Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 septembre 2010 3 08 /09 /septembre /2010 00:15

 

Le début, c’est là .

  


 

Elle paraissait réticente, mais elle m’a suivi quand même. Elle devait avoir faim aussi. Elle n’arrêtait pas de tirer sur mon bras en disant qu’ils l’avaient peut-être suivie et en se retournant tous les trois pas. Ça aurait pu m’agacer, cette foutue paranoïa, sauf qu’à chaque fois qu’elle gesticulait, elle frottait ses seins contre mon bras et ça me filait le barreau. Je me demandais si c’était vraiment ça, le quotidien de mon voisin, mais je l’ai vite chassé de mon esprit parce que c’était des coups à débander aussi sec. La pizzeria où j’avais plus ou moins mes habitudes était fermée et dans la suivante, le patron voulait plus me servir à cause d’une addition que j’aurais soi-disant pas payée un jour. Du coup il aurait fallu aller assez loin et je craignais que ça nous prenne trop de temps et qu’elle soit trop fatiguée pour la gaudriole au retour, alors j’ai suggéré qu’on rentre et qu’on les commande, ces pizzas. A la façon dont elle s’est serrée contre moi avec un regard plein de reconnaissance, j’ai cru qu’elle allait s’offrir à moi là, dans la rue, mais non.

-          Je serai plus tranquille chez vous.

-          Ne vous en faites donc pas, il ne peut rien vous arriver, je suis là.

Je repensais à mon défi de début de soirée : tant que j’aurais pas gagné une partie j’irais pas manger. C’était pas une partie, mais carrément le gros lot, que j’avais finalement gagné… A quoi ça tient, la vie, parfois. A l’avenir, je devrais peut-être les recevoir plus souvent, les cons du détective ! L’étreinte de la femme fatale affolée se faisait moins ferme à mesure qu’on approchait de l’immeuble et je me demandais si je n’aurais pas finalement plutôt mieux fait de forcer ma chance dans la rue, mais il était trop tard. Elle s’est carrément détendue dans l’escalier et ne m’a même pas frôlé en entrant dans l’appartement.

Je réfléchissais à la meilleure façon de la terrifier assez pour qu’elle se blottisse contre moi, mais pas trop pour ne pas la paralyser non plus, quand on a entendu un genre de râle en provenance du palier et donc, sans doute, de chez mon cher voisin. Je ne sais pas ce qu’il foutait, mais il venait de résoudre mon problème alors que je n’avais qu’à peine fini de composer le numéro pour les pizzas : la demoiselle avait bondi et s’était jetée dans mes bras :

-          C’était quoi, ça ?

-          Ça quoi ?

-          Ce cri !

-          Un cri ? Non…

-          Mais si !

-          Mais non, mais non… Le voisin qui doit recevoir, sans doute.

Ça sonnait et je l’ai fait taire en posant mon doigt sur sa bouche, avec un sourire que je voulais tout à la fois rassurant et complice, mais elle a eu un mouvement de recul et s’est détournée. Sa frousse ne ferait pas tout.

J’ai commandé les pizzas et le voisin a eu la bonne idée de faire encore un bruit bizarre pour éviter qu’elle s’éloigne trop de moi. J’ai passé un bras protecteur sur ses épaules et l’ai conduite sur le canapé où elle a collé ses jambes aux miennes et son sein gauche à mon droit. J’hésitais sur la meilleure façon d’utiliser mon bras qui n’était pas protecteur sur ses épaules – lui caresser la joue, ou les cuisses ? – quand on a frappé durement à la porte. C’était probablement la livraison de pizza la plus rapide de l’histoire de la livraison de pizza et j’aurais eu toutes les raisons de m’en réjouir, si ça ne m’avait pas obligé à mettre un terme à cette prometteuse proximité. J’ai attrapé mon portefeuille et je suis allé ouvrir en me disant que je pourrais peut-être discrètement toquer chez le voisin, pour lui dire de refaire du bruit d’ici une demie heure, le temps de manger les pizzas.

 

Malgré leur fidélité très relative à la réalité, les judas ont ça de pratique quand même qu’ils te permettent de faire facilement la différence entre un livreur zélé et deux gorilles mal lunés. J’aurais dû y jeter un œil avant d’ouvrir. J’en étais là de mes réflexions quand l’idée de refermer la porte avant que les mastards n’entrent m’est venue, mais un poil trop tard. Le premier m’a bousculé pour se précipiter sur la belle Aure qui hurlait déjà et le second m’a ceinturé par derrière et soulevé, de sorte que mes bras étaient immobilisés et mes pieds ne touchaient plus terre. Aure sanglotait :

-          Pitié ! Ne me tuez pas ! Emmenez-moi, je ferai tout ce qu’il voudra !

-          Il veut que tu meures.

-          S’il vous plaît ! Je… je ferai tout ce que vous voulez !

-          Hin. T’entends ça Riton ? Elle fera tout c’qu’on veut !

Riton a eu un genre de hoquet et j’ai supposé qu’il avait ri. L’autre a attrapé Aure par le bras et j’ai commencé à me débattre pour essayer de me libérer de la poigne de Riton. J’aime à penser que si j’avais réussi, j’aurais volé au secours de la jolie femme en détresse avant de l’entraîner dans ma fuite, mais je ne suis pas tout à fait certain que je ne me serais pas plutôt carapaté en ne pensant qu’à sauver ma gueule. Et de toute façon, j’ai eu beau gesticuler de toutes mes forces, l’autre n’a pas relâché sa prise d’un iota. Alors j’ai tenté la négociation :

-          Ecoutez messieurs, il doit y avoir erreur…

-          Ta gueule l’avorton !

-          Ha ha… Non, mais je veux dire…

-          Y a Riton qui t’a dit de la fermer, non ?

Pour confirmer, Riton a accentué sa pression sur ma poitrine et je voyais venir le moment où mes côtes allaient céder alors j’ai pris le parti de me taire un moment.

-          Et toi, mignonne, dis-y à ton copain qu’y a pas erreur !

Cette gourde disait rien et Riton serrait toujours un peu trop fort, alors n’écoutant que mon courage j’ai quand même repris la parole :

-          Mais siiiiii, enfin ! C’est pas elle l’erreur, c’est moi !

Elle m’a regardé comme si j’avais dit une énormité, mais après tout, c’est pas parce que c’était foutu pour elle qu’il fallait pas que j’essaie de sauver mes miches. Je sentais déjà que j’allais pas tirer ma crampe ce soir, si en plus c’était pour me faire péter une côte ou, pire, le nez, ça commençait à faire cher la soirée pourrie. Le gros qui la tenait me regardait aussi, l’air moins effrayé, mais tout aussi étonné qu’elle. Même Riton semblait s’être relâché sous l’effet de la surprise. Du coup je me suis détendu, j’avais trouvé ma planche de salut :

-          Hé hé… Faut pas vous biler, ça arrive à tout le monde, hein… Même elle, elle s’est trompée, hein ? En fait, moi, je suis pas vraiment détective, vous voyez…

Ils n’avaient pas l’air de voir. Elle en revanche devait bien voir, vu comme ses yeux s’agrandissaient. J’ai poursuivi :

-          Le détective, figurez-vous que c’est la porte en face ! Ha ha ! Alors bon, ce que je vous propose, hein, c’est que monsieur Riton me repose et vous repartez tous les deux avec la demoiselle chez le voisin régler vos petites histoires !

Le gros a eu un genre de sourire qui ne m’a pas semblé tout à fait amical :

-          Montres-y, Riton, qu’on a bien demandé au voisin.

Riton m’a retourné pour me mettre face à ma porte encore ouverte. De l’autre côté du palier, la porte du détective était ouverte elle aussi et je devinais mon voisin accroché tête en bas à son lustre. Mon cerveau n’a pas enregistré toutes les informations, mais mon estomac, si, et j’ai vomi toute ma bière et probablement mes deux derniers repas sur les pompes de Riton. Du coup il m’a lâché en gueulant. L’autre se marrait. Moi j’avais même plus la force de bouger, je m’étais répandu dans ma gerbe à l’instant où Riton m’avait lâché.

-          Allez Riton, va fermer les portes, qu’on soit tranquilles.

Il est sorti pour tirer la porte du détective qu’aurait mieux fait d’être comptable, tout compte fait, et on a entendu une nouvelle voix :

-          C’est pour vous les pizzas ?

Aure et moi on a gueulé exactement en même temps et on a entendu deux bruits sourds et une chute. Riton est revenu en tirant le livreur et les pizzas d’une main, son pistolet encore dans l’autre. Je commençais à me dire que si finalement j’avais gagné une partie de solitaire, avant d’aller m’ouvrir une boîte de petit salé aux lentilles pour fêter ça, ça n’aurait pas été une si mauvaise soirée. J’ai essayé de m’arrêter de respirer assez longtemps pour perdre connaissance, mais Riton m’a soulevé de terre d’une seule main et m’a collé une baffe pour m’en empêcher. Le gros avait sorti un couteau et m’a regardé avec son sourire définitivement pas amical :

-          Allez l’courageux, montre-nous si t’en as !

-          Si j’ai… quoi ?

Il m’a tendu son couteau. Je l’ai pris machinalement et j’ai vu une lueur d’espoir s’allumer dans le regard de la donzelle qui n’aurait jamais dû débarquer chez moi si seulement elle avait été assez maligne pour pas mélanger sa droite et sa gauche. Pauvre conne, va ! Et qu’est-ce qu’elle croyait ? J’avais le flingue de Riton dans le dos et le sourire de carnassier du gros droit devant, alors quoi ? Elle voulait que je fasse semblant de tenter l’impossible pour ses beaux yeux ? Autant me le planter moi-même dans le cœur, ce couteau !...

D’un autre côté, je voyais pas bien pourquoi il me l’avait filé, son surin. Quand la bombe sexuelle a compris que je ferais pas preuve de bravoure sur ce coup-là, j’ai vu son regard s’assombrir et quand le gros m’a enfin expliqué ce qu’il attendait de moi, j’ai compris pourquoi. J’ai encore essayé de perdre connaissance en retenant mon souffle, mais ça n’a encore pas marché.

 

Je ne sais pas ce que j’ai cru. Ils nous ont emmenés à la cuisine et m’ont fait découper Aure au-dessus de l’évier pendant qu’ils sirotaient mes bières. J’ai vomi encore plusieurs fois et ma gerbe s’est mêlée à son sang dans l’évier. Je devais vraiment croire que je jouais ma survie pour être capable de faire ça. Mais maintenant qu’ils sont partis, je sais que je suis vraiment qu’une pauvre merde. J’aurais jamais dû le faire. Ils m’ont attaché de telle façon au-dessus de l’évier que je dois fournir un effort impossible pour respirer. Je ne vais bientôt plus pouvoir et je vais me noyer dans ma gerbe et le sang d’un canon que je n’ai même pas sauté.

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

T
<br /> "Je ne vais bientôt plus pouvoir et je vais me noyer dans ma gerbe et le sang d’un canon que je n’ai même pas sauté." : s'il se détache, y'a encore moyen, non ?<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> à condition de retrouver le bon morceau.<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Les héros des histoires de détectives et de belles pépés, c'est vraiment plus ce que c'était... Pourquoi c'était pas Jason Bourne, le voisin du détective ? Il doit avoir des réflexions moins<br /> drôles, et puis il a tout le temps mal au crâne, mais ils auraient twisté, les deux vilains !<br /> Enfin bon, c'était pas lui... C'était Timsit peut-être...?<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> tout fout le camp, ouais... Mais avec Jason Bourne, sûr qu'y aurait eu personne à la maison pour ouvrir à la femme fatale.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> il a trop trainé, ça ne fait pas un pli!<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> clair ! un bon coup vite fait dans l'entrée avant de la virer, il aurait même eu le temps de gagner une partie de solitaire après.<br /> <br /> <br /> <br />
W
<br /> C'est bien, la morale est sauve.<br /> C'est pas le cas de tout le monde !<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> oui, je fais toujours bien attention à ce que la morale soit respectée. C'est important, la morale.<br /> <br /> <br /> ;o)<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Bah, il s'est juste offert un tartare plutôt qu'un sauté de dinde.<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> j'élis ce jeu de mots "jeu de mots de l'année" à l'unanimité.<br /> <br /> <br /> <br />

C'est Qui ?

  • poupoune
  • Je suis au-dessus de tout soupçon.
  • Je suis au-dessus de tout soupçon.

En version longue

   couv3-copie-1

Recherche

J'y Passe Du (Bon) Temps