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9 février 2009 1 09 /02 /février /2009 11:34

Des mois de traque. Des mois de frustration, de piétinements, d’avancées infimes et de déconvenues magistrales. Des mois à ne dormir qu’à peine et encore, d’un sommeil agité et torturé. Forcément torturé. Vingt-sept victimes. Huit familles massacrées. Des centaines de photos de scènes de crimes qui hanteraient probablement à jamais ses rêves.

L’inspecteur Frank Oste n’était pas un bleu. Il en avait vu d’autres. Mais un tueur comme celui-là… Même pour lui c’était inhabituel. Il s’était vu confier l’enquête dès la première tuerie et avait observé, impuissant, l’évolution du malade sanguinaire qu’il traquait. Son premier meurtre, du moins le premier qu’il était possible de lui attribuer avec certitude, avait été l’œuvre désordonnée d’un détraqué débordant d’une haine irrationnelle. Mais sa méthode s’était précisée. Il était devenu plus efficace et surtout, dès que la presse s’était emparée de l’affaire, il s’était mis à jouer avec la police, finissant par avoir l’air de tuer uniquement pour narguer les flics en général, Frank en particulier.

Mais il avait fait une erreur. Et Frank ne l’avait pas loupé. Ils avaient localisé sa planque, étaient tous en position prêts à donner l’assaut et n’attendaient plus que le signal de Frank, qui devait entrer le premier avec Lise, sa co-équipière.

 

C’était le moment.

Ils firent voler la porte en éclats et pénétrèrent dans la pièce obscure en criant. Rien. Les troupes dehors resserrèrent le périmètre, mais il n’était pas là.

Frank balaya les murs de la pièce de la lueur de sa lampe torche et se figea. Ce n’est que quand Lise posa la main sur son épaule et lui dit doucement « Frank, ne reste pas là » qu’il sortit enfin de sa torpeur. Et mesura toute l’horreur de ce qu’il avait sous les yeux.

 

Il sortit en courant et fonça à la voiture, sans attendre sa co-équipière. Ils avaient bien trouvé la planque. Mais il le savait et leur avait laissé les photos de ses prochaines victimes. Il avait laissé les photos à Frank.

 

Gyrophare et sirène allumés, pied au plancher, Frank conduisait comme en état second, saisi d’un vertige qui semblait ne jamais devoir le quitter. Comme la pire de ses cuites passées. Nausée comprise. Et il faillit vomir pour de bon quand il arriva en bas de sa rue. Il ne distinguait pas encore tout à fait la maison où Isabelle et les filles devaient être rentrées depuis longtemps déjà, mais il comprit à l’agitation qui régnait qu’il arrivait trop tard. Voitures de police, ambulances… Il se gara sur le trottoir et sortit en trombe de la voiture mais fut retenu par un des flics en faction devant chez lui. Il regarda, hébété, sortir deux collègues qui encadraient un homme menotté, maculé de sang de la tête aux pieds, l’air ravi. Quand il vit Frank et croisa son regard il sourit de plus belle. Lui fit un clin d’œil. Et se lécha le sang qu’il avait autour de la bouche avec gourmandise.

La scène était tellement épouvantable et sanglante que même la poussière était rouge. Frank se débarrassa du flic qui le retenait et fonça droit sur ce taré, arme au poing.

 

C’est Lise, qui venait d’arriver sur les lieux, qui l’empêcha de l’abattre comme un chien sur la pelouse de son jardin. C’est encore elle qui stoppa son geste quand il essaya de retourner son arme contre lui-même. Il ne savait toujours pas aujourd’hui s’il lui en voulait ou s’il lui en était reconnaissant. Elle avait en tout cas fait en sorte qu’il ne voit pas les corps. Pas même en photo. Et il lui savait gré d’avoir évité que la signature du tueur, qu’ils avaient gardée secrète pour ne pas entraver l’enquête, ne soit pas divulguée non plus après l’arrestation. Il n’aurait pas supporté de lire dans la presse la mutilation que sa femme avait subie. Ce détraqué mangeait un morceau de sein des femmes qu’il massacrait.

 

Cette seule pensée mit un terme à une longue période de sept ans, quatre mois et douze jours de sobriété. L’alcool avait failli lui faire perdre sa famille. L’alcool la lui ferait finalement oublier. Frank devint alors le meilleur inspecteur alcoolique de la région. Entre deux périodes d’ébriété totale, quand une enquête l’exigeait, le commissaire le faisait rechercher dans tous les troquets et les caniveaux de la ville. Frank savait bien qu’on ne le virait pas pour la seule raison qu’il avait vécu l’enfer. Et parce que malgré tout il restait bon.

 

Quand on lui envoya Lise le chercher ce jour-là, il n’était pas mécontent d’être à peu près présentable. Ça faisait un an jour pour jour qu’Isabelle et les filles étaient mortes. Alors il avait décidé d’essayer d’être sobre pour honorer leur mémoire.

 

Il vit à la tête de Lise que l’enquête pour laquelle on faisait appel à lui cette fois-ci s’annonçait épineuse. Elle ne lui en dit rien sur le trajet, s’obstinant à le questionner pour être sûre qu’il allait bien, aussi bien que possible compte-tenu de sa gueule de bois et de la charge émotionnelle de cette journée.

 

Arrivés au commissariat, ils se rendirent en salle de réunion où toute l’équipe de choc était réunie. Effectivement une enquête difficile en vue. Lise et Frank prirent place et le commissaire n’y alla pas par quatre chemins en montrant directement les photos d’une scène de crime : une famille avait été massacrée chez elle. Frank comprit pourquoi Lise se faisait tant de soucis : un des seins de la femme était mutilé. Un morceau en avait été arraché. Manifestement avec les dents. Frank avait trop souvent vu cette même mutilation pour ne pas reconnaître la signature.

 

Il sut à cet instant que la traque reprenait. 

 

 

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus littéraires : « Comme un parfum de polar ».  Le texte doit contenir la phrase « La poussière était rouge ».


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commentaires

T
Il faut avoir soi même beaucoup de sensibilité pour créer des personnages attachants comme cet inspecteur ...<br /> On a envie de lire la suite ...
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P
<br /> <br /> C'est le genre de personnage que j'aime trouver dans mes lectures... mais pas sûre de réussir à lui donner à vivre beaucoup de bonnes histoirtes!<br /> <br /> Merci !!<br /> <br /> <br /> <br />
E
quel texte magnifique! très beau...<br /> si sensible, et plein de cette tendresse dont tu sais faire preuve avec tant de finesse.<br /> merci, Poupoune ; c'est trop de bonheur.<br /> ;-)))
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P
<br /> <br /> Je me doutais que tu serais sensible à la poésie et à la tendresse de ce texte...<br /> <br /> <br /> <br />

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