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2 décembre 2008 2 02 /12 /décembre /2008 00:33

 

C’était tout ma Lulu, ça. M’envoyer les copines à tour de bras… Evidemment, j’allais pas lui dire non, c’est normal de dépanner les copines et bien sûr, j’allais pas la faire payer non plus, mais faut dire ce qui est : quand on travaille dans sa branche, à ma Lulu, on rencontre une proportion anormalement élevée de gens susceptibles d’avoir besoin des services d’un détective privé. Et quand on est à la colle avec John MacDermott de "John MacDermott & Associés, Détectives privés", on se sent investi d'un genre de mission...

 

Bon : cette fois, c’est vrai, j’étais plutôt partant. D’habitude Les filles, elles voulaient juste que j’enquête sur la moralité de clients qui leur contaient fleurette et leur promettaient de les épouser pour leur faire mener la grande vie… Mais faut pas croire que parce qu’on est fille de joie on est fille facile. Au contraire. Les filles, elles se méfient des beaux parleurs comme de la syphilis. Et je dois dire que le plus souvent elles ont raison : la plupart des gusses sur qui j’ai enquêté pour elles n’avaient pas plus l’intention de les épouser qu’elles n’avaient l’intention de rentrer dans les ordres. Y en a même un paquet qu’étaient déjà mariés. Mais y a des types comme ça qui reculent devant rien pour une passe gratuite.

 

Alors son histoire, à la Fanfan, bien sûr qu’elle m’intéressait. Pensez : un vrai macchabée bien vite enterré par une veuve pas trop éplorée et une flicaille pas très zélée… Alors certes il était bien encore question d’un mari à la moralité douteuse, mais celui-là avait clairement demandé à la Fanfan de l’aider à disparaître et il avait carrément manigancé une histoire de faux enlèvement et de fausse demande de rançon pour arriver à ses fins. Sauf que de fins y en a eu qu’une et la seule chose qu’était vraie au bout du compte c’était son cadavre. Et la Fanfan était bien sûre que ç’aurait pas du tout dû se passer comme ça. Il devait juste s’enfuir après l’avoir payée pour le coup de main.

 

D’après elle, la femme du mort avait pas versé la rançon. Fanfan disait qu’à la place elle avait même envoyé comme message « Gardez-le ». Je sentais qu’elle allait me plaire, la jeune veuve. J’aime bien les femmes de caractère. Et vu ce que fricotait son petit mari avec la Fanfan chez Madame Suzanne, on peut pas trop en vouloir à sa veuve d’être plutôt joyeuse. Il me tardait de la rencontrer, mais fallait d’abord que je parle avec les copains de la maison poulaga pour savoir exactement ce qu’avait donné l’enquête officielle des condés.

 

Les copains en question, c’était pas à proprement parler des copains au sens courant du terme. Disons que c’était plutôt des piliers d’un bar qu’était pas celui où j’officiais habituellement mais où je m’autorisais quelques infidélités à Gégé en cas de force majeure. Et une enquête, que le client soit payant ou non, dans ma partie, c’était force majeure.

 

Et vous connaissez une source d’informations plus fiable et plus intarissable qu’un poulet qu’on rince à l’œil et à volonté ? Moi non. Et comme en général ils boivent petit, ça coûte même pas cher. Je savais tout ce que j’avais besoin de savoir en moins d’une heure. Et moi j’étais même pas encore éméché. Du coup je suis allé chez Gégé pour faire le tri dans tout ce que j’avais appris et m’en jeter un ou deux en passant.

 

J’en savais à la fois peu et beaucoup, apparemment comme la plupart des cognes bas de gamme. L’enquête sur la mort du micheton de Fanfan avait très vite été confiée à des pontes qui eux-mêmes l’avaient bien vite bouclée. Le mort était « un proche du cabinet du ministre », excusez du peu, et sa dame était rien moins que la fille Ducluzel d’Avricourt. L’héritière du Monsieur du même nom. Fondateur et seigneur et maître des usines du même nom elles aussi. Le grand nom international, s’il vous plaît, de la boite de camembert. Mais seulement la boite : on fait pas dans le malodorant, dans ces milieux-là… Tout ça sentait quand même pas très bon.

 

Je racontai l’histoire par le menu à mes camarades d’ivrognerie au comptoir de Gégé, sans vraiment me soucier qu’on m’écoute vu qu’à ce moment-là je commençais à être beaucoup plus sérieusement embrumé par l’alcool, quand Gégé, qu’avait attendu que sa moitié aille se coucher, se mit à me faire des confidences… Il avait connu la Fanfan dans le temps, avant d’épouser la Toinette qu’était pas exactement du genre jalouse mais qu’avait pas pour autant besoin de tout savoir de sa vie d’avant. C’était du temps où le Gégé il rêvait de tenir la barre en mer et pas de tenir le bar du père… C’était un genre de rêveur qui se prenait pour un aventurier et la Fanfan c’était une jeunesse qu’avait pas eu beaucoup de chance dans la vie, à part ses guibolles qu’en finissaient plus et son sourire à la Garbo. Ils avaient eu une brève histoire avant de s’apercevoir assez vite que ça les mènerait nulle part, mais le Gégé il avait encore des sanglots dans la voix et l’œil brillant quand il en parlait.

 

Tous les alcoolos du rade s’étaient tus pour l’écouter, c’était beau comme du Guy des Cars. Et avec son air tout chamboulé, le Gégé, il avait réussi à me faire jurer que je lui résoudrai son mystère, à la Fanfan, et que je retrouverai l’artiche que le macchabée aurait dû lui donner avant de clamser. Et c’est seulement après qu’il m’a expliqué quel genre de bonhomme était le beau-père de mon cadavre. Apparemment, ça se contentait pas d’être riche chez les Ducluzel d’Avricourt, ça faisait aussi dans la magouille de haute volée. Ça s’achetait du magistrat et du politicard comme d’autres s’achètent du pain et du vin et ça traficotait international.  

 

Ce qui se présentait comme du croustillant au départ ressemblait maintenant à une sale affaire et j’étais plus très sûr de vouloir m’y frotter. Je sifflai le fond de mon verre et décidai de rentrer, un peu déprimé. Ça tanguait sévère alors j’allai pas plus loin que mon bureau, où je m’affalai comme un sac sur le canapé. Avant de sombrer j’essayai de peser le pour et le contre dans cette histoire. J’avais probablement rien à y gagner. Peut-être pas mal à perdre. Mais j’avais pas de raison de pas rendre service à la Fanfan. Et puis j’avais juré à Gégé. Et puis surtout, surtout, j’avais promis à ma Lulu. Et pas tenir une promesse faite à ma Lulu…

 

Je me coinçai un coussin sous la tête en essayant de pas penser au nombre de fois où j’aurais mieux fait de m’abstenir de faire des promesses imbéciles. Ça servait à rien que je cogite : je savais bien que j’allais la faire, cette enquête, de toute façon.

 

J’attrapai la couverture et m’enfonçai un peu plus dans le canapé. Evidemment. J’avais promis. J’allais la faire.

 

 

 

Ecrit pour Kaléïdoplumes.

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commentaires

S
La suite !!!
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P
<br /> Ouais ! J'aimerais bien aussi !!!<br /> <br /> <br />
J
Bonsoir !<br /> dans ma contribution aux Impromptus du 1-12 (Aujourd'hui maman est morte) qui ne devrait pas tarder à être mise en ligne, je me suis permis un gros clin d'oeil à tes personnages sympathiques. J'espère que tu ne m'en voudras pas de te les avoir empruntés un instant pour leur rendre un hommage mérité !<br /> <br /> Bravo pour ta productivité : 5 ateliers ! Chapeau !
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P
<br /> T'en vouloir? Au contraire! C'est un honneur, merci! Je file lire ton texte...<br /> <br /> <br />
W
Vous connaissez la fin... ou vous la laissez venir au fil de votre si réjouissante écriture ?<br /> Avec les bases que vous venez d'établir et votre talent, vous pouvez tenir encore quelques dizaines d'épisodes !<br /> Pourvu que je vive jusque là...
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P
<br /> Merci cher Walrus pour ces compliments qui me font vraiment grand plaisir! Mais je dois avouer (hélas...) que non : je ne connais pas la fin non plus! L'histoire ne se déroule effectivement pour le<br /> moment qu'au fil des consignes qui s'y prêtent...<br /> <br /> <br />
J
Tu écris superbement, Poupoune. Bravo, bravo, bravo !
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P
<br /> Merci, merci, merci !<br /> Tes com' me touchent beaucoup !<br /> <br /> <br />

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