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18 juin 2010 5 18 /06 /juin /2010 17:52

 

Pour autant que je sache, le vieux Jourdin avait toujours été surnommé le vieux Jourdin. Il avait fait vieux très jeune. On lui avait toujours connu les cheveux gris, la démarche pesante et voutée et le geste lent.

Le vieux Jourdin habitait la maison du marais, qu’on appelait comme ça même si personne n’avait connu le marais avant qu’il soit asséché. Et quand on venait par le chemin des lilas en allant vers chez les Puche, on apercevait derrière la maison du marais du vieux Jourdin ce qu’on appelait la cabane du vieux : une remise en bordure du bois, toute de planches branlantes et disjointes, qu’entourait un vrai mystère.

Personne ne savait trop bien de quoi vivait le vieux Jourdin. C’était un taiseux solitaire qui n’aimait pas le monde et que le monde n’aimait pas. Il ne quittait que rarement sa bicoque, s’affairait à l’abri des regards dans son jardin et traversait parfois son terrain pour gagner sa cabane près du bois et s’y enfermer pendant des heures.

Il ne venait presque jamais au village et quand il s’y aventurait, c’était aux heures où il savait qu’il ne risquait pas de rencontrer trop de monde. Ceux qui croisaient son chemin s’en écartaient prudemment tout en l’observant attentivement et racontaient ensuite pendant des jours ses moindres faits et gestes.

Le vieux Jourdin faisait office de Croquemitaine. Gamine, mes parents me faisaient manger mes brocolis en me menaçant de m’enfermer dans la cabane du vieux si je rechignais. Son nom avait fait trembler des générations d’enfants et sa cabane avait nourri les fantasmes horrifiques des petits et des grands. Au bistrot, les ivrognes inventaient des histoires toutes plus extravagantes les unes que les autres mettant en scène le vieux Jourdin dans sa cabane et leurs épouses en secret se rêvaient amantes aventureuses en son antre.

Mais pour finir, personne ne savait quoi que ce soit du vieux.

 

Quand il est mort, personne ne s’en est aperçu et c’est le facteur d’été, le remplaçant de Gilot, qui a découvert son corps longtemps après en voulant lui apporter son courrier.

Le village entier a fondu sur la maison du marais pour tenter d’y découvrir des bribes de la vie du vieux Jourdin, mais cet homme semblait être une abstraction tant il ne possédait rien de personnel. Pendant que les adultes fouillaient la maison, les enfants, eux, s’étaient agglutinés autour de la cabane. Certains tentaient d’apercevoir quelque chose à l’intérieur par la serrure ou les interstices entre deux planches, mais il y faisait un noir d’encre et on ne distinguait rien. Etant la plus grande du groupe, c’est moi qui ai finalement pris mon courage à deux mains et ouvert la porte grinçante de la cabane mystérieuse. Je n’ai d’abord pas bien compris ce que je voyais, le temps que mes yeux s’accommodent à la pénombre du lieu. Les petits derrière moi trépignaient sans oser passer la porte. La pièce était plus vaste qu’elle ne paraissait de l’extérieur et ses murs étaient entièrement tapissés de photos. J’ai immédiatement imaginé toutes les horreurs dont j’avais déjà entendu parler ici et là au détour des conversations d’adultes : enfants nus, corps mutilés, victimes martyrisées… mais quelque chose clochait. Une petite table sur laquelle était posée une lampe à gaz occupait le centre de la cabane. J’ai allumé la lampe et l’ai approchée des photos, m’attendant à défaillir devant l’horreur, mais incapable de ne pas regarder.

En fait de monstruosités, il s’agissait de photos des gens du village. Habillés. Et vivants. Presque quatre générations d’habitants, photographiés pendant tous les événements, petits ou grands, qui avaient rythmé la vie du village depuis… combien de temps ? Quel âge pouvait-il bien avoir, le vieux ? Des tas de gens m’étaient inconnus, j’étais trop jeune, mais j’en reconnaissais que j’avais vus en photo ailleurs : des grands-parents et même quelques arrière-grands-parents. Les miens notamment. Je reconnaissais les lieux également. La fête de l’école l’année juste avant que j’y entre. L’enterrement de la fille Monier qui s’était noyée une semaine avant l’anniversaire de sa mère. La fanfare le jour de la victoire de l’équipe de pétanque au tournoi intercommunal. Le mariage des parents de Pascaline. La fête pour la retraite du père Puche. Des centaines de photos punaisées dans le désordre sur ces murs branlants. Et au sol et sur la table des tas de feuilles noircies d’une écriture fine et élégante.

 

Les adultes ont fini par nous virer de la cabane et ont farfouillé dans les photos et la paperasse. Il s’est avéré que le vieux Jourdin, sous ses airs d’ermite, était un observateur incroyable. Ses liasses de feuilles griffonnées, mieux qu’un journal, étaient un véritable roman, une saga de la vie du village pendant presqu’un siècle. Tout le monde y avait sa place. Pas un minot, pas un alcoolo, pas une mégère ne manquait.

Sous sa plume, nos vies, qui nous semblaient être au mieux d’un ennui mortel, au pire pathétiques, devenaient de véritables contes pleins de tendresse et touchants de simplicité et d’authenticité. Dans ses pages nous étions beaux. Nos histoires étaient jolies. Nous n’étions plus des culs-terreux oubliés et oublieux, mais les véritables symboles d’un mode de vie érigé en art. Le mythe terrifiant de la cabane du vieux était tombé d’un coup : point de cadavre sous les lattes du plancher. Cet homme à qui personne n’avait jamais parlé nous avait tous aimés au point de consacrer tout son temps au récit enchanteur de nos existences. Comme il n’avait aucune famille, c’est la commune qui a hérité de ses biens et il a été décidé en conseil de proposer l’œuvre du vieux Jourdin à un éditeur. Le projet a mobilisé tout le village pendant des semaines et une fois prêt, le précieux manuscrit a été soumis à plusieurs maisons d’édition qui se sont presque battues pour le publier. Autant dire que le contrat signé par la commune a été des plus juteux. Le roman, publié en trois tomes, a rencontré un succès tout-à-fait stupéfiant et les droits ont été vendus à la télévision pour une petite fortune supplémentaire.

Cinq ans après la mort du vieux Jourdin, l’argent engrangé a permis au maire de mener à bien un projet qui lui tenait à cœur : la maison du marais et la cabane du vieux ont enfin pu être rasées pour permettre le passage de l’autoroute et l’aménagement d’un péage, devenu une véritable manne pour la commune.

 

Le vieux Jourdin ne doit même pas pouvoir se retourner dans sa tombe, ensevelie sous les tonnes de béton de la rampe d’accès.

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi sur le thème de « la cabane ».

 

 

 

 

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4 juin 2010 5 04 /06 /juin /2010 00:10

 

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Dans mes rêves les plus fous, je collectionne les scalps des hommes qui m’ont fait souffrir. Et je dis scalps pour être polie, parce que très sincèrement ce que j’aimerais leur prélever se situe beaucoup plus bas dans leur anatomie.

Dans mes rêves de femme forte et vengeresse, c’est avec les dents que je leur arrache ce trophée, pour me consoler des peines qu’ils m’ont infligées.

Dans mes rêves de Gorgone irascible, d’un regard je paralyse d’effroi ces monstres d’égoïsme et de suffisance et d’un coup je les prive de cette virilité qui leur est si chère.

Dans mes rêves de succube insatiable, je les envoûte de mes charmes démoniaques avant de leur crever les yeux et de leur dévorer le cœur.

 

Dans la vie, je n’arrive pas à ne pas les aimer et je ne collectionne que les bleus, les plaies et les bosses.

 

 

 

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi sur le thème du « collectionneur ».

Illustration : iruka

 

 

 

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28 mai 2010 5 28 /05 /mai /2010 23:55

 

J’ai brûlé une première bougie en me disant que ça me ferait sûrement penser à l’amour qui a consumé mon cœur jusqu’à n’en laisser plus que des cendres. Ça n’a pas marché, j’ai seulement pensé que ça mettait drôlement longtemps à se consumer, une bougie.

J’ai essayé avec une deuxième, dont un peu de paraffine m’est tombé sur le doigt. Alors j’ai pensé que c’était étonnant que ça ne m’ait pas fait mal et j’ai joué avec les gouttelettes qui coulaient le long de la bougie jusqu’à me brûler. A partir de là, j’ai essentiellement pensé « putain de merde mais quelle conne ». Approximativement.

A la troisième bougie, je me suis souvenue de la question de ma fille deux jours plus tôt, qui me demandait pourquoi il y avait du bleu dans les flammes. J’ai pensé que je n’en savais foutre rien, mais que j’aurais pu lui répondre un truc bête comme « parce que ce sont les fleurs bleues qui brûlent d’amour ».

En allumant la quatrième bougie, j’ai pensé qu’il fallait absolument que je reste bien concentrée sur cette flamme et rien d’autre, pour que ça fasse naître de belles pensées. En la regardant brûler, j’ai pensé qu’il fallait absolument que je reste bien concentrée sur cette flamme et rien d’autre, pour que ça fasse naître de belles pensées.

Je ne vous ferai pas l’énoncé complet des pensées qui m’ont traversé l’esprit pendant la combustion des bougies 5 à 9, sachez simplement que la plus con était « tiens, mon frigo respire comme un ogre » et la plus profonde… non, oublions la plus profonde. Autant que vous puissiez croire que je suis effectivement capable de profondeur.

A la dixième, j’ai pensé que j’avais un sacré stock de bougies. Il faut dire qu’outre les « restes » traditionnels de l’anniversaire pas rond qui ne tombe pas sur un multiple de nombre de bougies dans une boîte, j’avais également un paquet neuf de bougies « princesses », acheté sans doute en trop lors des dernières festivités pour ma descendance. J’ai pensé aussi qu’il faudrait donc que j’en rachète pour son prochain anniversaire.

L’atmosphère commençait à devenir un peu étouffante. La fumée s’élevait, en volutes que je devinais élégantes à la faible lueur de mes bougies, mais mes pensées toujours pas.

J’ai fini par tricher en allumant deux bougies à la fois et j’ai essentiellement passé le temps qu’elles ont mis à fondre à me demander laquelle s’éteindrait la première. Mon incapacité absolue et très inattendue à me sentir inspirée par ces saloperies de flammes a commencé à me miner un peu.

Pour finir, il ne m’est venu aucune pensée digne de vous être donnée à lire ce soir. Aussi ai-je décidé, puisque je n’ai plus de bougies, mais qu’il me reste des allumettes, de m’immoler par le feu et d’essayer de vous envoyer mes pensées de l’au-delà.

Si ça marche, la prochaine fois, brûlez un cierge.

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi : « allume une bougie, regarde-la se consumer entièrement et dis-nous les pensées qui t’ont traversé l’esprit pendant qu’elle fondait ».

 

 

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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 22:00

 

Une histoire de dingue.

J’avais à peu près tout envisagé, mais ça… Bien ma veine, tiens ! Ce con de clébard qui m’avait jamais servi à rien pendant toutes ces années, et voilà qu’à ça de crever enfin, il avait fallu qu’il fasse le premier effort de sa vie et aille déterrer cette saloperie d’os au fond du jardin ! Et tu crois qu’c’est à moi qu’il l’aurait rapporté ? Douze ans que j’le remplis d’pâtée et d’croquettes et ça a même pas la reconnaissance du ventre, ces foutues bestioles ! Il est allé direct chez l’voisin poser sa trouvaille sur son paillasson. En échange d’un sucre. Un sucre ! Douze ans d’croquettes, UN sucre. Pis il est pas allé chez l’voisin que j’suis pote avec, hein, non… il est allé chez l’nouveau, çui qui m’regarde de haut derrière ses lunettes, avec son foulard… Quand il est arrivé, avec mon pote on l’a invité au premier match de n’importe quoi qu’y a eu à la télé, pour descendre des bières et manger des pizzas, mais il est venu avec un genre de gâteau de fiotte pour le dessert et une bouteille de pinard… du blanc ! Un gâteau d’tarlouze et du jaja d’gonzesse ! Pis il est pas resté longtemps parce que soi-disant que j’sais pas quoi, mais j’crois surtout qu’il voulait pas trop s’mélanger, quoi… Alors on y a fait un peu la conversation quand même, mais surtout pour se foutre de sa gueule. Le mec, on y d’mande son métier, et v’là qu’il nous sort de l’archéo-j’sais pas quoi et qu’avant qu’on ait l’temps d’se moquer il nous balance du « comme Indiana Jones ! », comme si on savait pas c’que c’était un archéo-truc ! Alors on l’a plus invité, hein…

Et ce connard de clebs qu’est allé poser l’os de MON jardin sur SON paillasson ! J’ai pas eu l’temps d’réagir que l’archéo-chose avait d’jà fait main basse sur mon os. C’te poisse, quand même ! Un vrai putain d’os de dinosaure dans MON jardin, tu l’crois, ça ? De quoi plus que largement rembourser douze ans d’boîtes de ce satané clébard, et lui il a fallu qu’il aille le coller sur le paillasson d’la chochotte archéo-mon cul ! J’te raconte pas l’bordel qu’ça a été… Une colonie d’scientifiques et d’journaleux prêts à prendre mon pauvre bout d’jardin d’assaut ! J’ai dû batailler ferme pour les maintenir à l’écart le temps d’m’arranger… Pas une mince affaire ! L’a fallu faire intervenir des avocats, rapport à mon jardin qu’est à moi et que j’voulais pas qu’ils me l’mettent en vrac pour un putain d’dino mort ! Pis c’était surtout histoire de gagner du temps et de tirer un aussi bon prix que possible de mon jardinet avant d’mettre les bouts. J’ai trouvé un genre d’allumé d’la préhistoire qui m’a filé une vraie fortune et zou, je m’suis carapaté, sans c’putain d’cabot qu’était venu foutre la merde dans mon train-train.

La suite, je l’ai suivie de loin, depuis mon bungalow sur la plage… ça, des os, on peut dire qu’ils en ont trouvés. Pas un seul autre du soi-disant dinosaure, mon archéo-trouduc de voisin était apparemment pas un crack, mais tous les autres. Ils ont pas identifiés encore tous les corps. J’leur enverrais bien une carte pour leur dire, mais je voudrais pas risquer qu’ils me retrouvent ici… Je m’y suis bien habitué, finalement, à ma vie de glandeur de plage.

Le sable, c’est un peu pourri pour enterrer mes victimes, mais la mer, avec les courants qu’y a dans l’coin, c’est nickel ! J’bazarde les corps un peu au large et y en a encore pas un dont j’ai entendu reparler.

Des fois, j’culpabilise un peu d’avoir laissé l’clebs à l’archéo-raté, parce que finalement, tout ça, c’est quand même bien un peu grâce à lui.

 

 

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi archéologique du samedi.

 

 

 

 

 

 

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18 mai 2010 2 18 /05 /mai /2010 09:34

  défi

 

Bon sang ! C’est donc pour ça que ce crétin pue des pieds ? Mais alors… alors… la mauvaise haleine de sa mère… n’était-ce pas qu’elle lui léchait les pieds ? Etait-ce vraiment à cause de ce foutu frometon ? Damned… et moi qui l’ai répudiée avant de condamner son benêt de fils à l’exil !

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi : d'après l'image de Thiphaine.

 

 

 

 

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8 mai 2010 6 08 /05 /mai /2010 11:20

 

Trois, dans une histoire d’amour, c’est forcément un de trop. Et il est hors de question que je m’efface cette fois-ci, j’ai droit moi aussi à ma grande histoire. Alors j’ai éliminé le plus faible. Il sera toujours bien temps d’en refaire un, de gosse.

 

Y

 

Trois, dans une fratrie, ça implique un enfant du milieu. Cet enfant qui ne fait rien en premier et qui n’est pas le petit dernier. Un mal-aimé par essence. Alors dès que je suis enceinte du troisième, je noie le second, pour pas risquer d’être une mauvaise mère.

 

YY

 

Trois, dans le cas de ta mère, toi et moi, c’est même pas une question de choix entre elle et moi. Tu restes avec qui tu veux, mais de toute façon à trois je lâche l’allumette sur ses fringues imbibées d’essence.

 

YYY

 

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi sur le thème « Trois ».

 

 

 

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16 avril 2010 5 16 /04 /avril /2010 22:39

 

Contrairement à d’habitude, les curieux ne semblaient pas vouloir plus que ça saloper la scène de crime pour voir le macchabée. Et par « curieux », je veux aussi bien dire les badauds et le voisinage que toute la ribambelle d’agents et officiels de tous poils qui ne manquent jamais de venir coller leurs empreintes de pieds et leurs cendres de cigarettes partout, quand c’est pas pire… A l’heure des tests ADN, des fichiers automatisés d’empreintes et des analyses infaillibles de poils de cul et crottes de nez, on croit qu’une enquête se résume à ramasser de la poussière sur les scènes de crime, la mettre dans des tubes à essai et tapoter sur un ordinateur, mais on oublie toujours qu’avant tout sur une scène de crime, y a des gens qu’ont rien à y faire. Bien souvent, le temps que les gars du labo fassent le tri et arrivent à isoler les saloperies qui éventuellement pourraient être en lien avec le crime et pas avec les pollueurs de passage, l’enquête est bouclée. Un jour, comme ça, croyez-moi si vous voulez, il a été retrouvé sur une scène de crime de « la matière fécale », comme ils disent, qui appartenait, tenez-vous bien, à l’épouse du premier inspecteur arrivé sur les lieux. Et elle a été très vite innocentée. Elle avait simplement laissé traîner par mégarde un peu de merde sur son mari qui l’avait malencontreusement déposée près d’un cadavre. Allez comprendre…

Mais là, pas d’agitation à proximité des rubans, pas de foule qui passait et repassait dessous et tout le monde se tenait bien sagement à l’écart. Assez inédit. Une bonne surprise. J’ai senti en approchant que ce serait sans doute la seule. Je l’ai vraiment senti, au sens propre. Ça ne sent jamais bon, un cadavre, sauf exception – comme cette fois où le corps avait été camouflé sous des pétales de roses tout frais, camouflage pour le moins saugrenu et surtout raté au fond d’une ruelle pavée – mais là l’odeur était particulièrement âcre et agressive. Et on était encore relativement loin du corps – on ne l’avait même pas encore en visuel. Je suis allée vers l’agent qui semblait surveiller l’entrée, tout en snifant du baume du tigre par pur snobisme. Il était d’usage d’avoir une quelconque solution mentholée dans les poches pour qui bossait en contact fréquent avec la mort, mais le baume du tigre, c’était juste pour me la péter un peu. J’en avais ramené un stock d’un voyage en Thaïlande des années plus tôt, mais je me contentais de le sniffer alors mon stock était intact et les gens pensaient que j’arrêtais pas de voyager en Asie… ou chez les frères Tang.

J’ai demandé à l’agent – qui s’était carrément rempli les narines de coton imbibé de menthol – de me briefer rapidement avant d’entrer :

-          Ben… c’est assez… euh… enfin…

-          Oui ?

-          Cradingue.

-          Ah ?

-          Oui.

-          Mort depuis longtemps ?

-          Ben c’est dur à dire, en fait j’ai pas bien vu le corps et…

-          Ouais mais bon, à l’odeur…

-          Oui, alors en fait, l’odeur…

-          Quoi ?

-          Ben quelqu’un a… euh… déféqué, en quelque sorte.

-          « déféqué en quelque sorte » ?

-          Voilà.

-          Où ça ?

-          Ah, ben… sur la scène de crime.

-          Quelqu’un a fait caca ?

-          Voilà.

-          Rassurez-moi : quelqu’un qui n’a rien à voir avec la police ?

-          Ah non ! Quelqu’un qu’a fait avant qu’on arrive !

-          Ah…

-          Oui.

-          Bon. Rien d’autre ?

-          Comme ? Pipi ?

-          Ou comme « le corps a été découvert par untel », ou « le légiste a été appelé » ou des trucs comme on dit quand on découvre un corps, voyez le genre ?

-          Ah oui, pardon… alors personne a découvert le corps, en fait, on a été appelés à cause de l’odeur… et je me renseigne pour le légiste.

-          Bien… merci.

J’ai passé les rubans pour accéder à la scène de crime proprement dite. Je me suis refait une sniffette de baume du tigre, ça refoulait vraiment sévère… et effectivement, ça sentait la merde plus que la mort. Maintenant je me rendais bien compte. J’ai poussé la porte…

Quelle chierie ! De la merde par-tout ! Du sol au plafond, étalée sur les murs, en tas de-ci de-là et en quantité autour, sur et sous le corps. Au moins on aurait de l’ADN et probablement une idée assez précise de tout ce que le chieur aurait mangé ces… combien ? huit ? dix ? quinze derniers jours ? En tout cas, notre assassin avait une sacrée chiasse. Ou alors il avait préparé longuement sa mise en scène… à moins qu’on ait affaire à toute une bande de tueurs chiatiques. Le légiste, en arrivant pendant que je replongeais le nez dans mon baume du tigre, a très bien résumé le fond de ma pensée :

-          Et ben… on n’est pas dans la merde !

J’ai commencé à ricaner bêtement et je comptais répondre par une réplique au moins aussi fine, mais quelque chose m’a attiré l’œil et mon bon mot est resté à l’état de bonne intention. Un coup d’œil au légiste a confirmé que j’avais bien vu ce que je croyais avoir vu. Son expression s’était figée entre le sourire et l’étonnement.

-          Il est… ?

-          Ouais.

Notre cadavre respirait.

Perspicace, l’agent qui avait alerté la Crim’ et le légiste. J’ai sorti mon téléphone pour appeler l’ambulance en invitant d’un geste le légiste à s’approcher du merdeux. Après tout, c’était lui le médecin, hein. Je me suis approchée aussi, il fallait bien le questionner s’il était conscient, et il a semblé se réveiller… je lui ai demandé ce qui s’était passé et il a répondu :

-          Y a plus de papier.

Une affaire vite torchée, en somme.

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi sur le thème « Merde » (ce qui fait que c’est donc pas de ma faute, tout ça, moi je fais que ce qu’on me demande…)

 

 

 

 

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15 avril 2010 4 15 /04 /avril /2010 00:01

 

Cette fois, on était bons pour revenir dans les petits papiers du patron. On avait eu une mauvaise passe, quelques coups durs, mais là on avait retrouvé la niaque, on avait la baraka, le vent dans le dos, on serait plus tricards !

Faut dire qu’on l’avait peaufiné, notre coup. Aux petits oignons, qu’on l’avait mijoté… Millimétré, chronométré, répété, on avait même tout bien consigné par écrit, étape par étape. Moi j’avais pris des notes à mesure et Lucien avait tout recopié au propre pour rien laisser au hasard. Deux fois, il avait recopié, comme ça on avait chacun sa petite liste et on risquait pas de s’emmêler. Non, parce que le travail d’amateur, ça va un temps, mais là on pouvait plus se permettre… on avait beau amuser le patron, on l’avait quand même mis une fois ou deux dans l’embarras et je sentais bien qu’il avait plus le cœur à rire.

Lucien s’était occupé de faire sortir notre gus de chez lui sous un prétexte quelconque. Il présente bien, Lucien. Même moi je me ferais avoir, si je le connaissais pas. Alors ça lui a pas posé de problème. Il l’a amené exactement là où je les attendais avec ma barre de fer spécialement achetée pour la circonstance : diamètre adapté à ma pogne, poids suffisant pour n’avoir qu’un coup à donner, mais pas trop lourde pour que j’aie pas de mal à la soulever, longueur déterminée scientifiquement et, surtout, après quelques essais sur piñata remplie de mou de veau, bref : on avait pensé à tout.

Ils sont arrivés, j’ai frappé, le gus s’est affalé exactement sur la bâche qu’on avait installée pour le rouler dedans et on est revenus à la planque tous les trois, Lucien, moi, et le gus à terminer. Il avait pas repris connaissance quand on l’a sorti du coffre et c’était pas plus mal. On a beau être le bras armé de la pègre, on n’en est pas moins homme et c’était toujours plus agréable d’achever un gars inerte que de devoir le regarder et pire, l’entendre mourir.

Ça a donc été de la petite bière. Agrémentée d’une bonne dose de cyanure qu’on lui a fait ingérer à l’aide d’un entonnoir et d’un tuyau. Avec le reste de la bière, on a copieusement arrosé notre retour aux affaires ! Là, le patron, il serait forcément content.

On a célébré comme il se doit et on s’est endormis comme des loques au milieu de nos canettes. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas bu pour pas oublier. Du coup le casque au réveil était de plomb et quand Lucien m’a posé la question j’ai ri bêtement. Et puis pendant qu’il essayait de retrouver ses notes pour savoir qui avait oublié d’acheter le café, j’ai arrêté de rire et je me suis demandé aussi. Ça cognait dur là-haut, mais je sentais bien que ça allait pas tarder à me tarauder, cette histoire. Lucien, qu’avait retrouvé ni café ni notes, est revenu avec une bière je lui ai demandé s’il avait une idée. Non. On s’est regardés et en un éclair j’ai vu ma barre toute neuve dans les mains du patron, s’abattant sur mes genoux plus très neufs. Faisant fi des murs qui tournaient et des meubles qui bougeaient, je me suis levé et j’ai foncé au garage. Rien. J’ai dit à Lucien de jeter un œil à la cave et moi je suis allé voir dans la remise au fond du jardin. Rien, et rien. J’ai vérifié la voiture, dessus, dessous, dedans, coffre inclus, rien. On a retourné la baraque pièce par pièce. On a retourné la terre dans le jardin. On a même fait pareil chez le voisin qu’était pas là, ça faisait partie du plan. Rien.

On a remis la main sur les notes de Lucien ; on a tout relu, mais on n’a rien trouvé. Alors on est reparti en ville vers chez notre gus et on a tout rejoué, une vraie reconstitution, étape par étape, jusqu’aux dialogues qu’on a refaits de mémoire pour plus de réalisme. Rien. Et les notes disaient rien de ce qu’on avait bien pu en faire. Ni de ce qu’on pourrait bien lui dire, au patron. Mais c’était quand même pas croyable, cette histoire… Ça disparaît quand même pas comme ça, un cadavre !

 

 

 

 

 

Variation autour du Défi du samedi (dernier) : « disparition ».

 

 

 

 

 

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12 avril 2010 1 12 /04 /avril /2010 00:01

 

Les hommes ont cette amusante habitude de sortir de ma vie sans dire au revoir. Et comme ils ont été très peu nombreux à se donner la peine d’y entrer, je peux m’autoriser la généralité.

 

On ne peut pourtant pas dire que je garde la porte jalousement fermée ou que je sois particulièrement regardante sur les droits d’entrée, mais du hall de gare je n’ai gardé que les pas perdus : ni la foule, ni les adieux larmoyants et encore moins ce fameux train qui serait le seul à ne pas m’être passé… bref.

 

Les hommes de ma vie sont là un jour, très présents, aimants, enivrants, envahissants même, parfois, mais j’aime ça, quand on n’a pas la quantité on cherche l’intensité, et le jour d’après, pfffuit, plus personne. Et démerde-toi avec le courant d’air.

 

Les sorcières changent les princes en crapauds, les fées leur bricolent des princesses avec une souillon, deux rats et une citrouille et moi, je les fais disparaître… pfffuit.

 

 

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi sur le thème  « disparition ».

 

 

 

 

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30 mars 2010 2 30 /03 /mars /2010 15:09

 

Cent mots, sans maux ? Cent mots sans sang, donc… ou cent maux sans mots ? Cent maux sans sang avec cent mots, peut-être ? Ou cent sangs sans maux en cent mots ? Cent mots de sang sans maux, plutôt. A moins que le sang des maux sans mots ne sente l’essence… Non, je sens cent maux et mon sang s’enfièvre en pensant à ce sang innocent de cent maux qu’encensent cent mots. Je pressens cent maux puissants pour cent mots absents. Mais cent mots sans sang et sans maux doivent-ils censément avoir un sens ?



Ecrit pour le 100ème Défi du samedi : en 100 mots.


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