et en chemin je suis passé par le jardin de La Fiotte. Tout était ravagé. Plus une fleur debout, plus un légume en état d’être mangé, même les arbres autour étaient déracinés. Un type qu’on appelait Le Barje était en train de creuser la terre.

-          Eh ! Le Barje ! C’est quoi c’boxon ?

Il a sursauté et fait tomber de ses mains noires de terre ce qui ressemblait à une pomme de terre à moitié écrasée. Il paraissait effrayé.

-          Calmos, mec ! Qu’est-ce qui s’est passé ici ?

-          J’en sais rien ! J’ai rien fait ! J’te l’jure !

-          J’me doute que c’est pas toi qu’as déraciné ces arbres !

-          Hin hin ! Moi je fais juste des provisions pour partir.

-          Partir ?

-          Dans la jungle, tiens ! Ils sont devenus barjes ici ! Hin hin… barjes. C’est marrant.

-          Marrant, ouais.

Y avait une bande de mecs qui zonaient un peu plus loin, derrière la cabane de La Fiotte. Cinq noirs, dont deux qui se seraient entretués y a quelques semaines de ça si personne les avaient séparés. Ils semblaient hésiter à venir me chercher des noises – à moi ou au Barje. Cinq contre deux dont Le Barje, c’était pas la peine de les provoquer. J’ai dit au Barje de dégager et j’en ai fait autant. Les noirs m’ont pas suivi. Je sais pas s’ils ont suivi Le Barje.

 

***

 

Le Nouveau semblait lui aussi résister à la tentation de rejoindre une meute ou une autre. Parce que c’est vraiment ce que c’était devenu. On dit que l’homme est un loup pour l’homme, on sait même pas à quel point on a raison. Bien sûr, on n’était pas une joyeuse colonie d’enfants de chœur ni une communauté hippie vivant d’amour et de cannabis, mais il avait régné sur l’île presque naturellement une sorte d’équilibre des forces qui avait jusque là permis de maintenir… la paix, en quelque sorte.

Il avait suffi de découvrir que quelqu’un, sur l’île, avait une arme à feu et s’en était servi pour que de précaire l’équilibre devienne instable et laisse finalement rapidement la place au chaos. Les plus teigneux et les plus violents avaient vite saisi l’opportunité et les plus trouillards ne demandaient pas mieux que se rallier aux uns ou aux autres. La suspicion et, très vite, la haine ont retrouvé la place qu’elles avaient perdue des années plus tôt. La plupart de ceux qui ne pouvaient se rallier à aucune meute avaient vite pris la tangente et se planquaient dans la jungle, où leurs chances de survie étaient sans doute un poil supérieures à ce qu’elles étaient devenues ici, mais guère.

L’ironie de la chose c’est que La Fiotte, qui avait été le premier à savoir exploiter cette putain d’île et qui était presque responsable à lui tout seul de la paix qui s’était imposée jusqu’alors devenait aussi, en s’étant fait abattre, celui par qui tout s’effondrait.

Le Nouveau et moi on tenait bon et on avait tous les deux des réputations qui suffisaient à nous faire respecter un minimum. Pour autant, on formait pas un clan à nous deux. On était plutôt les deux derniers solitaires de l’île. On restait discrets. On évitait les emmerdes autant que possible. Mais on sentait bien que ça devenait critique.

Je l’avais pas entendu arriver quand il a demandé :

-          Qu’est-ce tu fabriques ?

-          Une croix.

-          Ben j’vois bien, mais pourquoi ? Quelqu’un est mort ?

-          Pas encore…

-          Ah. Quelqu’un va mourir ?

-          Ça s’pourrait.

-          Tu vas m’laisser poser encore beaucoup d’questions avant d’expliquer ?

Non. Bien sûr que j’allais lui expliquer. A qui d’autre ? Mais qu’on soit deux asociaux impliquait pas qu’on soit amis, alors j’hésitais un peu. J’ai fini par me lancer :

-          C’est pour moi.

-          Hein ?

-          La croix. C’est pour moi. Enfin… plutôt pour ma fille. Enfin non, mais…

-          OK… je comprends rien, là. C’est toi ou c’est ta fille qui doit mourir ?

-          Moi ! Enfin je dois pas mourir, mais au cas où…

-          Tu veux un bel enterrement catholique et une prière pour ton âme ? Tu te foutrais pas d’ma gueule, là ?

-          Non… c’est pas ça. C’est le symbole. Si je mourais, faudrait que ma fille le sache. Si tu plantais la croix là où j’me mets d’habitude quand le bateau passe, elle comprendrait.

-         

-          OK ?

-          Et si je meurs avant toi ?

Ça, ça me paraissait pas possible. Il la ramenait pas beaucoup avec moi parce que je l’avais allongé le premier, mais tout le monde savait qu’il était bien plus mauvais que moi. Les autres s’attaqueraient à lui en dernier. Il a repris :

-          De toute façon, on va crever tous les deux si on fait rien.

-          Et tu voudrais qu’on fasse quoi ?!

-          Trouver l’enculé qu’a buté La Fiotte.

-         

-         

-          Rien que ça.

-          Quoi d’autre ? Faut bien que quelqu’un s’en occupe.

-          Toi et moi, justiciers de l’île ? Hé hé… la gueule de la justice !

-          Ouais, t’as raison, c’est mieux d’bricoler ta croix.

Non, bien sûr, c’était pas mieux, non. Mais l’île était grande, y avait des gars partout prêts à tuer avec leurs dents pour un seul pied posé au mauvais endroit, on n’avait aucune idée de qui on pouvait bien chercher… et on a beau avoir côtoyé pas mal la flicaille, on n’en devient pas fin limier pour autant. Sans compter que j’avais aucune raison de lui faire confiance, au Nouveau.

-          Et pourquoi j’irais avec toi ?

-          On sera pas trop d’deux contre un tueur armé.

-          Pourquoi moi ?

-          Putain, mec ! Les autres sont à ça de s’lancer dans une putain d’guerre des gangs ! Ou alors c’est le ramassis d’lavettes qu’a fui dans la jungle… Cherche pas, y a plus que toi et moi.

-          Je t’aime pas.

-          J’te parle pas d’amour, j’te parle de sauver notre peau, bordel !

Je savais qu’il avait raison. J’avais beau essayer de me tenir à l’écart des autres et des emmerdes, ça m’avait quand même pas échappé que les gars étaient fin prêts à passer à l’action et à redevenir les tueurs qu’ils avaient déjà été. Et ils commenceraient par se faire les dents sur des proies isolées. S’il y avait une seule chance de les calmer, c’était bien en ramenant le tueur et le flingue.

 

 

 

***


la suite  



 

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commentaires

B
<br /> Fermée ! Circulez y a rien à voir !<br /> te l'ai fermée, moi la Jungle... naaaaaahmé !<br /> <br /> <br />
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P
<br /> pffff.... si on peut même plus déconner cinq minutes... 'chier, tiens.<br /> <br /> <br />
M
<br /> Ha Ha! Dis donc comment t'as pas de commentaire à celui là...<br /> <br /> <br /> NDLR : Quoi ?<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> pffff... m'en parle pas, les boules... j'me casse le cul et tout et pfuit! personne me laisse de comm'... 'reus'ment qu't'es là !<br /> <br /> NDLA : hein ?<br /> <br /> <br />

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