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25 février 2010 4 25 /02 /février /2010 01:28

 

La foule était massée devant la vitrine et les gendarmes manifestement débordés. Il faut dire qu’à deux contre au moins la moitié du patelin, y avait de quoi perdre la maîtrise de la situation. C’est moi qu’on avait envoyé, parce que c’est toujours moi qu’on envoie quand c’est pas en ville et qu’il y a un cadavre.

J’avais quitté Paris, où j’étais inspecteur à la criminelle, parce que j’en avais marre du bitume, pas des morts. Alors le commissaire pensait me faire plaisir en m’envoyant dans tous les villages du secteur où on trouvait un corps. Il avait pas tort, en fait. J’avais choisi la Bourgogne parce que j’en aimais le vin et qu’il y avait eu ce poste, à Sens. Avant de venir y bosser j’en avais même jamais entendu parler. Exactement ce qu’il me fallait pour faire une croix sur ce qu’il convient d’appeler maintenant mon passé.

Tout le monde m’avait dit que je trouverais vite le temps long, mais les putes décharnées qu’on ramassait au petit jour dans les poubelles, les clochards congelés ou battus à mort dans l’indifférence et les corps éparpillés sur les murs par le métro ne m’ont encore pas manqué. J’irais pas jusqu’à dire que la mort pue moins dans la verdure que sur le macadam, mais… si, en fait. En quelque sorte.

Les agents qui nous accompagnaient ont dispersé la grappe de curieux pour qu’on puisse entrer, le maire, le médecin du bled et moi.

-          Elle est où ?

-          Là-bas, au fond de la boutique.

Personne n'était resté près du corps. Un chat lapait le sang sur le visage de la victime, qui gisait sur le dos au milieu de livres éparpillés qu’elle avait dû faire tomber dans sa chute. J’ai sorti le chat de la mare de sang et observé la scène un moment en silence. Elle était entourée de Mankell, Ellroy, Connely, Burke, Lehanne et d’autres du même tonneau, dont les romans désormais tachés de sang lui faisaient comme un linceul de circonstance. Je comprenais mieux le nom de la librairie : « Le cépage noir ». Elle faisait pas dans le pinot, la libraire, mais dans le polar. J’espérais qu’elle avait eu le temps d’apprécier l’ironie de sa mort.

-          Aheum… Vous allez avoir encore besoin de moi ?

Le maire s’impatientait. Ou alors il n’aimait pas l’odeur du sang.

-          Juste une ou deux questions.

-          Ah…

-          Rapides.

-          Bon.

-          Elle avait un mari, des enfants… quelqu’un ?

-          Euh… non.

-          Des ennemis ?

-          Ennemis ?

-          Ouais… des gens avec qui elle avait des bisbilles, quoi.

-          Bisbilles ? Elle baigne dans son sang… des bisbilles ?

-          Hm… ouais, enfin vous voyez l’idée.

-         Oui. Et non, pas de bisbilles, non. Sa boutique marche bien, elle embête personne. Les gens l’aiment plutôt bien. L’aimaient. Oh la la !

Pâlichon, l’édile… L’allait pas falloir le retenir trop longtemps.

-          OK. Et des nouvelles têtes, dans le coin, ces derniers temps ?

-          Euh… non.

-          Des gens de passage ?

-          Non plus, non. Enfin je suis pas toujours à ma fenêtre à guetter ce qui se passe, hein ?

-          Bien sûr, non, mais au cas où… Bien, vous pouvez y aller.

-          Merci.

-          Et dites : si vous croisez un gars, la trentaine, l’air d’un bienheureux et une cravate criarde, vous me l’envoyez, s’il vous plaît. C’est mon collègue.

-          Ah. Bien. Au revoir.

J’ai retenu le toubib qui tentait de se carapater en même temps.

-          Alors, doc, c’est vous qui avez constaté le décès ?

-          Oui. Enfin j’ai pris son pouls, quoi.

-          Et ?

-          Ben y en avait pas.

-          A votre avis elle est morte depuis quand ?

-          J’en sais rien, moi ! Je soigne des vivants d’habitude, je m’occupe pas des morts !

-          Mais pourquoi vous êtes là ?

-          Ben c’est Jeannette qui m’a appelé.

-          Jeannette ?

-          La femme de ménage. Elle a cru qu’elle avait eu un malaise et elle m’a appelé.

-          Ah.

-          Ben oui.

-          Bon… pas d’observations particulières ?

-          Quel genre ?

-          Je sais pas, moi, un truc que vous auriez remarqué.

-          Euh… non. Mais c’est quand même bête d’avoir fait ça.

-          C’est généralement bête et méchant, le meurtre.

-          Oui, non, bien sûr… Mais c’était une de mes patientes…

-          Et ?

-          Ben il ne lui restait plus longtemps à vivre.

-          Ah ?

-          Non… Cancer. Elle donnait le change, mais je crois que la fin était proche.

-          Vous croyez ?

-          Ben c’est pas moi qui la suivais, elle voyait un spécialiste, mais je la visitais régulièrement quand même. C’est qu’elle l’avait dit à personne, alors… mais les dernières fois j’ai bien senti qu’elle abandonnait.

-          Bon… Merci. Si besoin, je reviendrai vous voir. Vous pouvez y aller.

Mourgin est arrivé au même moment. Cravate orange. Presque lumineuse. Sourire béat. Je ne sais pas ce qu’il aurait fallu pour qu’il s’en départe. Une fois, je lui avais collé mon poing dans le gueule et, le nez en sang, il s’était relevé avec toujours ce même sourire pour me dire que ça servait à rien de s’énerver. Un marrant, Mourgin. Et sous ses airs benêts, il avait pas un pet d’intuition, mais il raisonnait avec une logique implacable et à nous deux, contre toute attente, on faisait une paire efficace. Le bougon et le bienheureux. L’intuitif et le besogneux. Le méchant flic et le bon flic. Même physiquement on se complétait : il était pâle comme un cul, le cheveu rare et blond, la silhouette gracile et moi j’avais un cou de taureau surmonté d’un visage mat, assombri par le poil noir de mon menton et une lourde masse de cheveux bruns.

-          Salut Franckie !

-          Franck.

-          Ah non moi c’est Antoine !

-          Mourgin, c’est bon, là. On a du boulot.

-          Hm hm… alors alors, qu’est-ce qu’on a ? Ouah ! Une connaisseuse !

-          Hein ?

-          Ellroy, Bunker, Crais, Taibo, Lehanne, Meyer…

-          Tu lis ce genre de trucs, toi ?

-          Ah ouais ! Je veux ! Pas toi ?

J’aurais pas imaginé qu’il avait ce genre de lectures. Un bienheureux, j’aurais cru que ça lisait des livres… gentils. Comme quoi. C’est pourtant un des premiers trucs qu’on apprend dans le métier : ne jamais se fier aux apparences. Au temps pour moi. Il arpentait déjà les longs rayons de la librairie, ponctuant de « oh ! » et de « ah ! » agaçants ses découvertes. J’ai encore dû jouer le bougon :

-          Bon, Mourgin, tu voudrais pas t’intéresser au corps, là ?

-          Oui oui, j’arrive j’arrive ! Alors… Hm… Le légiste est en route ?

-          Hein ?

-         

-         

-          T’as oublié le légiste !

-          Non !

-          Franckie a oublié l’légiste ! Franckie a ou…

-          Ta gueule !

C’était sur un truc comme ça que je lui avais explosé le nez. Bourré, certes, mais il jouait quand même avec le feu. Et j’avais oublié le légiste. Quel con ! Y avait ce médecin qu’était là et… Bref.

-          J’ai oublié le légiste.

-          Je l’appelle.

-          Merci.

On aurait besoin de lui pour déterminer la cause du décès. La libraire était lacérée de la tête aux pieds. Mais en apparence aucune blessure profonde. Il y avait un cutter près du corps… Peut-on tuer à coups de cutter ?

-          Tu crois qu’on peut tuer à coups de cutter, Franck ?

Par moment, il me faisait flipper, Mourgin. Je sais pas si c’est lui qui se mettait à me ressembler ou le contraire. Putain, non ! Pas le contraire !

-          Sans doute. J’espère qu’elle s’est pas vidée de son sang doucement.

-          Non !

-          Non ?

-          Elle serait plus blanche. Enfin j’imagine. Non ?

Il avait peut-être bien raison. Je l’espérais en tout cas.

-          T’as peut-être bien raison. J’espère en tout cas.

 

On a fouillé les lieux, interrogé à peu près tout le village, fait tous les relevés d’empreintes, fibres, fluides et toutes ces conneries qu’on peut relever sur les lieux d’un crime, rien. C’est de l’analyse toxicologique faite par le légiste pour l’autopsie qu’est venue la solution. Dommage qu’il ait fallu l’attendre près d’une semaine. Elle n’avait pas été tuée à coups de cutter : elle était morte d’une surdose de médicaments. A priori personne ne l’avait obligée à les prendre. Et son médecin a été formel : elle savait très bien ce qu’elle faisait. Elle était sous traitement depuis trop longtemps pour faire une erreur si grossière.

Un suicide. 

Et les coups de cutter ? Portés après l’ingestion des médocs. Elle avait rien dû sentir.  On a eu le fin mot de l’histoire quelques jours plus tard par une lettre qu’elle avait laissée en guise de testament à notre attention :

 

J’ai voulu m’offrir une mort de polar plutôt que de mélo. J’espère que mon « meurtre » était presque parfait, mais que vous n’aurez pas perdu trop de temps quand même. Pardonnez-moi.



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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 13:50

 

La première partie, c’est par ici, la deuxième, par là.

 


 

 

Et puis un jour j’me suis aperçu qu’elle commençait à perdre la boule.

 

Au début c’était rigolo. Elle savait plus où elle habitait, mais les gens du quartier la connaissaient et elle allait jamais bien loin, alors on m’la ramenait. Elle se fagotait n’importe comment, elle enfilait des fois jusqu’à 5 culottes les unes sur les autres, elle oubliait d’faire cuire la viande avant d’la manger, elle mélangeait les noms d’tout l’monde… J’étais obligé d’faire un peu gaffe à c’qu’elle me filait à béqueter, mais à part ça c’était pas bien méchant.

C’est devenu moins drôle quand elle a commencé à pisser n’importe où. Là c’était même carrément pénible. Elle faisait déjà presque plus le ménage depuis quelques temps, alors la maison devenait un vrai capharnaüm puant. J’avais même plus l’cœur à la cogner. Pour tout dire j’étais même chagrin d’la voir comme ça, elle qu’avait été tellement coquette dans l’temps. Sans compter qu’du coup c’est moi qui devais torchonner. Pas une vie, j’vous jure.

Et puis après elle a commencé à avoir peur de moi, j’sais pas pourquoi. Elle me reconnaissait même plus et elle hurlait chaque fois que j’l’approchais. Un enfer. Un jour qu’on était à l’étage tous les deux elle a eu peur comme ça et elle est tombée dans les escaliers. J’l’avais même pas poussée, mais les gens ont commencé à m’regarder en coin de c’t’air bizarre qu’ont les soupçonneux et les curieux.

Elle s’est jamais vraiment relevée d’cette chute. Ils ont voulu m’la garder à l’hôpital, que j’ai refusé tout net. C’est l’travail d’un homme de s’occuper d’sa bonne femme, merde alors. Je lui ai installé un lit avec des barreaux pour pas qu’elle tombe pis des chaînes pour pas qu’elle s’enfuie, on sait jamais. Chaque jour c’était des heures de hurlements quand j’voulais la faire manger, lui torcher l’cul ou lui changer sa chemise de nuit. Pis j’ai su que ni elle ni moi on pourrait être encore heureux un jour comme ça, alors j’l’ai détachée pis j’y ai mis l’oreiller sur l’visage. Elle était morte le lendemain matin et c’te fois personne m’a r’gardé d’travers.

Les gens sont bizarres.

On y a fait un chouette enterrement, les gens l’aimaient plutôt bien, pis comme elle avait fait l’ménage chez presque tous les riches de la ville y avait du beau linge et des belles fleurs. Le cureton a même causé des mômes comme si qu’ils étaient pas la honte de la famille et il a eu un mot gentil pour moi, que j’l’avais pourtant quasi jamais vu avant. Tout l’monde était gentil avec moi, d’ailleurs. C’est ça qu’y a d’bien avec les morts, ils vous rendent toujours plus sympathique que vous n’êtes. En plus j’avais fait faire un beau truc en marbre avec gravé dessus « à mon amour Edna » et ça, avec les rombières, ça a eu du succès.

J’sais pas pourquoi, mais là, à me r’trouver avec plus rien à faire maint’nant que j’avais plus à m’occuper d’Edna et avec tous ces gens bienveillants qui d’un seul coup me voulaient du bien, j’ai senti qu’ma vie allait vraiment devenir un cauchemar.

Pas un jour sans qu’un voisin débarque avec une bouteille pour boire le coup au moindre prétexte. Pas un jour sans qu’un travailleur social ou un témoin d’Jehovah vienne squatter mon salon à l’heure de la sieste ou pire, à l’heure de « questions pour un champion ». Pas un jour, j’vous dis. Jusqu’au dimanche où c’est l’curé qui venait m’gonfler à m’causer d’Edna. Du coup j’ai fini par y dire qu’elle était juive. Rien qu’à repenser à sa tronche j’en ris encore.

Mais ce genre de p’tits plaisirs se faisait de plus en plus rares.

Alors j’ai fini par me décider. Je voulais plus avoir affaire au monde. J’ai fait quelques provisions, j’ai bouclé la baraque du sous-sol au grenier, fermé les volets et débranché l’téléphone. Qu’on vienne plus m’emmerder. Qu’on m’laisse crever en paix.

En paix, putain.

Les enquiquineurs de tous poils qu’essayaient quand même de v’nir, j’leur balançais des trucs de la f’nêtre de ma chambre qui donne juste au-dessus de l’entrée. Au début, j’les bombardais avec des p’tits trucs – des verres, des bouquins, des trucs comme ça – mais au fur et à mesure j’ai dû me montrer plus dissuasif et je suis passé à des projectiles de plus en plus gros, jusqu’à balancer la télé et le micro-ondes. Si j’avais pu, j’aurais jeté l’frigo, mais là c’était plus d’mon âge. Quand j’ai plus rien eu à jeter, j’me suis mis à garder mon caca et à bombarder les gens dans la rue avec. Pis un jour y en a qu’on réussi à entrer que j’sais même pas comment qu’ils ont fait et y m’ont emmené de force dans un mouroir où que j’végète depuis comme tous les vieux machins qu’on pose là dans des fauteuils roulants devant la télé. Pour les faire chier je fais exprès d’faire sous moi tout l’temps, je bave autant que j’peux et j’m’en fous partout en mangeant. Eux y m’grondent comme si j’avais 4 ans pis y m’changent en râlant 20 fois par jour ou pas loin. J’me marre, mais pas autant que j’me fais chier.

En plus on dirait qu’la vie sera une chienne jusqu’au bout. Déjà deux ans qu’j’suis coincé là et j’suis toujours bien vivant.

 

 

 

Fin.


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22 décembre 2009 2 22 /12 /décembre /2009 13:41

 

La première partie, c’est par ici.

 


 

Un jour j’suis arrivé à une bâtisse qui ressemblait à une ferme, avec une grange à coté. C’était loin de tout et ça avait l’air abandonné. J’ai pensé qu’ça pourrait être un bon endroit pour attendre que cette guerre finisse et que l’histoire du frangin soit oubliée. En explorant les lieux j’suis tombé sur une fille que j’ai bien cru qu’elle allait mourir de peur en m’voyant. J’ai posé mon arme pour lui montrer qu’j’y voulais pas d’mal. Elle s’est calmée pis on s’est raconté c’qu’on faisait là tous les deux. Elle s’appelait Edna. Sa famille avait été déportée et elle se planquait là depuis. Elle avait l’air de bien s’débrouiller avec un bout d’potager et des bonnes idées pour pas crever d’faim. Elle a bien voulu que j’reste aussi vu que j’me planquais comme elle.

On peut pas vraiment dire que j’l’ai violée, parce que finalement au bout de quelques jours elle était assez d’accord. On est restés là je peux pas trop dire combien, mais longtemps. Et puis est venu l’temps où ça commençait à bien faire de vivre comme ça coupés du monde avec 3 fois rien, alors j’suis parti en reconnaissance essayer d’savoir où qu’c’en était de cette satanée guerre. Apparemment c’était fini et on avait gagné, même si j’savais pas bien qui c’était « on ». J’suis retourné trouver Edna et on a décidé d’aller s’installer quelque part qu’était ni chez elle ni chez moi, rapport aux souvenirs qu’elle avait et à ceux qu’j’avais laissés.

On s’est installés dans une petite ville où j’ai pu trouver un travail dans une banque et Edna faisait des ménages. On s’est mariés assez vite, plus parce qu’elle était enceinte que parce qu’on en avait vraiment envie. On a eu quelques années d’une vie assez tranquille. Mon travail nous permettait de vivre correctement et ses ménages lui permettaient de se payer ses coquetteries et les gâteries inutiles pour ses mômes. On en a eu deux.

La première était attardée. Un garçon, ça aurait été embêtant, mais une fille, vu qu’elle était jolie comme sa mère, on pourrait toujours la marier, même si en attendant elle servait pas à grand-chose. Le deuxième, un bon gars et un sacré malin. C’est dommage que les choses se soyent passées comme elles s’sont passées. Au début, quand il tuait des rats et des mulots, j’y disais rien, ça débarrassait. Après, quand il s’en est pris aux chats du voisinage j’y ai mis une rouste pour qu’y comprenne qu’on peut pas faire n’importe quoi quand même.

Quand y s’est attaqué à une camarade de classe, j’y aurais bien collé une branlée et qu’on en parle plus, mais c’est l’instituteur et les parents de la gosse qu’en ont fait tout une histoire alors sa mère elle l’a emmené voir un psy-que’que chose et v’là qu’mon gamin y s’est retrouvé en institut.

Edna elle croyait qu’c’était d’sa faute si nos mômes ils étaient comme ils étaient, vu que même enceinte elle avait continué à m’contrarier et qu’j’avais dû la corriger une ou deux fois. J’voulais y causer d’cette histoire de gènes qu’on avait sûrement dans la famille, mais finalement une femme qui culpabilise c’est plus pratique alors j’y ai rien dit.

Notre grande, on a fini par s’apercevoir un jour qu’elle était enceinte et cette gourde a même pas su nous dire de qui vu que tout l’quartier avait dû y passer dessus. Alors comme fallait même plus espérer la marier dans c’t’état j’l’ai foutue dehors. Sa mère en a pleuré toutes les larmes de son corps que c’était pitié à voir. Ça, les mômes, ils ont pas leur pareil pour te foutre la honte que c’est des coups à jamais t’en remettre.

L’autre, il a arraché l’oreille d’un surveillant dans son institut où qu’il était, alors ils l’ont mis dans un genre d’hôpital pour gamins comme lui. Enfin, comme lui, mais moins gaillards parce que y en a un qui s’est pas r’levé d’un coup qu’y avait collé mon gosse, alors ils m’l’ont envoyé encore dans un autre endroit. Et puis encore ailleurs après une histoire avec un docteur que j’ai pas bien compris qui qu’avait attaqué l’autre. Plus ça allait, plus c’était loin et compliqué d’aller l’visiter, qu’à la fin on aurait dit carrément une prison alors on a arrêté d’y aller. J’sais pas s’il est sorti un jour. Il est jamais revenu nous trouver en tout cas.

Avec tout ce souci, j’avais mon Edna qui dépérissait, qu’on lui aurait donné 20 ans d’plus que son âge. Elle a arrêté d’faire ses ménages, du coup j’ai arrêté d’y payer l’coiffeur et ses trucs de bonnes femmes et ça a pas arrangé les choses ; elle s’est mise à vieillir encore plus vite. Bon an mal an on a continué à vivoter l’un auprès d’l’autre quand même. Elle passait autant d’temps à l’église qu’à la cuisine, mais comme la table était toujours prête quand j’rentrais du turbin j’disais rien qu’elle fricote avec le cureton. J’lui collais bien toujours une correction de temps en temps, mais c’était plus comme avant, la vie nous avait usés.

 

 

A suivre…

 

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21 décembre 2009 1 21 /12 /décembre /2009 13:37

La vie est une chienne. M’aura fallu la supporter plus de 80 ans et même encore maintenant, j’m’en vois que c’est à s’demander si ça finira un jour.

Gamin, déjà, c’était une chierie. Elevé à la dure au pied des montagnes, où qu’y f’sait presque plus chaud dehors que dedans parce qu’y avait moins de courants d’air, j’ai grandi la morve au nez et c’est quasi tout c’que j’avais à manger les mauvais jours.

La mère elle ramassait tout et n’importe quoi dans les bois alentour pour colorer la flotte et dire qu’elle faisait d’la soupe. Quant au père, les jours où y ramenait du pain, il était rassis et servait en priorité à nourrir les trois poules maigrichonnes qu’il espérait vendre au marché.

Avec les frangins, on s’carapatait autant qu’on pouvait et on chapardait tout c’qu’on trouvait à s’mettre sous la dent sur le chemin entre la maison et l’école. Les jours de marché, c’est un vrai festin qu’on s’organisait en faisant les poubelles.

A l’école, les autres mômes étaient plutôt pas mieux lotis qu’nous, alors on voyait pas l’mal à avoir les cheveux cradingues et les joues creuses. Mais dès qu’on a pu on est partis. C’est pas tant d’avoir le ventre vide qui nous chagrinait que les branlées du père. Un jour qu’il a laissé un frangin sur l’carreau et qu’y s’est même pas occupé d’l’enterrer que c’est nous qu’on a fait un trou dans le champ derrière la baraque, on a commencé à s’dire qu’il fallait plus traîner trop dans l’coin. Les plus vieux se sont partagé les plus jeunes au hasard et on a mis les voiles. Y en a deux qui sont morts de froid dans l’mois qu’a suivi parce qu’ils avaient pas su entretenir leur feu une nuit dans la montagne. J’sais pas c’qu’ils étaient allés chercher par là-haut, drôle d’idée. C’était pas les deux plus finauds d’la fratrie, mais j’aurais pas cru qu’ils s’raient si rapides à clamser. On l’a su que longtemps après, presque par hasard.

Au début j’ai eu d’la peine pour eux, sûr, mais maint’nant j’me dis qu’au moins ils ont pas eu à en chier trop longtemps.

Sur les quatre qui restaient, y en a deux j’ai jamais plus eu de leurs nouvelles. Moi je suis resté quelques années avec le frangin qui m’avait tiré au sort et on s’est pas trop mal démerdés. Il avait réussi à s’faire embaucher dans une ferme, même qu’il en chiait parce qu’il était pas bien costaud, mais les patrons nous nourrissaient tous les deux pas trop mal et on s’est vite remplumés. J’allais à l’école pendant qu’y bossait et l’soir après la classe j’aidais à l’étable. Le vieux cognait bien un peu aussi, mais rien à voir avec les avoinées du père. On a eu quelques années presque heureuses. J’ai même appris à lire et écrire que j’ai pu avoir un boulot de facteur dès qu’j’ai eu l’âge.

Mais ça a pas duré bien longtemps à cause de la guerre. L’a bien fallu choisir son camp, pis comme la région s’y prêtait et qu’on n’était pas des mauvais bougres avec le frangin, on a choisi résistant. Le frangin a vite pris du galon, il avait l’autorité naturelle. Y r’semblait même un peu au père par moment, que ça f’sait presque peur.

Un jour qu’avec des copains on était partis se baigner dans un étang du coin et s’faire un peu propre, on est tombé sur un allemand qu’était sûrement venu faire comme nous. Sauf qu’il était tout seul et nous trois. Et pis il était à poil dans l’eau avec son fusil et ses fringues au bord alors que nous on était encore habillés et armés. On avait pas du tout prévu ça et ça nous emmerdait bien de nous r’trouver là avec ce type alors qu’on voulait juste se détendre un peu. Il avait l’air d’avoir notre âge. On a pensé un moment juste lui dire de partir, mais on pouvait pas faire comme si y risquait pas de rev’nir avec ses potes et des flingues pour nous faire la peau.

Alors on y a dit d’se rhabiller et on l’a ramené là où qu’on était installés. On avait pas trop d’prisonniers d’habitude, mais à la guerre comme à la guerre, hein ! On trouverait bien quoi en faire. Les gars au campement nous ont drôlement félicités. Nous on a pas dit que l’gamin était nu et sans arme parce qu’on aimait assez bien se faire mousser, finalement. Mais quand l’frangin a dit comme ça qu’y fallait l’fusiller et qu’en plus il l’a fait dans les dix minutes qu’ont suivi, j’ai pas supporté. La nuit d’après j’suis allé l’étrangler pendant qu’y dormait et j’suis parti. J’sais pas si c’était dans les gènes de dev’nir meurtrier, mais ça dessoudait drôlement dans la famille.

Du coup c’est en planqué qu’j’ai dû la finir, c’te guerre, parce que j’étais plus en odeur de sainteté ni d’un coté ni d’l’autre. J’ai rejoint les montagnes en me déplaçant surtout la nuit, pour pas être vu pis pour moins risquer d’mourir de froid. J’savais pas encore pour les frangins à c’t’époque, mais ça m’a pas empêché d’être plus futé qu’eux.

 

 

 

A suivre…

 

 

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20 novembre 2009 5 20 /11 /novembre /2009 20:41


A mes "fidèles" : ne vous laissez pas abuser par le titre... cette nouvelle est celle précédemment publiée sous le titre "Intimes convictions" - revue, corrigée et publiée d'une traite cette fois.
Aux autres : bonne lecture !!



Elle

 

Quand je suis arrivée sur les lieux, j’ai tout de suite regretté d’avoir accepté. C’était ce genre de trous qui n’a ni le charme rustique, ni l’avantage notable de la proximité d’une grande ville. Un patelin anonyme et anodin, rendu plus terne encore par la faible lumière du jour naissant. La traversée du village m’avait déjà assez sérieusement entamé le moral, mais alors la découverte de la scène de crime m’a carrément foutu le bourdon. D’une, je n’avais pas du tout les bonnes chaussures. Je suis une citadine, moi. Mes cadavres d’extérieur sont sur le bitume, au pire dans une poubelle, mais pas dans les bois. De deux, il y avait beaucoup trop de monde. Je n’arrive jamais la première, on ne fait appel à moi que si on a déjà trouvé un corps, mais là il y avait carrément foule. Des coups à avoir une scène de crime toute salopée. Je me suis garée et j’ai traversé un terrain de foot gadoueux pour accéder au bosquet derrière lequel se trouvait le corps. Il y avait nettement moins de monde. Les curieux, tout le village apparemment, n’avaient pas pu s’approcher plus. Une chance. Pour nous comme pour eux. Des coups à rester hantés toute leur vie par cette image. Le corps, nu, était chétif et d’une pâleur bleutée qui tranchait à tel point sur le sol sombre et boueux qu’il en paraissait irréel. Il était tourné face contre terre, mais il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait du corps d’un enfant. Une enfant probablement, compte tenu de la longueur de ses cheveux tressés.

Une gosse. Un village. Pas un meurtre anonyme à résoudre dans l’indifférence. Tout le monde connaissait sûrement la gamine.

Je n’aurais vraiment pas dû accepter. Le maire du patelin était l’ami du cousin de l’épouse de je ne sais pas qui, mais pour finir c’est carrément le cabinet du ministre qui avait demandé que quelqu’un soit envoyé.

J’ai entendu de l’agitation, puis des hurlements. Une femme arrivait en courant. C’est elle qui hurlait. Les gens, sur son passage, baissaient la tête et s’écartaient d’elle comme d’une pestiférée. Elle a perdu l’équilibre et s’est effondrée à terre, criant et pleurant. Une autre femme s’est enfin approchée d’elle et l’a aidée à se relever. J’ai envoyé deux agents s’en occuper. La foule s’est alors dispersée. Les gens semblaient s’échanger des regards de connivence et partaient par petits groupes.

Sans pouvoir vraiment dire pourquoi, je n’aimais pas ça.

 

Eux

 

-          Ah ! ça… ça devait bien finir par arriver !

-          Depuis l’temps qu’on l’dit, qu’ça va mal finir !

 

Lui

 

C’est même pas vrai. Y a jamais personne qu’a dit ça. Ceux qui causent, là, j’les connais. Y m’disent toujours bonjour gentiment. Tout l’monde y dit bonjour à tout l’monde par chez nous. Et y en a même une, une des dames, là, des fois elle me donne un bonbon quand j’l’aide à sortir sa poubelle. C’est à cause que son mari l’est mort d’une gangrène à l’hiver d’avant çui-là. C’est lui qui s’occupait d’la poubelle. Mais main’nant elle est toute seule et toute petite et maigre et elle dit comme ça que si elle avait eu un bon gars comme moi elle se f’rait bien moins du souci pour ses vieux jours et que j’suis un gentil garçon et que môman elle a bien d’la chance de m’avoir quand même.

Môman, elle dit que même si j’suis comme j’suis elle m’échangerait contre aucun autre. Elle est pas en train d’causer avec les gens, môman. J’sais pas où elle est. J’espère qu’elle va pas pleurer. J’aime pas bien quand elle pleure, môman. Avant j’croyais qu’elle pleurait à cause que mon père l’est dans l’ciel, mais un jour que j’aidais m’sieur l’curé à la sortie d’la messe j’ai entendu une dame qui disait qu’en vrai mon père c’était qu’un pendard qu’avait abandonné môman et qu’était sûr’ment en train d’croupir quelqu’part dans une prison et que c’est pour ça qu’j’suis comme j’suis. Je sais pas trop c’que c’est un pendard, mais surtout main’nant j’sais plus quoi penser quand elle pleure, môman. J’ai peur qu’c’est à cause de moi.

 

Elle

 

-          C’est vous la parisienne ?

-          Euh… oui. Monsieur ?

-          Durange. J’suis l’maire. Z’êtes pas v’nue toute seule, hein ?

-          Si, pourquoi ?

-          Y m’avaient dit qu’y z’enverraient un commissaire.

-          Je suis commissaire.

-          Ah ? Ben ça… Z’avez pas pris un gars avec vous ?

-          Je suis tout à fait qualifiée et…

-          Mais oui, non, c’est pas ça. J’sais bien qu’y z’ont bien dû choisir quelqu’un d’bien, rapport au cousin d’ma femme, là… mais bon, vous savez, par ici, les étrangers, déjà, les gens y z’aiment pas bien ça, y s’méfient, alors en plus une femme…

-          Je m’en sortirai.

-          Dites, c’est vraiment la p’tite Lili, alors ?

-          La p’tite Lili ?

-          La fille à la Maud. Elle est pas rentrée hier.

-          Vous avez un gendarme du coin qui la reconnaîtrait ?

-          Ben y a Léon qu’a d’jà dû la voir, ouais, mais y a longtemps… Mais j’peux vous dire, moi, hein…

-          C’est dur, vous savez, de voir… ça.

-          Mais ça vous aiderait de savoir vite, non ?

-          Bien sûr.

-          Et on va quand même pas d’mander à la Maud ?

-          Non. Non, pas maintenant.

-          Allez, montrez-moi.

Sympathique, le bonhomme. Gentil, sous ses airs bourrus. Je l’ai conduit près du corps que le légiste avait fini d’examiner. Il a eu du mal à réprimer sa surprise et son dégoût. On s’attend toujours à ce qu’un mort ressemble à un vivant qui dort. Il a hoché la tête et fermé les yeux avant de se détourner pour qu’on ne le voie pas pleurer. Je lui ai laissé le temps de se redonner une contenance et je suis allée vers lui.

-          C’est bien elle ?

Il a opiné gravement. Il était pâle comme un linge. J’avais peur qu’il tombe dans les pommes, mais il a toussé, secoué la tête et il s’est repris :

-          Lili Grandin. C’est bien la p’tite qu’est pas rentrée hier. J’espère que c’est pas l’Martin qu’a fait ça.

-          Martin ?

-          Justin Desrozes. Martin, c’est comme ça qu’on l’appelle, parce que tous les ânes… ‘fin vous savez, quoi. C’est la campagne, ici, hein…

-          Et pourquoi ce serait lui ?

-          Martin – j’veux dire Justin, c’est notre… comment dire… notre idiot du village, quoi. ’Scusez, hein, mais autant appeler un chat un chat, non ? C’est un simplet, mais pas l’mauvais l’bougre. Un gentil garçon, même.

-          Alors pourquoi il aurait fait ça ?

-          Par accident ? Allez savoir c’qui peut s’passer dans la tête des gens comme lui… La Lili elle l’adorait, Martin. Elle a pu d’papa la p’tite, et l’Martin y s’occupait drôlement d’elle. Grand et fort comme un papa, simple et joueur comme un frangin… z’étaient cul et ch’mises ces deux-là.  

-          C’est un peu facile, non ?

-          Sûr… mais j’vous fiche mon billet qu’c’est déjà c’qui s’dit au village. Et j’ai peur d’c’qu’y pourraient y faire, au Martin, les gars.

-          Vous croyez vraiment que…

-          Oui.

-          Et on le trouve où Justin ?

-          D’mandez à sa pôv’ mère, c’est la dame qu’est là, avec la maman d’la p’tite Lili. Vous allez y dire à la Maud ?

-          La mère de Lili ? Bien sûr.

-          Et ça vous embêterait pas que j’vienne avec vous ? Elle est fragile, la Maud. Elle s’est même pas encore remise de la mort de son mari, elle vit que pour la p’tite… alors ce s’rait p’t’êt’ bien qu’y ait quelqu’un qu’elle connaît pour entendre ça.

Je suis convaincue que personne ne peut entendre une chose pareille. Peu importe qui le dit, comment, qui est là ou qui n’y est pas, personne à ma connaissance n’est capable d’entendre ça. La plus moche partie du boulot. La plus dure aussi. Il n’existe pas de bonne façon d’annoncer ça et c’est toujours une épreuve. J’y suis donc allée avec le maire et, au passage, j’ai embarqué le légiste, des fois qu’elle aurait besoin d’un médecin. Et ça n’a pas loupé. Elle est tombée dans les pommes, a repris ses esprits et s’est mise à hurler. On lui a administré un calmant et le toubib du patelin a pris la relève pour la raccompagner chez elle. Moi je me suis entretenue avec la mère de Justin. Elle était sûre que ce n’était pas son gamin, bien sûr, et disait que la mère de la petite ne le croirait pas non plus. Je dois dire que je n’y croyais pas plus. Le légiste n’avait fait qu’un examen superficiel et les gars de la scientifique commençaient à peine leur boulot, mais la gosse était nue, son corps semblait avoir été balancé là à la hâte, ses fringues ne traînaient pas à côté, tout laissait à craindre qu’elle avait été violée et rien de tout ça ne cadrait avec l’acte maladroit et précipité d’un benêt, affectueux qui plus est.

 

Eux

 

-          Z’êtes allés voir chez lui ?

-          Y a personne. Mais y peut pas être bien loin, c’nigaud !

-          Z’avez cherché à l’église ? Y s’rait capable de s’terrer là-bas. Ou à la fontaine où qu’y jouait des fois avec la p’tite Lili !

-          Faut l’trouver avant qu’y fasse du mal à quelqu’un d’autre le dingo !

 

Lui

 

J’sais pas pourquoi y sont fâchés, les gens. Y pens’ront pas à v’nir me chercher ici j’espère. C’est la grange au vieux Jeannot. Y s’en sert pu vraiment pass’qu’il est trop vieux main’nant et nous on y joue d’dans avec la p’tite Lili. On amène des poules à la Marthe, le chien à Lili et mes deux chats et on joue à la ferme. Avant j’en avais trois, des chats, mais j’en ai un qu’a cassé pass’que les chats c’est p’tit et fragile alors j’en ai pu qu’deux. On dit qu’le chien à Lili c’est un chien d’berger et mes chats des moutons ou des vaches. On fabrique des genres de barrières avec de la paille et des bouts d’bois pis ça fait des enclos pour not’ bétail. On aime bien jouer à ça avec la p’tite Lili. Une fois, y a une des poules à la Marthe qu’a même pondu dans la grange pendant qu’on jouait et on a eu l’droit d’garder les œufs et on a fait une omelette avec môman. C’était rud’ment bien.

Y a des policiers qui sont là aussi, main’nant. J’espère qu’y vont pouvoir la réparer, parce que j’l’aime bien la p’tite Lili. J’voudrais bien qu’môman elle vienne. J’ai peur main’nant. J’aime pas tout c’monde qui crie après moi et que j’sais même pas pourquoi.

 

Elle

 

Les inquiétudes du maire semblaient justifiées. Les gens étaient déjà quasiment en train d’organiser une battue pour retrouver Justin. Et quoi ? Le pendre ? Le lapider ? Je trouvais ça flippant. C’est sûr que je n’avais pas trop l’habitude de la campagne et encore moins de la campagne profonde secouée par un événement de ce type, mais j’étais horrifiée par ce que je voyais et entendais. Je suis vite retournée auprès de la mère du gamin pour lui demander si elle avait une idée d’où il pouvait se trouver. Elle s’est d’abord montrée méfiante et réticente à « donner » son môme, mais quand un type est passé devant sa maison avec une fourche en gueulant qu’il ne pourrait pas leur échapper, sa détermination à protéger son fils contre moi a faibli. Je lui ai assuré que je voulais surtout le mettre à l’abri des autres et elle s’est résolue à me conduire près de lui.

La pauvre femme… Toute une vie dans un bled au milieu de voisins qui ont vu naître son fils et voilà qu’elle finissait par devoir faire confiance à une inconnue susceptible de le coffrer à vie. Elle paraissait totalement perdue. On le serait à moins. Elle m’a emmenée vers une grange en m’expliquant que son gamin y jouait souvent avec la petite et qu’il aimait bien y venir même tout seul. Il y était effectivement.

Je m’attendais à un gosse, c’était en fait un grand gaillard qui affichait bien vingt-cinq ans. En voyant sa mère il s’est jeté dans ses bras en sanglotant. Pas une trace de sang sur lui, pas de griffures sur les mains ou les joues. Ma certitude se confirmait : il n’était pour rien dans la mort de la môme.

Sa mère l’a consolé en lui filant un bonbon et lui a expliqué que j’étais de la police et qu’il fallait qu’il vienne avec moi. Il a paru inquiet et un peu déconcerté, mais d’évidence il ferait n’importe quoi que sa mère lui dirait. Je suis allée chercher la voiture pour pouvoir sortir Justin discrètement et j’ai appelé le maire, qui m’a proposé de le cacher dans son bureau à la mairie en attendant que ça se calme. J’avais l’impression d’être dans un film. Ou un cauchemar. Planquer un innocent au sens le plus large du terme pour lui éviter de finir lynché par une foule en colère armée de pioches, de pelles, de n’importe quoi… c’était complètement surréaliste.

 

Eux

 

-          Qu’est-ce qu’elle fout la parisienne ?

-          Et où qu’elle est la mère à Martin ? Faudrait voir à pas la laisser l’planquer, son rej’ton !

-          On a r’tourné toute la maison, personne !

-          Quelqu’un a d’mandé à m’sieur l’curé si l’Martin s’était planqué chez lui ?

-          On a fouillé l’église, l’y était pas non plus !

 

Lui

 

Pourquoi elle veut qu’j’aille à la police môman ? Elle m’a donné un bonbon alors elle doit pas être fâchée mais la police c’est une punition, non ? Pourquoi j’ai une punition ? La dame j’la connais pas et puis pourquoi faut qu’j’aille me cacher ailleurs alors que j’suis très bien caché ici ? Pourquoi môman elle a dit où qu’elle est ma cachette à la dame de la police ? Et pourquoi y crient encore, les gens ? Et où qu’elle est Lili ? Ouah ! J’ai jamais vu une voiture aussi belle ! Et j’vais monter d’dans ! Quand j’vais raconter ça à Lili, elle os’ra pu dire que j’peux pas être le prince ! C’est vrai ça, elle veut toujours être la princesse et moi elle dit qu’j’peux pas être le prince et ça m’énerve pass’que moi j’trouve que j’fais très bien son prince, à Lili.

 

Elle

 

Le visage du gosse s’est éclairé quand il a vu la voiture. Le même effet que le bonbon de sa mère, mais décuplé. Il semblait moins craintif. Comment imaginer un seul instant ce gros pataud faire du mal à qui que ce soit ? On avait juste envie de lui pincer la joue ou de lui ébouriffer les cheveux. Malgré son bon mètre quatre-vingt. Il est monté à l’arrière avec sa mère et a commencé à toucher à tout. Et ça n’a pas manqué : il a réclamé le gyrophare et la sirène. J’ai cru qu’il allait pleurer et faire une colère quand je lui ai dit non. Il ne se rendait manifestement pas compte une seule seconde de la situation.

Il y avait encore quelques groupes de commères et de vieux, mais même si les visages croisés restaient mauvais et coléreux, les gens commençaient néanmoins à se disperser pour aller travailler, conduire les enfants à l’école, s’occuper de ce dont on s’occupe dans un champ, ouvrir qui un troquet, qui… un bistrot. Je restais vigilante malgré tout et m’en suis félicitée en apercevant devant la mairie un attroupement que le maire semblait tenter de calmer. J’ai arrêté la voiture à l’écart et j’ai rejoint le maire en espérant qu’aucun de ces villageois énervés ne tomberait sur Justin avant que j’aie pu le mettre à l’abri.     

 

Eux

 

-          Ah ben la v’là celle-là !

-          Alors où qu’il est l’Justin ?

-          Z’êtes venue pour l’arrêter, hein ? Alors qu’est-ce vous faites ?

-          Eh ! Oh ! Madame-de-la-ville, ça lui écorcherait la bouche de nous répondre ?

 

Lui

 

Oh la la si j’avais su qu’j’irais un jour dans une belle voiture comme ça ! C’est dommage qu’y a môman et qu’elle a l’air triste pass’que sinon j’voudrais bien chercher l’bouton qui fait l’pimpon pendant qu’la dame de la police elle est partie. J’sais pas c’qu’y font là les gens, avec m’sieur l’maire. Y a l’Dédé, normal’ment y d’vrait être déjà parti avec son vélo pour donner les lettres aux gens des aut’ villages. Et pis l’gros Gus à c’t’heure d’habitude y boit du truc jaune qui pique, là, j’sais pu comment qu’ça s’appelle… ça r’semble au truc de l’école qu’elle m’avait dit, Lili… comment déjà ? « Où qu’il est donc l’aut’ Richard » ou j’sais pu trop…

-          Môman… c’est quoi déjà l’truc du gros Richard, là, tu sais ?

Bon… bah môman elle est dans la lune, là, hein ! On dirait même qu’elle m’a même pas entendu qu’j’y parlais, dis ! J’peux p’t’êt’ essayer d’trouver l’pimpon, pendant qu’elle est dans la lune, môman.

 

Elle

 

-          Pour le moment rien ne permet de penser que Justin soit impliqué. Nous l’entendrons dans un premier temps en qualité de témoin.

J’ai coupé court aux protestations et railleries en entraînant le maire à l’intérieur et en fermant la porte derrière nous. Il m’a expliqué comment entrer dans le bâtiment en passant par le petit jardin de derrière et je l’ai laissé à ses bouseux vindicatifs le temps d’aller récupérer le gosse. Je n’ai rien contre la campagne et ses habitants, mais là, avec ces conneries, on perdait un temps précieux. Le légiste pensait que la petite était morte une dizaine d’heures avant son arrivée, ce qui en faisait une douzaine maintenant. Si son assassin n’était pas un gars du cru, il pouvait avoir déjà parcouru une sacrée distance. Et en quelque sorte on n’avait pas commencé l’enquête. On avait un coupable tout désigné par une foule – certes peu nombreuse, mais unanime, convaincue et en colère. Un benêt qui, d’évidence, ne captait rien à rien, mais qui sans doute était notre seul témoin. Une mère ravagée, une autre atterrée, toutes deux apparemment certaines que le benêt était bon comme le pain et incapable de faire du mal. Et moi, qui n’avais pas l’ombre du début d’une piste ou d’un indice, tout occupée que j’étais à essayer de planquer le simplet. En plus j’avais bousillé mes pompes dans la gadoue et il faisait froid, dans ce bled. Je regrettais de plus en plus d’avoir accepté. Bien qu’on ne m’ait pour ainsi dire pas laissé le choix. Les amis des épouses des cousins de je ne sais qui, on ne choisit pas, on obéit, même si on ne sait finalement jamais bien à qui.

 

Eux

 

-          Et pourquoi qu’c’est pas l’Léon qui fait l’enquête ?

-          Pourquoi qu’y nous envoyent une pimbêche comme ça ?

-          Qu’est-ce qu’y z’y connaissent à nos affaires ces gens-là ? Peuvent pas nous laisser corriger l’Martin et qu’on n’en parle pu ?

-           Où qu’il est l’Léon ?

 

Lui

 

Ah nan ! La rev’là la policière. Et ben tiens, j’vais y red’mander l’pimpon, p’t’êt’ cette fois… hein ? Ah ben elle est trop bête hein ! Elle aurait dû me d’mander pour entrer chez m’sieur l’maire ! Moi j’le connais bien l’jardin : c’est moi qu’j’y coupe sa haie, au maire. Même qu’y dit comme ça qu’j’suis un sacré bon tailleur de haie et qu’sans moi ce s’rait la jungle ! J’sais pas pourquoi qu’ce s’rait la jungle pass’qu’en vrai j’ai d’mandé à môman et la jungle c’est pas possible chez nous mais bon. J’sais pas pourquoi elle est toujours triste môman. J’espère qu’c’est pas à cause de moi. J’ai rien fait d’mal j’crois. On jouait et c’est tout. Pis j’sais même pas pourquoi qu’les gens y parlent mal de moi aujourd’hui. J’les ai entendus, hein ! Ah tiens ben y a môman qu’est pu dans la lune… Oh non j’veux pas rester tout seul ! Pourquoi qu’elle veut aller chez la mère à Lili ? Moi aussi j’veux qu’quelqu’un soye avec moi ! Pis où qu’elle est Lili ? A l’école ? Elle est réparée ou pas ? Pass’que si qu’elle est chez elle moi j’voudra plutôt aller avec môm… mais !!! Pourquoi qu’elle m’pousse la dame de la police ?!

 

Elle

 

Bon, je planque l’idiot et je m’y mets pour de bon. Allez, enfin, dépêche-toi, gamin ! Ah, il est là le maire.

-          Où est-ce qu’il peut rester ?

-          Dans mon bureau.

-          Il ferme à clé ?

-          Oui oui.

-          Quelqu’un d’autre a la clé ?

-          La Vovonne… c’est elle qui serpille et…

-          Enragée, elle aussi, ou… ?

-          A l’hopital.

-          Ah… bon.

-          Voilà, ça ira ?

Le bureau était à l’image du patelin, anonyme et étriqué, mais ça ferait très bien l’affaire. La fenêtre était petite, donnait derrière sur le jardin et les rideaux épais empêchaient à coup sûr de voir de l’extérieur ce qui s’y passait. J’ai remercié le maire et lui ai demandé de me laisser un moment avec le môme.

-          Comment ça va Justin ?... Tu n’as pas peur ?... Ecoute, tu vas rester là un petit peu, d’accord ? Le temps que je trouve quelqu’un pour s’occuper de toi… Tu comprends ce que je dis ?

Il me regardait fixement, l’air partagé entre la peur et l’étonnement. J’avais l’impression de parler à une plante verte. Autant pisser dans un violon.

 

Eux

 

-          Alors quoi ? On s’en r’tourne chez nous à nos affaires comme si y s’était rien passé ?

-          C’est ça qu’z’allez y dire à la Maud ?

-          Pis qu’le Martin y continue sa p’tite vie tranquille ?

 

Lui

 

Je comprends rien. C’est une prison ici ou quoi ? Pourquoi elle veut qu’j’reste là, la policière ? Et pourquoi qu’y crient encore des trucs sur moi, les aut’, là ? J’en ai marre maint’nant. J’veux môman. Ou aller jouer avec mes chats. J’veux pas rester ici. J’aime pas quand on m’enferme pass’qu’après j’m’énerve et môman elle s’fâche de moi. Et pis où qu’elle est Lili à la fin ?


Elle


Bon. Il faut quand même que j’essaie d’en tirer quelque chose avant d’aller voir la maman de la petite. J’aurais dû demander des bonbons à sa mère.

-          Dis-moi Justin, tu sais qu’il est arrivé quelque chose de grave à Lili, n’est-ce pas ?... Est-ce que tu étais avec elle hier soir ?... Tu jouais dehors avec elle ?... Dis-moi, il s’est passé quelque chose de… spécial ? Vous avez rencontré quelqu’un ?... Justin, tu comprends ce que je te dis ?

OK. Un mur. Un mur mou, mais un mur quand même. Je suis sûre qu’il sait des choses. Je ne vois pas pourquoi il serait allé se planquer autrement. J’aurais dû demander à sa mère de le cuisiner à ma place, peut-être.

-          Justin, dis-moi, est-ce tu as fait du mal à Lili ?... Tu as vu qu’on lui a fait du mal ?... Tu sais qui a fait ça à ta copine ?... C’est toi Justin ?... Si c’est toi, tu sais, il vaut mieux le dire… mais si c’est quelqu’un d’autre que tu as vu il faut m’en parler aussi, c’est très important que je le retrouve, tu comprends ?... Tu sais, les gens là-dehors pensent que c’est toi qui as fait du mal à Lili… c’est pour ça qu’ils sont fâchés, tu vois... Alors ce serait bien que tu me dises, si tu sais quelque chose, comme ça je pourrai leur expliquer, d’accord ? Tu comprends ?

Non. Il ne comprend pas, non. Pas la peine d’insister pour le moment. Je vais faire revenir le gendarme du coin, là, Gaston – ou Léon, je ne sais plus – et il saura peut-être mieux y faire, entre personnes du même trou…

-          Monsieur Durange ?

-          Oui ?

-          Vous pouvez venir s’il vous plaît ?

-          Oui, j’arrive… qu’est-ce que j’peux faire pour vous ?

-          Je vais vous laisser Justin. Il faudrait l’enfermer, s’il vous plaît. Que personne ne puisse entrer. Il y a toujours des excités en bas ?

-          Ah ! Il faut comprendre, hein…

-          Non. Non, je ne comprends pas, non. Mais peu importe. Même si vous êtes compréhensif, je peux compter sur vous pour ne pas leur jeter Justin en pâture ?

-          Oh ben enfin ! Quand même !

-          Je vais aller voir la maman de la petite Lili. Vous pouvez m’expliquer comment aller chez elle ?

-          Ah ben c’est tout près, en descendant j’vous montrerai. Mais dites, faudra y aller mollo avec elle, hein ?

-          Bien sûr…

-          Non parce que depuis qu’elle a perdu son mari, elle est déjà plus elle-même, alors la mort de sa p’tite, pensez…

-          J’ai malheureusement l’habitude de ce genre de situation, ne vous en faites pas. Vous venez me montrer ?

-          Oui, oui, scusez. Je ferme… Venez.

 

Eux

 

-          D’toute façon pour qu’y s’planque comme ça c’est bien qu’il a que’qu’chose à s’reprocher, hein ? Est-ce qu’on s’planque, nous ? Hein ?

-          Ah ça ! Faut qu’y paye le débile !

-          Eh ! M’sieur l’curé, nous r’gardez pas comme ça ! C’est pas nous qu’on l’a inventé « œil pour œil », pas vrai ?

-          Allez, vous pouvez nous y dire : où qu’y s’cache ?

 

Lui

 

Oui et ben si, hein. Là ça va faire bien comme un genre d’prison, ça c’est sûr. Môman pourra pas rentrer, moi j’pourra pas sortir. Alors ça… mais j’comprends rien. Elle l’a pas perdu, son mari, la mère à Lili. Il est mort. J’le sais pass’qu’à l’enterrement c’est moi qui t’nais l’parapluie à m’sieur l’curé pour pas qu’y mouille ses prières. Même que c’était joli avec plein d’fleurs en rond sur l’cercueil. Mais c’était triste aussi parce que tout l’monde pleurait. Faut dire qu’il était gentil et puis c’était l’papa à Lili. Mais si Lili y z’ont dit qu’elle est morte aussi ça veut dire qu’on f’ra encore des prières sous la pluie, alors… mais c’est pas possible d’être mort quand on est p’tit comme ça… pass’que Lili elle est toute petite, que même quand j’la porte sur mes épaules c’est même pas lourd comme les sacs de terre qu’j’avais portés une fois pour m’sieur l’maire pour faire son p’tit jardin. Alors elle peut pas être morte. Et pis si elle est morte ça veut dire que j’la verrai plus alors. Et ça c’est pas possible non plus pass’que quand y va faire beau on a dit qu’on va aller aux jonquilles. On y va tout l’temps pass’qu’elle aime bien ça les jolies choses la p’tite Lili et les jonquilles elle trouve ça joli. Moi j’trouve ça surtout jaune et l’jaune j’trouve ça bof mais j’aime bien quand elle est contente Lili et aux jonquilles elle est toujours contente. Mais la policière elle a dit qu’les gens y croyent que j’y a fait du mal à la p’tite Lili… ça veut dire qu’y croyent que j’l’ai fait morte, alors ?... oh la la… môman elle va sûr’ment pleurer encore et pis moi aussi à cause que j’voulais pas qu’elle est morte, Lili ! J’voudrais môman pis Lili pis sortir d’ici pass’que j’ai peur et j’comprends rien et c’est l’heure qu’j’aille aider m’ame Jouillard avec ses mauvaises herbes. J’aime pas qu’les aut’ y croyent que j’y ai fait du mal à Lili pass’que j’ai peur qu’y voudront m’faire la ceinture ou l’martinet si j’sors pis y diront à môman qu’c’est ma faute si on fait des prières dans la pluie pour Lili et môman elle s’ra triste et y diront encore que j’y cause que du malheur et moi j’aurai d’la honte et du chagrin et pis Lili elle s’ra même pas là pour faire des blagues et des bisous comme elle fait quand j’ai du chagrin et…

 

Elle

 

Je n’ai pas été mécontente de retrouver mes bons petits meurtres de dealers, maquereaux et autres putes. Mes cadavres anonymes, mes corps non réclamés, mon quotidien sordide et dégueulasse. Ce n’était ni pire ni mieux, j’étais simplement habituée. Blindée. Chaque gosse camée jusqu’aux yeux retrouvée lacérée dans un caniveau effaçait un peu plus le souvenir de la petite Lili. Chaque mère alcoolique même pas surprise d’apprendre la mort de son gosse m’aidait à oublier ces deux braves femmes qui ne se remettraient sûrement jamais d’avoir perdu leurs enfants. En revanche, je ne parvenais pas à ne plus penser à Martin. Justin. Le simplet. Le naïf. L’innocent.

Le maire l’avait retrouvé pendu dans son bureau peu de temps après que je l’avais quitté. Sa mort avait calmé les villageois, apaisé les tensions, chacun y trouvait son compte et la vie avait repris son cours. Le maire a été réélu. Les mamans de Lili et Justin ont quitté le village. On m’a retiré l’enquête sur laquelle je n’avais pas vraiment de raison d’être de toute façon, mais pour finir l’affaire n’avait pas été résolue. Bien sûr tout laissait à penser qu’il s’agissait d’un rôdeur, un type de passage, un gars qu’on ne retrouverait probablement que s’il sévissait plusieurs fois et si un flic plus tenace, peut-être, ou plus chanceux, faisait un rapprochement judicieux. Bien sûr.

Officiellement, l’enquête était toujours ouverte. Officieusement, c’est moi que Léon, le gendarme du coin, avait appelée quand il avait retrouvé les vêtements de la petite dans la grange où se planquait Martin. Justin. Le simplet. Le naïf. L’innocent.



Ecrit sur le thème "intime conviction".



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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 00:12

 

L’épisode précédent, c’est ici et la première partie, c’est là.

 

 


 

 Elle

 

Le visage du gosse s’est éclairé quand il a vu la voiture. Le même effet que le bonbon de sa mère, mais décuplé. Il semblait moins craintif. Comment imaginer un seul instant ce gros pataud faire du mal à qui que ce soit ? On avait juste envie de lui pincer la joue ou de lui ébouriffer les cheveux. Malgré son bon mètre quatre-vingt. Il est monté à l’arrière avec sa mère et a commencé à toucher à tout. Et ça n’a pas manqué : il a réclamé le gyrophare et la sirène. J’ai cru qu’il allait pleurer et faire une colère quand je lui ai dit non. Il ne se rendait manifestement pas compte une seule seconde de la situation.

Il y avait encore quelques groupes de commères et de vieux, mais même si les visages croisés restaient mauvais et coléreux, les gens commençaient néanmoins à se disperser pour aller travailler, conduire les enfants à l’école, s’occuper de ce dont on s’occupe dans un champ, ouvrir qui un troquet, qui… un bistrot. Je restais vigilante malgré tout et m’en suis félicitée en apercevant devant la mairie un attroupement que le maire semblait tenter de calmer. J’ai arrêté la voiture à l’écart et j’ai rejoint le maire en espérant qu’aucun de ces villageois énervés ne tomberait sur Justin avant que j’aie pu le mettre à l’abri.     

 

Eux

 

-          Ah ben la v’là celle-là !

-          Alors où qu’il est l’Justin ?

-          Z’êtes venue pour l’arrêter, hein ? Alors qu’est-ce vous faites ?

-          Eh ! Oh ! Madame-de-la-ville, ça lui écorcherait la bouche de nous répondre ?

 

Lui

 

Oh la la si j’avais su qu’j’irais un jour dans une belle voiture comme ça ! C’est dommage qu’y a môman et qu’elle a l’air triste pass'que sinon j’voudrais bien chercher l’bouton qui fait l’pimpon pendant qu’la dame de la police elle est partie. J’sais pas c’qu’y font là les gens, avec m’sieur l’maire. Y a l’Dédé, normal’ment y d’vrait être déjà parti avec son vélo pour donner les lettres aux gens des aut’ villages. Et pis l’gros Gus à c’t’heure d’habitude y boit du truc jaune qui pique, là, j’sais pu comment qu’ça s’appelle… ça r’semble au truc de l’école qu’elle m’avait dit, Lili… comment déjà ? « Où qu’il est donc l’aut’ Richard » ou j’sais pu trop…

-          Môman… c’est quoi déjà l’truc du gros Richard, là, tu sais ?

Bon… bah môman elle est dans la lune, là, hein ! On dirait même qu’elle m’a même pas entendu qu’j’y parlais, dis ! J’peux p’t’êt’ essayer d’trouver l’pimpon, pendant qu’elle est dans la lune, môman.

 

Elle

 

-          Pour le moment rien ne permet de penser que Justin soit impliqué. Nous l’entendrons dans un premier temps en qualité de témoin.

J’ai coupé court aux protestations et railleries en entraînant le maire à l’intérieur et en fermant la porte derrière nous. Il m’a expliqué comment entrer dans le bâtiment en passant par le petit jardin de derrière et je l’ai laissé à ses bouseux vindicatifs le temps d’aller récupérer le gosse. Je n’ai rien contre la campagne et ses habitants, mais là, avec ces conneries, on perdait un temps précieux. Le légiste pensait que la petite était morte une dizaine d’heures avant son arrivée, ce qui en faisait une douzaine maintenant. Si son assassin n’était pas un gars du cru, il pouvait avoir déjà parcouru une sacrée distance. Et en quelque sorte on n’avait pas commencé l’enquête. On avait un coupable tout désigné par une foule – certes peu nombreuse, mais unanime, convaincue et en colère. Un benêt qui, d’évidence, ne captait rien à rien, mais qui sans doute était notre seul témoin. Une mère ravagée, une autre atterrée, toutes deux apparemment certaines que le benêt était bon comme le pain et incapable de faire du mal. Et moi, qui n’avais pas l’ombre du début d’une piste ou d’un indice, tout occupée que j’étais à essayer de planquer le simplet. En plus j’avais bousillé mes pompes dans la gadoue et il faisait froid, dans ce bled. Je regrettais de plus en plus d’avoir accepté. Bien qu’on ne m’ait pour ainsi dire pas laissé le choix. Les amis des épouses des cousins de je ne sais qui, on ne choisit pas, on obéit, même si on ne sait finalement jamais bien à qui.

 

Eux

 

-          Et pourquoi qu’c’est pas l’Léon qui fait l’enquête ?

-          Pourquoi qu’y nous envoyent une pimbêche comme ça ?

-          Qu’est-ce qu’y z’y connaissent à nos affaires ces gens-là ? Peuvent pas nous laisser corriger l’Martin et qu’on n’en parle pu ?

-           Où qu’il est l’Léon ?

 

Lui

 

Ah nan ! La rev’là la policière. Et ben tiens, j’vais y red’mander l’pimpon, p’t’êt’ cette fois… hein ? Ah ben elle est trop bête hein ! Elle aurait dû me d’mander pour entrer chez m’sieur l’maire ! Moi j’le connais bien l’jardin : c’est moi qu’j’y coupe sa haie, au maire. Même qu’y dit comme ça qu’j’suis un sacré bon tailleur de haie et qu’sans moi ce s’rait la jungle ! J’sais pas pourquoi qu’ce s’rait la jungle pass’qu’en vrai j’ai d’mandé à môman et la jungle c’est pas possible chez nous mais bon. J’sais pas pourquoi elle est toujours triste môman. J’espère qu’c’est pas à cause de moi. J’ai rien fait d’mal j’crois. C’est pas moi qui l’a cassée. Pis j’sais même pas pourquoi qu’les gens y parlent mal de moi aujourd’hui. J’les ai entendus, hein ! Ah tiens ben y a môman qu’est pu dans la lune… Oh non j’veux pas rester tout seul ! Pourquoi qu’elle veut aller chez la mère à Lili ? Moi aussi j’veux qu’quelqu’un soye avec moi ! Pis où qu’elle est Lili ? A l’école ? Elle est réparée ou pas ? Pass’que si qu’elle est chez elle moi j’voudra plutôt aller avec môm… mais !!! Pourquoi qu’elle m’pousse la dame de la police ?!

 

Elle

 

Bon, je planque l’idiot et je m’y mets pour de bon. Allez, enfin, dépêche-toi, gamin ! Ah, il est là le maire.

-          Où est-ce qu’il peut rester ?

-          Dans mon bureau.

-          Il ferme à clé ?

-          Oui oui.

-          Quelqu’un d’autre a la clé ?

-          La Vovonne… c’est elle qui serpille et…

-          Enragée, elle aussi, ou…

-          A l’hopital.

-          Ah… bon.

-          Voilà, ça ira ?

Le bureau était à l’image du patelin, anonyme et étriqué, mais ça ferait très bien l’affaire. La fenêtre était petite, donnait derrière sur le jardin et les rideaux épais empêchaient à coup sûr de voir de l’extérieur ce qui s’y passait. J’ai remercié le maire et lui ai demandé de me laisser un moment avec le môme.

-          Comment ça va Justin ?... Tu n’as pas peur ?... Ecoute, tu vas rester là un petit peu, d’accord ? Le temps que je trouve quelqu’un pour s’occuper de toi… Tu comprends ce que je dis ?

Il me regardait fixement, l’air partagé entre la peur et l’étonnement. J’avais l’impression de parler à une plante verte. Autant pisser dans un violon.

 

Eux

 

-          Alors quoi ? On s’en r’tourne chez nous à nos affaires comme si y c’était rien passé ?

-          C’est ça qu’z’allez y dire à la Maud ?

-          Pis qu’le Martin y continue sa p’tite vie tranquille ?

 

Lui

 

Je comprends rien. C’est une prison ici ou quoi ? Pourquoi elle veut qu’j’reste là, la policière ? Et pourquoi qu’y crient encore des trucs sur moi, les aut’, là ? J’en ai marre maint’nant. J’veux môman. Ou aller jouer avec mes chats. J’veux pas rester ici. C’est même pas une prison, j’suis sûr, vu qu’y a une photo d’la dame au maire et même en plus y a même pas d’lit alors c’est pas une prison, hein… Et pis où qu’elle est Lili à la fin ?

 

Elle

 

Bon. Il faut quand même que j’essaie d’en tirer quelque chose avant d’aller voir la maman de la petite. J’aurais dû demander des bonbons à sa mère.

-          Dis-moi Justin, tu sais qu’il est arrivé quelque chose de grave à Lili, n’est-ce pas ?... Est-ce que tu étais avec elle hier soir ?... Tu jouais dehors avec elle ?... Dis-moi, il s’est passé quelque chose de… spécial ? Vous avez rencontré quelqu’un ?... Justin, tu comprends ce que je te dis ?

OK. Un mur. Un mur mou, mais un mur quand même. Je suis sûre qu’il sait des choses. Je ne vois pas pourquoi il serait allé se planquer autrement. J’aurais dû demander à sa mère de le cuisiner à ma place, peut-être.

-          Justin, dis-moi, est-ce tu as fait du mal à Lili ?... Tu as vu qu’on lui a fait du mal ?... Tu sais qui a fait ça à ta copine ?... C’est toi Justin ?... Si c’est toi, tu sais, il vaut mieux le dire… mais si c’est quelqu’un d’autre que tu as vu il faut m’en parler aussi, c’est très important que je le retrouve, tu comprends ?... Tu sais, les gens là-dehors pensent que c’est toi qui as fait du mal à Lili… c’est pour ça qu’ils sont fâchés, tu vois... Alors ce serait bien que tu me dises, si tu sais quelque chose, comme ça je pourrai leur expliquer, d’accord ? Tu comprends ?

Non. Il ne comprend pas, non. Pas la peine d’insister pour le moment. Je vais faire revenir le gendarme du coin, là, Gaston – ou Léon, je ne sais plus – et il saura peut-être mieux y faire, entre personnes du même trou…

-          Monsieur Durange ?

-          Oui ?

-          Vous pouvez venir s’il vous plaît ?

-          Oui, j’arrive… qu’est-ce que j’peux faire pour vous ?

-          Je vais vous laisser Justin. Il faudrait l’enfermer, s’il vous plaît. Que personne ne puisse entrer. Il y a toujours des excités en bas ?

-          Ah ! Il faut comprendre, hein…

-          Non. Non, je ne comprends pas, non. Mais peu importe. Même si vous êtes compréhensif, je peux compter sur vous pour ne pas leur jeter Justin en pâture ?

-          Oh ben enfin ! Quand même !

-          Je vais aller voir la maman de la petite Lili. Vous pouvez m’expliquer comment aller chez elle ?

-          Ah ben c’est tout près, en descendant j’vous montrerai. Mais dites, faudra y aller mollo avec elle, hein ?

-          Bien sûr…

-          Non parce que depuis qu’elle a perdu son mari, elle est déjà plus elle-même, alors la mort de sa p’tite, pensez…

-          J’ai malheureusement l’habitude de ce genre de situation, ne vous en faites pas. Vous venez me montrer ?

-          Oui, oui, scusez. Je ferme… Venez.

 

Eux

 

-          D’toute façon pour qu’y s’planque comme ça c’est bien qu’il a que’qu’chose à s’reprocher, hein ? Est-ce qu’on s’planque, nous ? Hein ?

-          Ah ça ! Faut qu’y paye le débile !

-          Eh ! M’sieur l’curé, nous r’gardez pas comme ça ! C’est pas nous qu’on l’a inventé « œil pour œil », pas vrai ?

-          Allez, vous pouvez nous y dire : où qu’y s’cache ?

 

Lui

 

Oui et ben si, hein. Là ça va faire bien comme un genre d’prison, ça c’est sûr. Môman pourra pas rentrer, moi j’pourra pas sortir. Alors ça… mais j’comprends rien. Elle l’a pas perdu, son mari, la mère à Lili. Il est mort. J’le sais pass'qu’à l’enterrement c’est moi qui t’nais l’parapluie à m’sieur l’curé pour pas qu’y mouille ses prières. Même que c’était joli avec plein d’fleurs en rond sur l’cercueil. Mais c’était triste aussi parce que tout l’monde pleurait. Faut dire qu’il était gentil et puis c’était l’papa à Lili. Mais si Lili y z’ont dit qu’elle est morte aussi ça veut dire qu’on f’ra encore des prières sous la pluie, alors… mais c’est pas possible d’être mort quand on est p’tit comme ça… pass’que Lili elle est toute petite, que même quand j’la porte sur mes épaules c’est même pas lourd comme les sacs de terre qu’j’avais portés une fois pour m’sieur l’maire pour faire son p’tit jardin. Alors elle peut pas être morte. Et pis si elle est morte ça veut dire que j’la verrai plus alors. Et ça c’est pas possible non plus pass’que quand y va faire beau on a dit qu’on va aller aux jonquilles. On y va tout l’temps pass’qu’elle aime bien ça les jolies choses la p’tite Lili et les jonquilles elle trouve ça joli. Moi j’trouve ça surtout jaune et l’jaune j’trouve ça bof mais j’aime bien quand elle est contente Lili et aux jonquilles elle est toujours contente. Mais la policière elle a dit qu’les gens y croyent que j’y a fait du mal à la p’tite Lili… ça veut dire qu’y croyent que j’l’ai fait morte, alors ?... oh la la… môman elle va sûr’ment pleurer encore et pis moi aussi à cause que j’voulais pas qu’elle soye morte, Lili ! Mais si c’est moi qui l’a fait alors c’est normal qu’les aut’ y soyent fâchés après moi alors, hein… mais moi j’y ai rien fait, j’crois, à Lili… oh la la moi j’sais pu rien j’voudrais môman pis Lili pis sortir d’ici pass’que j’ai peur et j’comprends rien et c’est l’heure qu’j’aille aider m’ame Jouillard avec ses mauvaises herbes que j’suis sûr qu’si j’y dis qu’j’ai pas cassé Lili elle elle m’croira. Oui mais les aut’ y z’y croyent pas qu’j’ai pas fait du mal et j’suis sûr qu’y voudront m’faire la ceinture ou l’martinet si j’sors pis y diront à môman qu’c’est ma faute si on fait des prières dans la pluie pour Lili et môman elle s’ra triste et y diront encore que j’y cause ben du malheur et moi j’aurai d’la honte et du chagrin et pis Lili elle s’ra même pas là pour faire des blagues comme elle fait quand j’ai du chagrin et…

 

Elle

 

Je n’ai pas été mécontente de retrouver mes bons petits meurtres de dealers, maquereaux et autres putes. Mes cadavres anonymes, mes corps non réclamés, mon quotidien sordide et dégueulasse. Ce n’était ni pire ni mieux, j’étais simplement habituée. Blindée. Chaque gosse camée jusqu’aux yeux retrouvée lacérée dans un caniveau effaçait un peu plus le souvenir de la petite Lili. Chaque mère alcoolique même pas surprise d’apprendre la mort de son gosse m’aidait à oublier ces deux braves femmes qui ne se remettraient sûrement jamais d’avoir perdu leurs enfants. En revanche, je ne parvenais pas à ne plus penser à Martin. Justin. Le simplet. Le naïf. L’innocent.

Le maire l’avait retrouvé pendu dans son bureau peu de temps après que je l’avais quitté. Sa mort avait calmé les villageois, apaisé les tensions, chacun y trouvait son compte et la vie avait repris son cours. Le maire a été réélu. Les mamans de Lili et Justin ont quitté le village. On m’a retiré l’enquête sur laquelle je n’avais pas vraiment de raison d’être de toute façon, mais pour finir l’affaire n’avait pas été résolue. Bien sûr tout laissait à penser qu’il s’agissait d’un rôdeur, un type de passage, un gars qu’on ne retrouverait probablement que s’il sévissait plusieurs fois et si un flic plus tenace, peut-être, ou plus chanceux, faisait un rapprochement judicieux. Bien sûr.

Officiellement, l’enquête était toujours ouverte. Officieusement, c’est moi que Léon, le gendarme du coin, avait appelée quand il avait retrouvé les vêtements de la petite dans la grange où se planquait Martin. Justin. Le simplet. Le naïf. L’innocent.

 

 

 

 

Ecrit sur le thème « Intime conviction ».

 

 

 

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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 22:53


L'épisode précédent, c'est ici, et la première partie, c'est là.


 

Elle

 

Les inquiétudes du maire semblaient justifiées. Les gens étaient déjà quasiment en train d’organiser une battue pour retrouver Justin. Et quoi ? Le pendre ? Le lapider ? Je trouvais ça flippant. C’est sûr que je n’avais pas trop l’habitude de la campagne et encore moins de la campagne profonde secouée par un événement de ce type, mais j’étais horrifiée par ce que je voyais et entendais. Je suis vite retournée auprès de la mère du gamin pour lui demander si elle avait une idée d’où il pouvait se trouver. Elle s’est d’abord montrée méfiante et réticente à « donner » son môme, mais quand un type est passé devant sa maison avec une fourche en gueulant qu’il ne pourrait pas leur échapper, sa détermination à protéger son fils contre moi a faibli. Je lui ai assuré que je voulais surtout le mettre à l’abri des autres et elle s’est résolue à me conduire près de lui.

La pauvre femme… Toute une vie dans un bled au milieu de voisins qui ont vu naître son fils et voilà qu’elle finissait par devoir faire confiance à une inconnue susceptible de coffrer son gosse à vie. Elle paraissait totalement perdue. On le serait à moins. Elle m’a emmenée vers une grange en m’expliquant que son gamin y jouait souvent avec la petite et qu’il aimait bien y venir même tout seul. Il y était effectivement.

Je m’attendais à un gosse, c’était en fait un grand gaillard qui affichait bien vingt-cinq ans. En voyant sa mère il s’est jeté dans ses bras en sanglotant. Pas une trace de sang sur lui, pas de griffures sur les mains ou les joues. Ma certitude se confirmait : il n’était pour rien dans la mort de la môme.

Sa mère l’a consolé en lui filant un bonbon et lui a expliqué que j’étais de la police et qu’il fallait qu’il vienne avec moi. Il a paru inquiet et un peu déconcerté, mais d’évidence il ferait n’importe quoi que sa mère lui dirait. Je suis allée chercher la voiture pour pouvoir sortir Justin discrètement et j’ai appelé le maire, qui m’a proposé de le cacher dans son bureau à la mairie en attendant que ça se calme. J’avais l’impression d’être dans un film. Ou un cauchemar. Planquer un innocent au sens le plus large du terme pour lui éviter de finir lynché par une foule en colère armée de pioches, de pelles, de n’importe quoi… c’était complètement surréaliste.

 

Eux

 

-          Qu’est-ce qu’elle fout la parisienne ?

-          Et où qu’elle est la mère à Martin ? Faudrait voir à pas la laisser l’planquer, son rej’ton !

-          On a r’tourné toute la maison, personne !

-          Quelqu’un a d’mandé à m’sieur l’curé si l’Martin s’était planqué chez lui ?

-          On a fouillé l’église, l’y était pas non plus !

 

Lui

 

Pourquoi elle veut qu’j’aille à la police môman ? Elle m’a donné un bonbon alors elle doit pas être fâchée mais la police c’est une punition, non ? Pourquoi j’ai une punition ? La dame j’la connais pas et puis pourquoi faut qu’j’aille me cacher ailleurs alors que j’suis très bien caché ici ? Pourquoi môman elle a dit où qu’elle est ma cachette à la dame de la police ? Et pourquoi y crient encore, les gens ? Et où qu’elle est Lili ? Ouah ! J’ai jamais vu une voiture aussi belle ! Et j’vais monter d’dans ! Quand j’vais raconter ça à Lili, elle os’ra pu dire que j’peux pas être le prince !

 

 

A suivre…

 


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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 23:03


La première partie, c'est là.



 

Elle

 

-          C’est vous la parisienne ?

-          Euh… oui. Monsieur ?

-          Durange. J’suis l’maire. Z’êtes pas v’nue toute seule, hein ?

-          Si, pourquoi ?

-          Y m’avaient dit qu’y z’enverraient un commissaire.

-          Je suis commissaire.

-          Ah ? Ben ça… Z’avez pas pris un gars avec vous ?

-          Je suis tout à fait qualifiée et…

-          Mais oui, non, c’est pas ça. J’sais bien qu’y z’ont bien dû choisir quelqu’un d’bien, rapport au cousin d’ma femme, là… mais bon, vous savez, par ici, les étrangers, déjà, les gens y z’aiment pas bien ça, y s’méfient, alors en plus une femme…

-          Je m’en sortirai.

-          Dites, c’est vraiment la p’tite Lili, alors ?

-          La p’tite Lili ?

-          La fille à la Maud. Elle est pas rentrée hier.

-          Vous avez un gendarme du coin qui la reconnaîtrait ?

-          Ben y a Léon, qu’a d’jà dû la voir, ouais, mais y a longtemps… Mais j’peux vous dire, moi, hein…

-          C’est dur, vous savez, de voir… ça.

-          Mais ça vous aiderait de savoir vite, non ?

-          Bien sûr.

-          Et on va quand même pas d’mander à la Maud ?

-          Non. Non, pas maintenant.

-          Allez, montrez-moi.

Sympathique, le bonhomme. Gentil, sous ses airs bourrus. Je l’ai conduit près du corps que le légiste avait fini d’examiner. Il a eu du mal à réprimer sa surprise et son dégoût. On s’attend toujours à ce qu’un mort ressemble à un vivant qui dort. Il a hoché la tête et fermé les yeux avant de se détourner pour qu’on ne le voie pas pleurer. Je lui ai laissé le temps de se redonner une contenance et je suis allée vers lui.

-          C’est bien elle ?

Il a opiné gravement. Il était pâle comme un linge. J’avais peur qu’il tombe dans les pommes, mais il a toussé, secoué la tête et il s’est repris :

-          Lili Grandin. C’est bien la p’tite qu’est pas rentrée hier. J’espère que c’est pas l’Martin qu’a fait ça.

-          Martin ?

-          Justin Desrozes. Martin, c’est comme ça qu’on l’appelle, parce que tous les ânes… ‘fin vous savez, quoi. C’est la campagne, ici, hein…

-          Et pourquoi ce serait lui ?

-          Martin – j’veux dire Justin, c’est notre… comment dire… notre idiot du village, quoi. ’Scusez, hein, mais autant appeler un chat un chat, non ? C’est un simplet, mais pas l’mauvais l’bougre. Un gentil garçon, même.

-          Alors pourquoi il aurait fait ça ?

-          Par accident ? Allez savoir c’qui peut s’passer dans la tête des gens comme lui… La Lili elle l’adorait, Martin. Elle a pu d’papa la p’tite, et l’Martin y s’occupait drôlement d’elle. Grand et fort comme un papa, simple et joueur comme un frangin… z’étaient cul et ch’mises ces deux-là.  

-          C’est un peu facile, non ?

-          Sûr… mais j’vous fiche mon billet qu’c’est déjà c’qui s’dit au village. Et j’ai peur d’c’qu’y pourraient y faire, au Martin, les gars.

-          Vous croyez vraiment que…

-          Oui.

-          Et on le trouve où Justin ?

-          D’mandez à sa pôv’ mère, c’est la dame qu’est là, avec la maman d’la p’tite Lili. Vous allez y dire à la Maud ?

-          La mère de Lili ? Bien sûr.

-          Et ça vous embêterait pas que j’vienne avec vous ? Elle est fragile, la Maud. Elle s’est même pas encore remise de la mort de son mari, elle vit que pour la p’tite… alors ce s’rait p’t’êt’ bien qu’y ait quelqu’un qu’elle connaît pour entendre ça.

Je suis convaincue que personne ne peut entendre une chose pareille. Peu importe qui le dit, comment, qui est là ou qui n’y est pas, personne à ma connaissance n’est capable d’entendre ça. La plus moche partie du boulot. La plus dure aussi. Il n’existe pas de bonne façon d’annoncer ça et c’est toujours une épreuve. J’y suis donc allée avec le maire et, au passage, j’ai embarqué le légiste, des fois qu’elle aurait besoin d’un médecin. Et ça n’a pas loupé. Elle est tombée dans les pommes, a repris ses esprits et s’est mise à hurler. On lui a administré un calmant et le toubib du patelin a pris la relève pour la raccompagner chez elle. Moi je me suis entretenue avec la mère de Justin. Elle était sûre que ce n’était pas son gamin, bien sûr, et disait que la mère de la petite le croyait pas non plus. Je dois dire que je n’y croyais pas plus. Le légiste n’avait fait qu’un examen superficiel et les gars de la scientifique commençaient à peine leur boulot, mais la gosse était nue, son corps semblait avoir été balancé là à la hâte, ses fringues ne traînaient pas à côté, tout laissait à craindre qu’elle avait été violée et rien de tout ça ne cadrait avec l’acte maladroit et précipité d’un benêt, affectueux qui plus est.

 

Eux

 

-          Z’êtes allés voir chez lui ?

-          Y a personne. Mais y peut pas être bien loin, c’nigaud !

-          Z’avez cherché à l’église ? Y s’rait capable de s’terrer là-bas. Ou à la fontaine où qu’y jouait des fois avec la p’tite Lili !

-          Faut l’trouver avant qu’y fasse du mal à quelqu’un d’autre le dingo !

 

Lui

 

J’sais pas pourquoi y s’sont fâchés, les gens. C’est pas moi qui l’a cassée. Y pens’ront pas à v’nir me chercher ici j’espère. C’est la grange au vieux Jeannot. Y s’en sert plus vraiment pass’qu’il est trop vieux main’nant et nous on y joue d’dans avec la p’tite Lili. On amène des poules à la Marthe, le chien à Lili et mes deux chats et on joue à la ferme. On dit qu’le chien à Lili c’est un chien d’berger et mes chats des moutons ou des vaches. On fabrique des genres de barrières avec de la paille et des bouts d’bois pis ça fait des enclos pour not’ bétail. On aime bien jouer à ça avec la p’tite Lili. Une fois, y a une des poules à la Marthe qu’a même pondu dans la grange pendant qu’on jouait et on a eu l’droit d’garder les œufs et on a fait une omelette avec môman. C’était rud’ment bien.

Y a des policiers qui sont là aussi, main’nant. J’espère qu’y vont pouvoir la réparer, parce que j’l’aime bien et pis c’est pas moi qui l’a cassée la p’tite Lili. J’voudrais bien qu’môman elle vienne. J’ai peur main’nant. J’aime pas tout c’monde qui crie après moi et que j’sais même pas pourquoi.




                                                                                                                       A suivre...



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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 00:38

 

Elle

 

Quand je suis arrivée sur les lieux, j’ai tout de suite regretté d’avoir accepté. C’était ce genre de trous qui n’a ni le charme rustique, ni l’avantage notable de la proximité d’une grande ville. Un patelin anonyme et anodin, rendu plus terne encore par la faible lumière du jour naissant. La traversée du village m’avait déjà assez sérieusement entamé le moral, mais alors la découverte de la scène de crime m’a carrément foutu le bourdon. D’une, je n’avais pas du tout les bonnes chaussures. Je suis une citadine, moi. Mes cadavres d’extérieur sont sur le bitume, au pire dans une poubelle, mais pas dans les bois. De deux, il y avait beaucoup trop de monde. Je n’arrive jamais la première, on ne fait appel à moi que si on a déjà trouvé un corps, mais là il y avait carrément foule. Des coups à avoir une scène de crime toute salopée. Je me suis garée et j’ai traversé un terrain de foot gadoueux pour accéder au bosquet derrière lequel se trouvait le corps. Il y avait nettement moins de monde. Les curieux, tout le village apparemment, n’avaient pas pu s’approcher plus. Une chance. Pour nous comme pour eux. Des coups à rester hantés toute leur vie par cette image. Le corps, nu, était chétif et d’une pâleur bleutée qui tranchait à tel point sur le sol sombre et boueux qu’il en paraissait irréel. Il était tourné face contre terre, mais il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait du corps d’un enfant. Une enfant probablement, compte tenu de la longueur de ses cheveux tressés.

Une gosse. Un village. Pas un meurtre anonyme à résoudre dans l’indifférence. Tout le monde connaissait sûrement la gamine.

Je n’aurais vraiment pas dû accepter. Le maire du patelin était l’ami du cousin de l’épouse de je ne sais pas qui, mais pour finir c’est carrément le cabinet du ministre qui avait demandé que soit envoyé quelqu’un.

J’ai entendu de l’agitation, puis des hurlements. Une femme arrivait en courant. C’est elle qui hurlait. Les gens, sur son passage, baissaient la tête et s’écartaient d’elle comme d’une pestiférée. Elle a perdu l’équilibre et s’est effondrée à terre, criant et pleurant. Une autre femme s’est enfin approchée d’elle et l’a aidée à se relever. J’ai envoyé deux agents s’en occuper. La foule s’est alors dispersée. Les gens semblaient s’échanger des regards de connivence et partaient par petits groupes. Sans pouvoir vraiment dire pourquoi, je n’aimais pas ça.

 

Eux

 

-          Ah ! ça… ça devait bien finir par arriver !

-          Depuis l’temps qu’on l’dit, qu’ça va mal finir !

 

Lui

 

C’est même pas vrai. Y a jamais personne qu’a dit ça. Ceux qui causent, là, j’les connais. Y m’disent toujours bonjour gentiment. Tout l’monde y dit bonjour à tout l’monde par chez nous. Et y en a même une, une des dames, là, des fois elle me donne un bonbon quand j’l’aide à sortir sa poubelle. C’est à cause que son mari l’est mort d’une gangrène à l’hiver d’avant çui-là. C’est lui qui s’occupait d’la poubelle. Mais main’nant elle est toute seule et toute petite et maigre et elle dit comme ça que si elle avait eu un bon gars comme moi elle se f’rait bien moins du souci pour ses vieux jours et que j’suis un gentil garçon et que môman elle a bien d’la chance de m’avoir quand même.

Môman, elle dit que même si j’suis comme j’suis elle m’échangerait contre aucun autre. Elle est pas en train d’causer avec les gens, môman. J’sais pas où elle est. J’espère qu’elle va pas pleurer. J’aime pas bien quand elle pleure, môman. Avant j’croyais qu’elle pleurait à cause de mon père qu’est dans l’ciel, mais un jour que j’aidais m’sieur l’curé à la sortie d’la messe j’ai entendu une dame qui disait qu’en vrai mon père c’était qu’un pendard qu’avait abandonné môman et qu’était sûr’ment en train d’croupir quelqu’part dans une prison et que c’est pour ça qu’j’suis comme j’suis. Je sais pas trop c’que c’est un pendard, mais surtout main’nant j’sais plus quoi penser quand elle pleure, môman. J’ai peur qu’c’est à cause de moi.

 



A suivre...


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12 novembre 2009 4 12 /11 /novembre /2009 03:05

   

C’est l’histoire d’une graine, une toute petite graine, devenue bien malgré moi la chose la plus importante de mon existence. Une véritable obsession, au point de ne vivre plus que pour ça. Une quête. Un sacerdoce.

Je devais réussir à faire germer cette satanée graine. Il m’arrivait même parfois d’en perdre de vue le but ultime tant cette seule première condition était devenue tout ce qui importait. Je n’avais pas imaginé que ce serait si difficile.

Après avoir longuement et vainement essayé à peu près tous les procédés ordinaires ainsi que les trucs et astuces de grand-mère, j’ai dû me rendre à l’évidence : il allait me falloir envisager des solutions plus complexes et délicates.

Je me suis lancée dans cette entreprise avec une relative insouciance, sans mesurer pleinement ce que ça allait impliquer. Et quand j’ai commencé à me rendre compte de l’ampleur de la tâche et des sacrifices qu’elle nécessitait, il était trop tard pour faire marche arrière, j’étais corps et âme dévouée à ce seul et unique objectif que je m’étais fixé. Et il est des rêves auxquels aucune femme ne saurait renoncer sans y perdre un peu de son âme.

 

Au début, je n’étais pas particulièrement regardante sur le donneur. D’une part je ne pensais pas que ça revêtait une réelle importance, d’autre part je n’imaginais pas qu’il me serait possible de faire la fine bouche. Je ramassais donc qui voulait me suivre dans les bars et les discothèques et je faisais mon affaire aussi vite que possible pour ne pas risquer de dévoiler mes intentions à ces types, dont je ne voulais rien moins que les voir se poser des questions ou, pire, s’attacher. Je ne pouvais pas me permettre de m’encombrer de tels désagréments, le temps m’était compté. Au bout d’un moment, on a l’horloge biologique qui s’agite…

Je me suis cependant assez vite aperçue qu’un minimum d’organisation et de précautions s’imposait. Déjà, lever un type dans un bar étant infiniment plus simple que ce que j’avais imaginé, je me suis autorisée à faire la difficile et à sélectionner mes candidats sur des critères aussi futiles que réjouissants. Ensuite, j’ai diversifié autant que possible mes terrains de chasse, puisque c’est finalement bien de cela qu’il s’agissait.

Il n’était en effet pas question de créer des habitudes ou quoi que ce soit qui aurait pu me mettre un tant soit peu dans l’embarras. Je ne pouvais pas me permettre de courir le risque que mes plans puissent être contrariés par simple négligence. Alors je continuais d’écumer bars et boites, mais en n’allant jamais deux fois de suite au même endroit, et surtout j’ai commencé à prospecter et emballer du coté des supermarchés, des boutiques de fringues pour hommes et des magasins de surgelés. De véritables mines d’hommes faciles !

Trop faciles peut-être. Ça ne marchait pas. Je prenais pourtant bien soin de concentrer mon activité sur les périodes propices – tellement courtes hélas ! – et je faisais tout conformément aux usages préconisés, mais ça ne voulait pas prendre.

Je n’avais guère de temps pour le découragement et chaque échec était l’occasion d’un regain d’énergie pour élaborer de nouvelles stratégies et méthodes en vue de la tentative suivante. Je sentais bien toutefois, à mesure que le temps passait, que tout ça générait beaucoup de stress et de fatigue et que, ne serait-ce que physiquement, je risquais de plus pouvoir tenir le rythme très longtemps. Je réfléchissais aux solutions qui s’offraient à moi, mais n’en voyais guère. La semence idéale ne tomberait pas du ciel. Pas d’aussi haut, non. C’était bien à moi d’aller la chercher et d’en faire bon usage.

Peut-être était-ce bien dans le choix des hommes que j’étais trop négligente. Peut-être fallait-il procéder à une sélection infiniment plus stricte et moins fantaisiste que celle à laquelle je m’amusais plus que je ne réfléchissais véritablement Mais quels critères retenir, alors ? Sur ce point la littérature, de la plus sérieuse à la plus douteuse, était tout ce qu’il y a de plus pauvre. J’ai relu tout ce que j’avais accumulé de documentation sur le sujet pour m’assurer que je n’avais vraiment rien négligé jusqu’alors et, ne trouvant aucune faille dans ma façon de faire, j’ai donc effectivement opté pour l’élaboration d’une liste raisonnable des qualités indispensables que devraient avoir désormais les hommes que j’utiliserais.

J’ai mis de coté les critères purement esthétiques, convaincue depuis le début qu’un physique avantageux ne présentait aucune garantie de transmission. Même chose avec l’esprit, l’intellect, les aptitudes diverses à l’art ou au sport. A la limite, les plus stupides et les moins corpulents présentaient bien évidemment des avantages indéniables. Pour autant j’avais quand même un fond d’amour propre et je me suis réservé le droit de ne pas ramener l’idiot du village ou un gnome. On a beau être en détresse, on a tout de même sa fierté.

Mais avec tout ça ma liste des critères impératifs se réduisait à peau de chagrin. Qu’est-ce qui pourrait bien faire la différence ? Quand j’ai fini par trouver, je me suis sentie bête de ne pas y avoir songé plus tôt. C’était d’une telle évidence ! J’avais pourtant pensé à tout, mais pas au plus simple : j’ai décidé dès lors de ne plus me servir que de ceux dont la fertilité était avérée. Evidemment, ça nécessitait de les garder quelque temps et de créer, conséquemment, ce relatif attachement que je souhaitais éviter. Entre autres inconforts, je me mettais également en situation d’avoir à jongler avec plusieurs partenaires en même temps. Il me fallait par ailleurs être aussi rigoureuse que possible, non seulement pour ne pas en perdre un, mais aussi pour bien m’assurer que j’attribuais la fertilité au bon donneur.

Mon affaire devenait complexe et épuisante, sans compter que les grossesses me faisaient perdre un temps fou. Je perdais en vigilance ce que je gagnais en âge et en fatigue. Et ce qui devait arriver arriva. Un jour, la police a débarqué et ils ont tout découvert.

 

***

 

-         Nous n’avons pas encore fini de retourner votre jardin, mais nous avons déjà trouvé 12 corps.

-         …

-         Vous m’avez entendu ?

-         Oui oui.

-         On risque d’en trouver encore beaucoup ?

-         Oh la la… c’est que j’ai perdu le compte depuis longtemps, vous savez ?

-         Bien… vous reconnaissez donc les avoir tués ?

-         Ah ? Vous étiez pas sûrs ? Mince…

-         Ne faites pas la maligne, on a déjà un paquet de preuves et je suis sûr qu’on en trouvera encore beaucoup. Alors ?

-         Quoi ?

-         Vous n’avez rien à dire ?

-         Ben je sais pas moi… qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?

-         Comment vous les avez tués, par exemple.

-         Pendus.

-         Pardon ?

-         Je les ai pendus.

-         Où ça ?

-         Vous avez vu le fil à linge, au-dessus du potager ?

-         Euh… peut-être bien, oui.

-         Si vous regardez bien, c’est un gibet. Un peu transformé pour pas faire peur aux gosses du quartier.

-         Quelle gentille attention !

-         Vous vous moquez ?

-         …

-         Vous vous moquez.

-         Bon. Qui sont les victimes ?

-         Quoi ?

-         Qui sont les…

-         Oui, j’ai entendu ! Mais vous plaisantez ?

-         Comment ça ?

-         Ben j’en ai pas la moindre idée !

-         …

-         Un coup sur deux je savais même pas leur nom au moment où je les rencontrais, alors maintenant… vous pensez bien que j’en sais rien !

-         …

-         Ben me regardez pas comme ça ! Vous vous souvenez du nom de toutes les femmes que vous avez ramenées chez vous, vous ?

-         Vous voulez dire que ce ne sont que des hommes ?

-         Ah ben oui, hein…

-         Vous jouiez les mantes religieuses ?

-         Les amantes religieuses, vous voulez dire ? Hin hin…

-         Vous trouvez vraiment que l’heure est à la plaisanterie ?

-         Oh, foutue pour foutue, je n’ai plus rien à perdre, maintenant.

-         Et vos enfants ?

-         hm ?

-         …

-         …

-         Bon. Reprenons. Vous ne savez donc ni combien d’hommes vous avez tués, ni qui ils sont ? C’est bien ça ?

-         Oui.

-         De parfaits inconnus ?

-         Oui. Enfin non : pas les plus récents. Ceux-là je couchais avec et je les gardais un peu plus longtemps histoire de voir s’ils fonctionnaient ou non. Alors j’ai peut-être encore un ou deux numéros de téléphone.

-         S’ils « fonctionnaient » ?

-         Oui.

-         C’est-à-dire ?

-         Ben… si leur semence était efficace.

-         Leur semence ?

-         Oui, quoi d’autre ?

-         Tout ça pour… ça ?

-         Vous êtes un homme, vous ne pouvez pas comprendre.

-         Non, faut croire. Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas arrêtée quand…

-         M’arrêter ? Tout mon fric déboursé dans ces foutues graines et ma vie entière consacrée à essayer de faire pousser cette putain de mandragore, et vous auriez voulu que j’abandonne comme ça, pour rien et sans avoir eu le moindre résultat ?

-         Faire pousser… quoi ?

-         De la mandragore.

-         De la mandragore ?

-         Oui ! Le sol bien riche, le semis à l’automne, la semence de pendu… la mandragore, quoi !

-         Mais pourquoi faire ?

-         Hein ?

-         Pourquoi faire, de la mandragore ?

-         Mais enfin, pour ma fécondité !

-         Votre… fécondité ?

-         Oui, quoi d’autre ? Je ne suis pas vénale et de toute façon je n’ai jamais cru à cette histoire de fortune et de prospérité….

-         Mais…

-         Vous ne comprenez donc rien aux femmes ?

-         Non. Si. Mais…

-         Mais quoi ?

-         Vos enfants ?!

-         Hm ?

-         …

-         …

-         Qu’est-ce ça veut dire exactement, pour vous, « fécondité » ?

 

 

 

 

 

 

Ecrit avec pour contraintes le titre et l’incipit « C’est l’histoire d’une graine, une toute petite graine… ».

 

 


  
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