Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 janvier 2010 7 17 /01 /janvier /2010 23:45

 

C’était une journée étonnamment tranquille. Même pour un dimanche d’août.

Je déteste m’emmerder au bureau. C’est pas que j’aie rien à y faire, j’ai toujours de la paperasse en retard, mais la paperasse m’emmerde. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle est en retard. Alors ce genre de journées trop calmes… On a tendance à penser que quand nous on s’ennuie c’est que le monde va mieux, mais c’est faux, ça veut juste dire que les prochains cadavres qu’on devra se coltiner seront déjà en décomposition. Et moins le cadavre est frais, moins les indices le sont, alors tout ce temps perdu au bureau nous mettait toujours tous un peu sur les nerfs. Sans compter qu’il faisait une chaleur à crever depuis quelques jours et s’il y a bien un cliché qui tient la route, c’est celui de la clim’ en panne et des ventilos qui couinent. Alors il nous fallait un corps. Vite avant que l’un d’entre nous finisse par tuer quelqu’un pour amuser ses collègues. Oui, non, « amuser » n’est peut-être pas le bon mot, même si c’est quand même marrant, parfois. Enfin si on veut. Les gens sont souvent un peu choqués, mais si on rigole pas un minimum, même penché au-dessus d’un cadavre pas encore tout-à-fait fini de refroidir, on devient dingue. Alors pour supporter, y a ceux qui picolent et y a ceux qui se marrent. Y en a qui font les deux. Les vieux, surtout, qui ont commencé avec la criminalité « à l’ancienne » et qui ont du mal à se faire aux crimes modernes. Les dépouilles décharnées de camés à peine majeurs, les corps massacrés et abandonnés dans les poubelles ou les caniveaux, les tueries de gosses qu’ont même pas fini de muer…

Tout ça avait de quoi ébranler les nerfs les plus solides. Notamment les nerfs des vieux de la vieille pour qui un crime impliquait soit un mari, une femme, un amant, soit une somme d’argent assez rondelette. Eventuellement à l’occasion une pathologie entraînant un meurtre gratuit. Mais ce qui faisait notre quotidien désormais nous renvoyait une image tellement sordide de la société que c’est tout un ensemble de valeurs que ça remettait en cause. Pas toujours facile à encaisser. Pas évident de laisser de coté ses émotions, son ressenti, sa colère ou son dépit pour se contenter de faire son boulot. Le rire était toujours un bon moyen d’évacuer. Ça ou coller une balle entre les deux yeux du premier suspect venu, franchement, y avait pas à tortiller. Même si parfois on a le flingue qui démange.


Mon ventilo grinçait en brassant de l’air chaud dans mon cou. D’un coup, ça m’a agacée et j’étais sur le point de l’envoyer dinguer quand Tellier est entré en trombe dans mon bureau. Avant de ressortir aussi vite pour recommencer son entrée, en frappant d’abord.

-     Oui, Tellier, Entrez…

-     Patron, y a un macchab’ pour nous à République !

-     Respirez, Tellier, respirez…

Tellier. Pas un mauvais élément. Motivé, sérieux, presque joli garçon… mais toujours tout fou. Chaque nouvelle affaire le mettait dans un état d’excitation qui le faisait ressembler à un môme qui vient d’avoir son premier bon-point. On peut pas dire que ça nuisait tellement à son travail, mais ça le faisait passer pour un éternel débutant. Et puis quand il était comme ça, il était du genre à se prendre les pieds dans le tapis, à confondre la veuve effondrée avec le cadavre ou à faire des lapsus gênants, comme la fois où il avait annoncé à une femme que son fils avait été découpé alors qu’il avait simplement déposé.

Tellier. Le jour où il arrêterait de remuer la queue à chaque sonnerie du téléphone, il pourrait nourrir de vraies ambitions dans la maison.

-     OK, je vous écoute.

-     On a reçu un appel d’une équipe de patrouille. Un corps a été découvert dans un appartement de la rue Turbigo. Meurtre à l’arme blanche apparemment.

-     Dubuze et Jobert sont là ?

-     Prêts à partir !

-     OK. On y va.

-     Vous prenez pas votre arme, patron ?

-     Ben il est déjà mort, non ?

Là, il ne savait pas si j’avais fait une plaisanterie ou non. J’aimais bien cet air contrit qu’il prenait quand il sentait bien qu’on était en droit d’attendre une réaction de sa part, mais qu’il ne savait pas du tout laquelle.

-     Prenez les clés de la voiture, Tellier. Vous conduisez.

-     OK patron.

-     Et arrêtez de m’appeler « patron » !

-     OK pat… ronne ?

-     Laissez tomber Tellier.

 

En route, on s’était assuré que les gars de la patrouille avaient sécurisé le périmètre. Dubuze et Jobert sont arrivés longtemps avant nous. Le gars était déjà mort et la scène de crime sous contrôle, alors Tellier respectait scrupuleusement les limitations de vitesse et la signalisation. Dubuze et Jobert ont pas manqué de se foutre de notre gueule pendant qu’on montait à l’appartement.

-     Bonjour. Commissaire Hyckz. Vous nous mettez au parfum ?... Vache ! A propos de parfum, ça pue ici !

-     Oui, commissaire, c’est le gars… le mort… le…

-     Oui, ça va, je m’en doutais…

-     Et on s’est dit qu’il fallait toucher à rien alors on n’a pas aéré.

-     Vous avez bien fait. Vous n’avez rien déplacé, rien touché, donc ?

-     

-     Hein ?

-     Ben…

-     Ben quoi ?

-     Ben on a un peu touché le type… le cadavre, là…

-     Répétez-moi ça ?

-     Ben on a un p…

-     Non, c’est bon, j’ai pigé. Et vous avez fait ça parce que… ?

-     Ben… pour être sûr qu’il était mort.

-     Entre l’odeur et sa tronche, vous aviez vraiment un doute ?

-     Ben aussi c’est notre premier cadavre, hein…

-     Ouais, bon. Vous lui avez fait quoi exactement ?

-     Alors moi j’ai cherché son pouls à son poignet et dans son cou, et comme j’ai pas trouvé Rose a mis son miroir de poche sous son nez pour voir s’il respirait.

-     Et ?

-     Il respirait pas.

-     Oui, ça, j’imagine… Vous faites une fine équipe. Vous n’avez rien fait d’autre ?

-     Y a juste…

-     Quoi ?

L’équipière s’est approchée, tête basse.

-     C’est moi.

-     Rose, je suppose ?

-     Oui. Je lui ai un peu écorché le dessus de la lèvre avec le miroir, commissaire.

-     Mais le couteau, c’est pas vous, hm ?

-     Hein ?... ah ! oh ! ah non non non, nous on…

-     Calmez-vous, je déconnais.

-     Ah…

Tendus comme des slips les jeunots… Le cadavre était nu sur le canapé du salon, un couteau planté dans la poitrine.

-     Qui a découvert le corps ?

-     Personne ! Il était déjà nu quand…

-     Mais non, enfin ! Qui l’a trouvé ?

-     Ah ! Oui, bien sûr, pardon… C’est le gardien, commissaire. Les voisins se plaignaient de l’odeur. Il dit que la femme et les enfants du… mort sont en vacances. Qu’il avait pas vu le… mort depuis quelques jours, mais qu’il s’inquiétait pas parce qu’il pensait qu’il était allé rejoindre sa famille.

-     OK. Et qui a vomi ?

-     

-     

-     Ben répondez enfin !

-     C’est moi, Mada… commissaire. Désolée.

-     C’est pas grave Rose, c’est rien. Ça nous est tous arrivé au moins une fois.

-     Ah ?

-     Non, pas tous, mais bon… le truc c’est qu’il faut pas faire patouiller la gerbe aux types de la scientifique pour rien, sinon ils font la gueule et ils font traîner les analyses. Autre chose ?

Ils se regardaient l’air d’avoir été pris en faute… comme si ma question supposait qu’il y avait forcément autre chose, mais ils voyaient pas quoi.

-     Bon. Vous restez jusqu’à l’arrivée de la scientifique. Dubuze ! La scientifique est en route ?

-     Ouais !

-     OK. Donc, vous deux, vous les attendez. Ils voudront peut-être relever les empreintes de vos chaussures ou que sais-je, vu que vous avez pas dû manquer de laisser des traces… et vous direz au gardien de pas bouger, on ira l’interroger tout à l’heure.

-     Bien commissaire.

Pâlotte, la Rose… ce que je trouvais plutôt rassurant. Un premier cadavre, surtout un comme celui-là, avec odeur et sang, si ça laisse de glace c’est mauvais signe… c’est soit que le bleu est porté sur le sanglant d’une façon un peu malsaine, soit qu’il intériorise et c’est des coups à ce qu’il pète un plomb tôt ou tard. 


Le macchabée était étendu bite à l’air et poitrine en sang. Une petite fouille rapide et superficielle de l’appartement nous a permis de trouver des photos de Madame, planquées dans un tiroir. Sur le buffet et la cheminée, les traces laissées par les cadres dans la poussière. On meurt pas comme ça quand on est un père aimant et un mari fidèle. Premières pistes à explorer : l’épouse bafouée, la maîtresse négligée et son éventuel mari jaloux. C’est Jobert qu’allait être content. Lui qu’arrêtait pas de se plaindre que tout fout le camp, là ça sentait le bon vieux meurtre de tradition.





Partager cet article
Repost0

commentaires

W
<br /> Tu as raison Poupoune, rien ne vaut la tradition !<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> oui, c'est rassurant les valeurs sûres...!<br /> <br /> <br />
L
<br /> " Tendus comme des slips" hinhin, j'adore; ça et le reste<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> Merci !!<br /> (la formule n'est pas de moi à l'origine, hélas, mais je l'adore!)<br /> <br /> <br />
C
<br /> On est bien dedans là, hein... c'est du solide, du béton, haut en couleur, drôle, avec des personnages tout de suite "identifiables"... c'est bon, ça! ;o)<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> ah ben ça tombe bien alors, parce que bon, rapport à notre projet de dans 11 mois qu'on a avec maximus, ben c'est pas exclu que je les ressorte, ces personnages... ;o)<br /> <br /> <br />
M
<br /> Tiens ça c'est une idée de tuer quelqu'un en Août pour amuser ses collègues! Je prends...<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> oui, hein ? ça ou peigner la girafe... surtout qu'on trouve beaucoup + facilement une bonne victime qu'une girafe, par les temps qui courent...<br /> <br /> <br />
S
<br /> tu vas devenir la reine du dialogue, autant que tes gugusses sont les rois des cons.<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> j'aimerais autant reine de la nuit ou reine de saba, mais bon, merci quand même.<br /> <br /> <br />

C'est Qui ?

  • poupoune
  • Je suis au-dessus de tout soupçon.
  • Je suis au-dessus de tout soupçon.

En version longue

   couv3-copie-1

Recherche

J'y Passe Du (Bon) Temps