Ce qu’il y a de bien avec la vie en général et les gens en particulier, c’est qu’ils sont pleins de surprises pour qui sait se ménager une part de naïveté. Et de toute évidence j’en ai une, quant à moi, fort bien préservée.
Depuis bien longtemps - je serais tentée de dire depuis toujours, mais ce ne serait pas rendre justice aux quelques aventuriers qui m’ont à l’occasion honorée de leurs prouesses plus ou moins convaincantes au lit - j’appartiens peu ou prou à la catégorie de celles qu’on appelle les mal-baisées. Les pas-assez-baisées serait probablement plus juste, mais le terme est moins usité.
Ce n’est pas tant que je ne voudrais pas, mais… passons, mon propos n’est pas de décortiquer les raisons profondes de mes affres sentimentales et sexuelles, mais bien plutôt d’en évoquer les palliatifs. Du moins ceux que j’ai trouvés pour le sexe, parce que pour ce qui est des sentiments… je ne suis pas là pour faire de la pseudo-psychologie de bazar, mais pour aborder des questions pratiques : comment, lorsqu’on est un répulsif à mecs, peut-on malgré tout tirer un coup de temps en temps avec un partenaire humain, vivant, et consentant ?
Une petite précision avant d’aller plus avant : quand je dis « répulsif à mecs », je fais plus allusion à un problème comportemental et relationnel qu’à une bonne vieille disgrâce physique majeure. Sauf à me méprendre gravement sur la perception que j’ai de moi-même, je ne crois pas être physiquement repoussante et je ne parle donc, ici, que de ce que je connais.
Comment, donc, se faire sauter quand on est sentimentalement incapable ?
De nos jours, c’est soi-disant d’une simplicité enfantine - même si, s’agissant de sexe, l’emploi du terme « enfantin » me gêne un brin - et il suffirait, paraît-il, d’aller dans un bar déguisée en bonne grosse chaudasse, de choisir sa cible - allez : disons une cible principale et un plan B au cas où - et… et je ne sais pas. Personnellement je n’ai jamais pratiqué ce genre de chasse à l’homme et j’ignore totalement comment on peut bien s’y prendre.
Mais ce n’est pas un problème. Et ben non. Parce que de nos jours, il y a internet et les sites de rencontres… Vous êtes déjà allés sur un site de rencontres ? Alors pour commencer, il y a les photos. Entre 75 et 90% des photos expliquent à elles seules le recours du modèle au site de rencontres : c’est la foire aux thons. Je ne suis pas certaine d’être forcément bandante en photo, n’empêche que je n’ai pas envie de sexe au point de m’envoyer un thon.
Les moches, c’est pas grave quand il y a autre chose. Quand on peut dire « oui, mais il est gentil », ou « drôle », ou « très intelligent », ou… bref, vous savez bien. Pour une simple affaire de sexe, il faut que l’emballage fasse envie, ce qui élimine déjà bon nombre de candidats. Ensuite, sur les sites de rencontres, on ne propose jamais du sexe. L’argument commercial de base est l’amour. Alors certes, faudrait être stupide et plus naïve encore que je ne le suis pour croire qu’il n’y traîne que des cœurs purs en quête de grands sentiments, mais il est toutefois de bon ton de faire semblant. Les hommes en tout cas se sentent obligés de faire semblant. Bien sûr à des degrés variables, les plus audacieux allant jusqu’à avouer qu’ils ne cherchent qu’à « partager de bons moments de détente et plus si affinités », mais aucun n’annoncera clairement qu’il a juste envie de sexe. Du coup, c’est du boulot de faire la part des choses pour dégoter les candidats éligibles. Sans compter qu’après, il faut encore les ferrer. Parce qu’il faut savoir une chose : un homme qui veut tirer sa crampe, c’est… un homme. Une femme qui veut se faire sauter, c’est… ben vous savez bien, hein, vous l’avez déjà pensé au moins trois fois depuis le début de votre lecture. Et ce n’est pas parce que c’est exactement ce qu’il cherche que pour autant il aimera qu’elle se présente comme telle. Il faut donc encore savoir se montrer charmante, mais réservée, pas farouche, mais pas dévergondée non plus et, le plus difficile, réussir cette prouesse de ne pas passer pour une folle du cul, tout en n’ayant surtout pas l’air d’espérer obtenir un deuxième rendez-vous. Pas facile facile.
Et le risque de plantage, entre les photos bidonnées, les baratins réussis et les interprétations approximatives, est énorme. Quand on sait par ailleurs qu’avant de pouvoir arriver à l’éventuel premier rendez-vous, il faudra obligatoirement payer à un moment ou un autre, c’est un investissement en temps et en argent dont la rentabilité est extrêmement incertaine.
On finit par penser qu’il ne reste plus qu’à composer avec le manque et ce bon vieux rabbit. Mais on se trompe. Non : on fait toujours bien de composer avec ce bon vieux rabbit (enfin, c’est ce qu’on m’a dit, hein…), mais pour ce qui est du manque, il reste une solution. Je ne saurais plus bien dire ce qui m’a amenée à cette idée-là - le désespoir, très probablement - mais je dois dire qu’une fois que je l'ai mise en pratique, j’ai regretté toutes ces longues traversées du désert qui avaient jalonné ma vie sexuelle et au cours desquelles j’aurais presque pu payer pour me faire sauter.
J’ai vendu mon corps. A des hommes. Je me suis prostituée. J’ai fait la pute. Oh, pas sur un trottoir dans une ruelle sordide puant la pisse et la gerbe, hein. Non. Je n’avais pas besoin de vendre du sexe pour vivre, seulement pour retrouver une activité sexuelle au moins occasionnelle. Alors j’ai fait ça très proprement, sur internet. C’est incroyable tout ce qu’on peut faire à partir de son ordinateur. Non seulement tout est très bien fait pour qu’on se sente en sécurité, mais en plus c’est autrement plus efficace que les sites de rencontres et la dragouille de boîte de nuit ! Déjà, impossible d’être bredouille : les femmes rechignent à se vendre, tandis que les hommes aiment payer pour le sexe, c’est comme ça. Du moins ceux qui ne veulent vraiment que ça et l’assument. Dès lors qu’ils payent, ils se savent dédouanés de l’affect et ils en dédouanent naturellement la femme qu’ils veulent sauter. Et bizarrement, ils n’attendent pas nécessairement de la femme qu’elle soit anormalement belle, exceptionnellement perverse ou les deux à la fois. Certains si, évidemment, et il y a des tas de femmes qui offrent toutes sortes de prestations, les vraies professionnelles du sexe, mais il y a un marché très ouvert pour les amateurs, où les hommes veulent juste tirer un coup traditionnel, avec une femme qu’ils auraient pu rencontrer tout seuls sans les difficultés évoquées plus haut et avec, peut-être, quelques inhibitions en moins compte tenu de la nature commerciale de la relation.
Franchement, la moitié des mecs qui ont payé (cher) pour me sauter m’auraient eu à l’œil s’ils avaient proposé. Au lieu de ça, non seulement je me suis fait des couilles en or (vos couilles en or, messieurs, si vous me permettez ce bon mot tout en finesse), mais en plus j’ai enfin découvert ce que voulait dire « épanouissement sexuel ». Je n’ose imaginer ce qu’aurait été ma vie si j’avais découvert ce filon plus tôt, à cet âge où on se croit délurée parce qu’on dit « bite » à la place de « sexe » dans les « discussions débridées » qu’on a avec les copines. A cet âge, surtout, où on a physiquement une endurance et une énergie qui démultiplient le champ des possibles au lit. Et de longues années devant soi pour les explorer tous.
Mais je n’ai pas commencé très jeune et je vieillis déjà. Je ne me sens pas flétrie et certainement pas rassasiée, mais je ne résiste plus à la concurrence. Je sais qu’il y a même dernièrement des clients qui m’ont choisie parce que l’offre reste encore très inférieure à la demande et que, faute de mieux, je faisais encore à peu près l’affaire. Je vis mes dernières transactions. Il y a bien un marché pour les amateurs de vieilles, mais psychologiquement c’est un peu rude. Alors je soigne ma sortie. Je voudrais éviter le coup de trop, pour autant je n’ai pas envie de me retirer tête basse - la queue entre les jambes, si vous me permettez encore un bon mot tout en finesse. Certains de mes anciens clients fidèles qui sont déjà passés à plus jeunes m’ont toutefois gardé un soupçon de tendresse, cette tendresse du miché pour sa pute habituelle. Parfois même la tendresse des premières fois : j’ai été pour certains d’entre eux leur première expérience de sexe payant.
Mais quand je réfléchis à tout ça, avec le recul… pourquoi les hommes ont-ils ce besoin d’asservir la femme, d’en faire leur chose, leur marchandise qu’ils ont payée et dont ils peuvent donc disposer à loisir pour simplement la sauter ? La plupart de ces types avec qui j’ai couché étaient très normaux. Gentils, même, pour certains. Et aucun n’a exigé de moi quoi que ce soit d’extravagant que j’aurais pu n’accepter que pour l’argent. Je n’ai couché avec aucun homme répugnant ou violent. Très peu avec qui j’aurais beaucoup hésité avant de dire oui juste pour le plaisir. Je n’ai rien fait d’ailleurs qui ne serve pas avant tout mon plaisir. L’argent et le plaisir des clients n’étaient finalement que secondaires.
Alors pourquoi a-t-il fallu qu’ils me rabaissent à l’état de marchandise ? Leur fierté et leur assurance ne passent-elles vraiment que par l’humiliation de leur partenaire ?
Ils ont assouvi les désirs de mon corps, mais souillé mon âme.
Et ils achèvent de m’humilier en ne venant plus à moi. Alors c’est moi qui vais les chercher.
Je ne casserais pas les prix pour de nouveaux clients - on a sa fierté, même avec les seins qui commencent à tomber - mais une opération du type « liquidation totale avant fermeture », « grande braderie avant cessation d’activité », c’est différent.
Trois de mes anciens habitués sont déjà venus. J’ai encore deux rendez-vous prévus. Les autres n’ont pas encore répondu, mais je n’en suis qu’à ma première campagne, je n’ai pas commencé la surenchère promotionnelle.
Le premier, je l’ai tué très simplement et très rapidement d’un coup de couteau de cuisine. Le deuxième, je l’ai étouffé. Il a mis longtemps avant de se débattre ; il a dû penser que pour la dernière, je lui sortais le grand jeu tendance sado-maso. Le troisième, je l’ai attaché, comme il me le demandait souvent. Et je l’ai bâillonné - sans qu’il demande, ça. Du coup, lui, j’ai pris tout mon temps pour lui faire payer ses humiliations à répétitions… je crois qu’il a demandé pardon, mais je ne suis pas sûre, avec le bâillon. Quelle lavette. Infoutu d’assumer sa position de mâle conquérant et possesseur à la première difficulté. J’attends le prochain dans moins d’une heure. Juste le temps d’aller mettre celui-là avec les autres dans le bureau et de nettoyer un peu.
Si tout se passe comme prévu, en deux ou trois jours maximum j’aurai à peu près lavé les outrages qu’ils m’ont fait subir et je pourrai m’envoler vers une quelconque destination paradisiaque où je disparaîtrai gentiment pour dépenser enfin leur argent.