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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 23:01

 

Je suis transparente.

Je suis l’anti-femme fatale, drapée de mystères et auréolée de ces promesses qui hantent les fantasmes des hommes.

Je suis l’anti-fantasme.

On me perce à jour généralement d’un seul regard. D’une part parce que je ne cache rien, d’autre part parce que je suis de ces femmes qui préfèrent être claires sur la marchandise dès le départ. Tout ce que je suis est visible par tous sans réserve. Et ce qu’on peut penser de moi au premier abord est toujours confirmé au second : je suis cette femme sans surprise qu’on imagine en me voyant. J’ai exactement l’air de ce que je suis. Et je suis exactement ce dont j’ai l’air. Je n’inspire ni curiosité, ni attirance trouble, ni passion, ni… rien.

On m’aime plutôt bien, en général, parce que je suis comme la cafetière ou la barre du métro : je suis toujours exactement là où je dois être au moment où je dois y être. Si je peux servir, tant mieux. Dans le cas contraire, personne ne s’en offusque.

C’est pas tant qu’on peut compter sur moi ou me faire confiance, c’est juste qu’on peut être sûr que je ne ferai preuve d’aucun esprit d’initiative incongru qui me porterait à m’éloigner de mes habitudes. Le paradoxe étant que si je ne suis pas où on m’attend, personne ne s’en rend vraiment compte. Comme un tableau qu’on a enlevé du mur, mais qui n’a pas laissé de trace.

Je suis comme ça. Neutre. La fille dont on n’a rien à dire. Rien à redire non plus, d’ailleurs. C’est le bon côté.

Au bureau je suis l’employée interchangeable. Celle à qui on demande si le week-end a été bon quand je rentre de trois semaines de vacances. Aux mariages, je suis l’invitée qui complète la table des entre-deux-âges et des célibataires qu’on ne cherche pas à caser. Au sport, je ne suis pas derrière le poteau, je suis celle que cache celle qui est derrière le poteau. Dans la queue, je suis celle dont on saute le numéro.

Je ne suis pas l’invisible, je suis l’insipide.

Evidemment, ça présente bien des avantages… J’ai passé mon enfance à voir les punitions pleuvoir sur mes frère et sœur sans jamais être éclaboussée moi-même. Pas un enseignant n’a eu l’idée de m’interroger en classe. Aucune DRH n’a jamais pensé à m’inclure dans un plan social.

Mais trente-cinq ans d’indifférence ont eu raison de mon flegme et de mon optimisme et je voudrais enfin devenir celle qu’on remarque, alors désormais, la nuit, je mens. Je m’invente des personnages, des histoires, des looks, des envies, des goûts et, soir après soir, je joue de nouveaux rôles dans l’espoir de trouver un jour celui qui fera de moi une femme qu’on voit.

J’ai d’abord essayé simplement de traîner dans les bars et de m’y montrer toute autre que celle que je suis, mais même les serveurs ne prenaient pas mes commandes. Je me suis inscrite sur des sites de rencontres, mais aucun de mes rancards n’est venu. A moins qu’ils ne m’aient pas vue, ou… Je ne sais pas. Alors je me suis fait embaucher comme serveuse, mais personne ne me passait commande et j’ai été virée. J’ai essayé bunny dans une boîte branchée, mais j’avais la seule paire de fesses que personne ne pelotait. J’ai fait danseuse topless, entraîneuse dans un bar à putes, callgirl, mais jamais aucun client n’a seulement retenu mon nom. Les plus polis faisaient des tentatives au hasard – Sandy ou Roxy, ça marche souvent – mais aucun n’a retrouvé le bon… et ils ne sont que deux à avoir essayé. Et en plus ils cherchaient une fille à qui je ressemble.

J’ai fini par essayer complètement autre chose. J’ai conduit un taxi, livré des pizzas, déchargé des camions à Rungis, assuré la permanence téléphonique nocturne de SOS Amitié, surveillé un parking, mais toujours sans résultat.

Pire : il commence à m’arriver de m’oublier moi-même. Comme si ces mensonges et ces simagrées avaient eu raison du peu de personnalité qui était mienne.

Je n’étais qu’une ombre, je me suis fondue dans la nuit.

Je voudrais bien en finir, mais j’ai peur qu’ils ne pensent même pas à arrêter le métro si je me jette dessous.

 

 

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus littéraires : « La nuit je mens ».

 

 

 

 

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commentaires

M
<br /> Fait noir par ici...<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> hein ? à qui parles-tu ?<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Wouaaaaah, très beau! C'est qui l'auteur?<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> chais pas.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Il me plaît ce texte glauque...<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> m'étonne pas, t'aimes bien les trucs glauques, toi...<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Talentueuse madame, je suis extrèmement troublée car j'ai l'impression jusqu'au passage "mais trente cinq ans gnagnagna" de lire une description de moi-même. Moi, voici que je suis mise en lumière<br /> par une écriture précise, ample et implacable, c'est trop beau, enfin quelqu'un me célèbre. Merci madame, merci, du fond du coeur. Ah merci beaucoup!Et bravo, géniale écriture!<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> et bien... de rien !<br /> <br /> <br /> (en même temps, c'est à double tranchant : l'ombre se fond dans la nuit, mais elle disparaît tout bonnement dans la lumière... ;o) Cela dit, je suis convaincue que le regard des autres n'est<br /> jamais aussi sévère que celui que l'on se porte soi-même et ce texte n'est donc que pure fiction...)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Ah... et merci !<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> C'est quoi, ici ? une succursale d'ebay ? Parce que moi j'ai 354,3 cassettes VHS ringardes à donner.<br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> je peux essayer de retrouver le gars qui a fourgué mon magnétoscope aux puces...<br /> <br /> <br /> <br />

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