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23 novembre 2009 1 23 /11 /novembre /2009 23:39

 

Elle

 

Je le revois encore, cette première fois où j’ai croisé son regard. Je l’avais trouvé si beau. Je ne sais pas combien de temps j’avais passé là, dans ce couloir de métro, à le regarder jouer de cet improbable violon déglingué. Les gens passaient sans un coup d’œil, certains jetaient machinalement une pièce, le bruit des métros déversant leurs flots de passagers couvrait le son de l’instrument et moi, captivée, je restais là à le regarder. Au bout d’un moment il s’est arrêté, a compté sa recette et m’a dit dans un sourire à tomber qu’il pouvait m’offrir un café. Je crois qu’on s’est aimés immédiatement.

Il s’est rapidement installé chez moi vu qu’il n’avait pas de chez lui et on a vécu une véritable et merveilleuse passion amoureuse. Il jouait pour moi des morceaux qu’il massacrait joyeusement avec son vieux machin, alors à la première occasion je lui ai offert un violon neuf. Et c’est là que je me suis aperçue qu’en fait c’était probablement plutôt le grincement du violon que je n’aimais pas, vu qu’il me faisait le même effet avec le nouveau. A moins qu’il n’ait simplement pas su en jouer, mais c’était plus délicat à lui faire comprendre. Une chance, c’est lui qui a fini par dire un jour qu’il aimerait progresser, alors je me suis fait un plaisir de lui offrir des cours. Sauf que ça n’a rien changé. Pour mon oreille en tout cas. Toujours ces mêmes grincements insupportables… Lui paraissait content, chaque jour il me faisait une nouvelle démonstration de ses progrès, mais ça m’était toujours aussi pénible à entendre. Pourtant il a commencé à gagner de l’argent en jouant. Et puis y a eu ce type, là, avec son piano et ses grandes idées… Ils m’ont carrément vidé le salon pour y mettre le piano et donner des concerts « façon musique de chambre ». Je n’ai pas eu le cœur à dire non, il avait l’air tellement emballé… Cet éclat de plaisir qui lui allumait l’œil dans ces moments-là tuait immanquablement jusqu’à mes plus petites velléités de lui refuser quoi que ce soit. Et puis, c’est vrai, le voir jouer me ramenait toujours à cette première fois… le voir jouer. Pas l’entendre. Bon sang, foutu métro ! Sans tout ce boucan je ne me serais sans doute même pas arrêtée, la musique m’aurait fait fuir ! Mais je suis injuste… on s’aime. On vit une belle histoire. Est-ce si grave si je ne sais plus ni où me mettre ni que faire chez moi à cause du monde qui défile pour ces fameux concerts ? Si je vis avec les boules Quies vissées aux oreilles ? Si j’ai tout le voisinage à dos et une menace d’expulsion au-dessus de la tête à cause du bruit ? Dommage qu’il n’ait pas plutôt été chanteur ou poète…

 

Lui

 

Je ne sais plus quoi faire. Elle a l’air de plus en plus triste. On s’est aimés pour ainsi dire au premier regard, mais je ne comprends pas ce qu’elle attend de moi. Quand on s’est rencontrés, je déconnais dans le métro en jouant d’un vieux violon pourri que j’avais trouvé dans une poubelle, mais ça avait semblé lui plaire. On s’est vite installés ensemble et, pour faire renaître un peu le charme de notre première rencontre, je m’amusais à lui jouer de mon violon déglingué. Quand elle m’en a offert un neuf, je n’ai pas eu le cœur à lui dire que je ne savais pas en jouer. J’étais affreusement gêné, c’était un cadeau très au-dessus de ses moyens et je me voyais mal la décevoir en lui disant la vérité. J’ai cru trouver le moyen de me dépêtrer du malentendu en prétextant un niveau insuffisant, mais elle a sauté sur l’occasion pour me payer des cours. C’était sans doute pour une large part le musicien, qu’elle aimait. Ce n’était pas évident, parce que je n’aspirais pas vraiment à ça et en plus je n’aimais pas trop le violon, mais je ne savais rien lui refuser quand elle avait cette moue craquante avec son petit sourire en coin… J’ai fini malgré tout par bien me débrouiller avec le violon, bien gagner ma vie et, pour qu’elle en profite autant que possible, j’ai même dégoté un mec avec un piano et des idées et on a lancé un truc de « concerts de chambre » à la maison, comme ça elle peut m’entendre jouer tout le temps. Pour dire le vrai, je n’avais pas imaginé qu’elle serait d’accord. J’avais pensé que cette histoire irait trop loin et qu’elle dirait non. Mais elle a dit oui. Depuis je passe la plus grande partie de mes journées sur ce satané instrument que je n’aime même pas, alors que si j’avais trouvé un portefeuille au lieu d’un violon dans cette fichue poubelle rien de tout ça ne serait arrivé. Mais je suis injuste… on s’aime. On vit une belle histoire. Est-ce si grave si j’ai mis de coté mes aspirations premières pour lui plaire ? Si je me coltine ce pianiste à longueur de temps alors que je voudrais juste pouvoir être avec elle ? Dommage qu’elle n’ait pas plutôt rêvé d’un chanteur ou un poète…

 



Ecrit pour les impromptus littéraires, inspiré par ça


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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 23:59

 

Il y a belle lurette que je l’ai plus, ma liberté de mouvements. Ce fichu col du… du quoi déjà ? Oh ! Je sais plus bien. Un truc qui s’est cassé. Je me souviens même pas être tombée. Je me souviens pas de grand-chose pour tout dire. C’est sûrement mieux comme ça. Moins de choses à regretter. A part les fleurs. Il y avait des fleurs et je faisais des bouquets.

On dirait qu’il fait beau. Je ne sais plus trop bien comment c’est quand il fait beau. Je n’ai pas l’habitude d’être ici. Je voudrais bien aller au moins à la fenêtre, mais je ne pense pas que j’arriverais à me lever. Je ne sais plus. Je ne me souviens plus la dernière fois que je me suis levée. Je ne sais pas si c’est l’été. J’aimerais bien ouvrir cette fenêtre, savoir s’il fait chaud ou froid. Je crois que je ne l’ai jamais vue ouverte, cette fenêtre. Ou peut-être que j’ai oublié. Je ne peux même pas demander qu’on l’ouvre pour moi, alors l’ouvrir toute seule… C’est des choses, j’y pense, comme ça, mais je sais plus trop bien les dire. Ou alors j’oublie quand y a des gens qui viennent. Les gens.

Y a le vieux bougon, là. Lui, il est là tout le temps et je crois que je me souviens de lui. Ou alors il ressemble à quelqu’un dont je me souviens. Mais les autres… Avant je faisais semblant. « Tu m’reconnais ? », « Oui ». Mais c’est gênant. Alors maintenant j’ouvre plus les yeux quand ils viennent. Eux ils me parlent quand même et ils ont l’air contents et moi, ça me repose. J’aimerais bien pouvoir leur dire d’arrêter de venir. Ou au moins de me demander si je veux les voir. Ou alors de frapper avant d’entrer. Je crois que j’étais bavarde. Ou alors c’était peut-être ma sœur. Ou quelqu’un d’autre.

Ah tiens, j’avais une sœur ? Qu’est-ce que je disais déjà ? Ah oui : il a l’air de faire beau. J’aimerais bien ouvrir… j’avais un grand lit tout mou et je l’ouvrais, ma fenêtre, là-haut, non ?… Non quoi ? Oh la la… Qui c’est qui m’a attachée comme ça ? Je peux même pas aller aux toilettes, c’est quoi cette histoire ? Et puis je voudrais me gratter, là… eh ! oh ! ça me gratte les fesses ! oh !

Est-ce que j’ai crié ? Je sais pas. C’est comme si j’avais des murs dans la tête qui empêchent les pensées de devenir des mots et des sons. Qu’est-ce que j’ai fait de mes clés de voiture ? Je dois retourner en courses acheter du jambon. C’est une araignée là-haut ? Hou ! J’ai horreur de ça !

On dirait qu’il fait beau aujourd’hui. J’irais bien faire le tour du lac. Je ferais coucou aux enfants à la plage en passant. Il a l’air de faire beau, non ? Mais qui c’est qui m’a attachée comme ça ? Je suis punie ou quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Hou la la ! Y a quelqu’un qui vient ! Vite, chut ! J’vais lui faire une blague !... Il fait beau aujourd’hui. Je crois que je voulais faire un truc si jamais il faisait beau mais c’est comme si j’avais des murs dans la tête qui empêchent mes pensées de… Il fait beau ? Il faudra que je passe chez ma sœur. Mon frère. Ah mince… je sais plus.

Il fait beau. Je voudrais bien mourir un jour où il fait beau, si je pouvais choisir. Je voudrais bien mourir… si je pouvais choisir.

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème « Liberté ».

 

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6 novembre 2009 5 06 /11 /novembre /2009 14:02

 

Quand elle a annoncé qu’elle offrirait son cœur, son corps et son âme à celui qui lui offrirait la lune, elle s’est dit que ce serait sans doute assez prétentieux pour rebuter ses derniers prétendants. Et pourtant…

 

A défaut de la décrocher, beaucoup semblaient mettre un point d’honneur à se montrer con comme la lune. Celui-là s’était mis en tête de fabriquer l’échelle la plus haute du monde. Cet autre avait décidé de s’entraîner sans relâche au trampoline. Celui-ci essayait de la pêcher quand elle se reflétait dans l’étang. Et lui, là, faisait un barouf d’enfer à coups de marteau et de scie à métaux pour fabriquer une fusée.

 

Non, vraiment, elle ne comprendrait jamais les hommes.

 

Et puis un jour est arrivé ce garçon, aussi lunaire que lunatique.

Elle n’a pu s’empêcher de remarquer son pas dansant, comme en apesanteur.

Ses yeux aussi noirs que la face cachée de la lune.

Et bien sûr, ronde et ferme, appelant les caresses, quelle lune !

 

Par une nuit claire et étoilée, il est enfin venu à elle :

 

-          Que vois-tu dans mes yeux ?

-          La lune !

-          Pardon ?

-          Deux lunes…

-          Alors ?

-          Je t’aime.

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème « Décrocher la lune ».  

 

 

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20 octobre 2009 2 20 /10 /octobre /2009 13:54

Les feuilles mortes étaient bien plus rouges qu’elles n’auraient dû. Dans la lumière douce et rasante de cette fin de journée, elles donnaient à la scène une touche de surréalisme esthétique plutôt dérangeante. Ça m’a pris du temps avant de ne plus avoir envie de gerber devant un cadavre, mais de là à le trouver beau…

Le photographe de la scientifique se régalait. Il en avait terminé avec les clichés utiles et il faisait maintenant des prises en plan large, qui ne lui serviraient à rien pour le boulot, mais le légiste tardait alors lui en profitait pour mitrailler.

Au début, son goût pour la photo d’art nous paraissait un peu déplacé vu les circonstances dans lesquelles il le laissait s’exprimer, mais on a vite compris que son sens de l’éthique était encore plus développé que son sens de l’esthétique, alors on a fini par ne plus s’offusquer. Et puis faut bien dire ce qui est : il a un putain de talent pour sublimer le sordide et le dégueulasse. Il m’a montré ses clichés une fois et je dois avouer que c’est moi qui me suis un peu torchée avec l’éthique, ce jour-là. J’ai essayé de le pousser à exploiter ses photos, qui sont de pures merveilles, mais lui n’en démord pas : ce serait contraire à l’éthique et irrespectueux envers les victimes et les familles des victimes. Un gars bien, dans le fond.

Cette fois-ci le tueur, la victime et la nature semblaient s’être entendus pour nous offrir une scène de crime magnifique. La position du corps était très élégante et aucune plaie n’était visible, mais le sang teintait les feuilles et la terre tout autour. Le corps, nu et d’une pâleur évidemment mortelle, offrait ainsi un contraste saisissant. Enfin, la lumière du jour déclinant donnait à l’ensemble un air d’irréalité presque magique. Le boulot était mâché.

Il n’allait pas tarder à faire nuit et le légiste n’arrivait toujours pas. On perdait un temps précieux. On aurait pu bouger le corps nous-mêmes, j’aurais pu en donner l’ordre et en prendre la responsabilité, mais le tableau étrange qu’on avait sous les yeux semblait nous faire à tous un drôle d’effet. Le silence qui régnait autour de ce cadavre était complètement inhabituel et la patience dont chacun faisait preuve relevait du pur miracle.

Quand le légiste est finalement arrivé en gueulant «  Putain ! Mais c’est pas vrai qu’vous avez même pas installé un projo ! », ça nous a tirés de notre espèce de torpeur. Je me suis reprise et j’ai fait faire le nécessaire pour éclairer la scène et permettre à tout le monde de se mettre au boulot pour de bon. Sous la lumière crue du projecteur, il n’y avait plus qu’un cadavre légèrement bleuté couché dans la terre.

 



Ecrit pour les Impromptus littéraires avec pour contrainte de commencer par "Les feuilles mortes".


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19 octobre 2009 1 19 /10 /octobre /2009 14:05

 

Les feuilles mortes ça m’a toujours foutu le bourdon.

Enfin non, pas toujours, en fait. Quand j’étais gosse, j’adorais ça. L’espèce de petit jardinet qu’il y avait derrière la maison en regorgeait dès que commençait l’automne, parce qu’il était coincé de telle façon entre deux murs que le vent y amenait immanquablement les feuilles de tous les arbres de la rue. Et moi, j’adorais me jeter dans le gros tas de feuilles et les faire voler partout en donnant des coups de pied dedans. Mais un jour, mon père, … non. C’était pas mon père. C’était un type qui couchait avec ma mère et dont elle était très amoureuse, sans que j’aie jamais pu comprendre pourquoi. Il était arrogant, méprisant, insultant, violent, alcoolique et fauché. Il pompait son fric et son énergie quand il était là, ce qui n’était pas si fréquent vu le temps qu’il passait à le dépenser ailleurs, ce fric, et il m’obligeait à l’appeler papa pour que ma mère croie que j’étais attaché à lui. Comme ça, quand elle avait un sursaut de fierté et voulait le foutre dehors, il lui disait toujours une connerie du genre « c’est dommage, le petit va me manquer » et invariablement elle s’imaginait que la réciproque serait encore plus vraie et elle lui donnait une dernière chance. Pour mon bien à moi. J’aurais bien sûr pu lui dire la vérité, mais au début j’avais peur de lui faire de la peine et à la fin j’étais terrorisé.

Je ne sais pas combien de dernières chances elle lui a données. Infiniment trop. Au moins une de trop, en tout cas, c’est sûr. Un soir qu’il l’a poussée à bout comme il savait si bien le faire en refusant d’entendre la moindre remarque et en retournant tout ce que ma mère disait contre elle, au prétexte qu’elle devait être stupide, ou folle, ou les deux pour lui parler comme ça, elle a complètement craqué. Elle l’a d’abord menacé lui, puis s’est finalement tailladé les veines, là, devant nous, au milieu du salon. Elle a été la première femme que je n’ai jamais réussi à comprendre. Mais c’est une autre histoire.

Ce type, donc, vivait là comme un parasite et, de temps en temps, faisait quelque chose pour faire croire qu’il était utile. Comme ramasser les feuilles à l’arrivée de l’automne. La première fois qu’il l’a fait, moi j’ai fait comme d’habitude : je me suis jeté dedans et j’ai tout éparpillé. Il m’a hurlé dessus et a bien failli me foutre une branlée, mais ma mère l’en a empêché. Le lendemain, quand j’ai vu toutes les feuilles de nouveau en tas, je ne me suis même pas posé de question, j’ai plongé dedans. Et hurlé. Le tas était composé moitié de feuilles, moitié de tessons de verre. J’ai failli mourir d’un morceau planté dans mon cou, j’ai perdu l’usage de deux doigts et mon visage, mes bras et mes mains sont couverts de cicatrices.

Depuis, les feuilles mortes, ça me fout le bourdon.

 

 

Variation autour de la consigne de la semaine des Impromptus littéraires : commencer par "Les feuilles mortes".





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13 octobre 2009 2 13 /10 /octobre /2009 03:42

 

Si j’avais été plus solide, j’aurais pu me retrouver entre les mains d’une petite fille multipliant les photos floues de ses pieds et de ses poupées.

 

Moins lourd, j’aurais pu accompagner un grand reporter et immortaliser les horreurs et les merveilles des quatre coins du globe.

 

Plus stylé, j’aurais pu mitrailler des mannequins aux jambes interminables et aux coiffures improbables.

 

Moins compliqué, j’aurais pu mal cadrer tous les dimanches les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants d’une gentille petite mamy.

 

Plus maniable, j’aurais pu prendre sur le vif des dizaines de clichés d’étudiants ivres et autres fêtards avinés.

 

Moins performant, j’aurais pu permettre ce flou indispensable aux instants volés de starlettes et jeunes premiers à la une des torchons voyeuristes.

 

Mais je suis de loin le meilleur de ma catégorie.

Alors de jour comme de nuit, invariablement, je ne prends que des traces de pas, des douilles, des poils de cul, des taches de sperme, des flaques de sang, des hématomes, des entailles, des impacts de balles, des brûlures de cigarettes, des ongles arrachés, des pommettes enfoncées, des carotides tranchées… Vous ne me croirez pas : je n’ai même jamais eu la chance de prendre un corps entier ! Le mieux que j’ai pris un jour, c’est une jambe, du pied jusqu’au fémur, mais à plus de dix mètres du reste du corps et là, même avec le grand angle, ça donnait rien.

 

Alors vraiment, je vous le demande : à quoi bon être le meilleur si c’est pour finir comme ça ? Non, c’est pas une vie d’appartenir au photographe de la police scientifique.

 

 


 

Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème : « Donner la parole à un appareil photo ».



 

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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 11:34


J’ai toujours détesté les jours de lessive.
Je revois la bassine dans laquelle j’aurais pu tenir tout entière, l’eau que Mamy mettait à bouillir dedans, la buée qui venait brouiller la vue sur les fenêtres et les piles de draps et serviettes que Mamy lavait pour l’hôtel en bas de chez elle.
Moi je venais après l’école, les jours où Maman devait travailler tard. Papy avait gardé des jouets de son enfance, mais je n’avais pas le droit d’y toucher, alors je les regardais dans le placard en attendant que Mamy me donne mon goûter. Mais elle n’y pensait pas toujours. Les jours de lessive, avec ses mains rougies par l’eau bouillante, je n’avais même pas trop envie qu’elle y pense. Elles me faisaient un peu peur, ses mains qui ne semblaient plus vraiment lui appartenir, tant leur couleur paraissait surréaliste par rapport au blanc du linge et à la pâleur de sa peau laiteuse. Ses mains, rouges et crevassées à cause de la lessive, de la javel.
Ça piquait les yeux aussi, tous ces produits dans les vapeurs qui envahissaient tout le petit appartement. Et l’odeur. L’odeur du propre. Cette odeur qui me chatouillait le nez et me faisait renifler.
Parfois Mamy me demandait de l’aider à tordre les serviettes pour les essorer. Ça me brûlait les mains et me faisait mal aux poignets, de les tenir très fort pour pas lâcher quand elle tournait, encore, encore, encore pour en faire une torsade toute serrée dont plus une goutte ne s’échappait. Ensuite elle faisait un nœud pour les garder serrées.
Quand il m’arrivait de lâcher la serviette, si jamais elle tombait par terre, Mamy en prenait une déjà tordue et nouée et m’en donnait un coup dans le dos. Elle appelait ça la fessée mais elle tapait jamais dans les fesses. Toujours dans les reins. Alors je pleurais en silence, parce que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, ma fille, et si je pleurais elle tapait encore. Je faisais comme si c’était juste les produits qui me piquaient les yeux.
Quand Maman arrivait enfin, Mamy s’excusait, c’est jour de lessive, la petite supporte pas, elle a les yeux rouges. Je ne pouvais pas mettre mon cartable sur mon dos douloureux, alors Maman se plaignait au maître de nous donner tant de livres à porter qui nous brisaient les reins.
J’ai toujours détesté les jours de lessive.





Ecrit pour les Impromptus littéraires : écriture sur image.



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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 23:26

 

Un jour, elle a demandé qui était son père. Fallait bien que ça arrive. Je m’en doutais, j’étais préparée, je savais parfaitement quoi lui dire.

Ce que j’avais moins prévu, c’est sa réaction. Je suis encore incapable aujourd’hui de dire ce qui s’est passé exactement entre la fin de mon laïus bien rodé et le début des emmerdements, mais ce qui est certain c’est que ça a dépassé de loin tout ce à quoi je m’attendais.

Il y a eu cette espèce de trou noir, puis tout ce boucan et, enfin, j’ai repris connaissance. Cernée par des flics encagoulés et armés, qui me criaient d’un coté « pas un geste », de l’autre « mains sur la tête », ajoutant ainsi à mon trouble. A mes cotés, le corps déchiqueté du géniteur. Dans ma main une hache pleine de sang. J’ai reperdu connaissance illico.

 

Du fond de la cellule où je croupis désormais, je cherche à comprendre comment j’ai bien pu merder à ce point. Ce que j’aurais dû dire ou, au contraire, ne pas dire pour éviter ça. Qu’importe que je n’aie pas porté le moindre coup, je ne peux être que coupable. C’est moi qui l’ai faite. Alors je ne l’ai pas dénoncée. Bien sûr que je ne l’ai pas dénoncée ! Ma propre fille…

Je revois encore et toujours son joli petit visage rond de blondinette coquine pendant mes nuits sans sommeil.

 

Mais mes pires insomnies sont celles au cours desquelles je me demande si elle a tué encore après ça.

 

 

 

 

Variation autour du thème de la semaine des Impromptus littéraires.

 

 

 

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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 23:19

 

-          Ah ça ! Fallait bien que ça arrive ! qu’y disent.

-          Depuis l’temps qu’on dit qu’ça va mal finir !

 

C’est même pas vrai. Y a jamais personne qu’a dit ça. Ceux qui causent, là, j’les connais. Y m’disent toujours bonjour gentiment. Tout l’monde y dit bonjour à tout l’monde par chez nous. Et y en a même une, une des dames, là, des fois elle me donne un bonbon quand j’l’aide à sortir sa poubelle. C’est à cause de son mari qu’est mort d’une gangrène à l’hiver d’avant çui-là. C’est lui qui s’occupait d’la poubelle. Mais main’nant elle est toute seule et toute petite et maigre et elle dit comme ça que si elle avait eu un bon gars comme moi elle se f’rait bien moins du souci pour ses vieux jours et que j’suis un gentil garçon et que môman elle a bien d’la chance de m’avoir quand même.

 

Môman, elle dit que même si j’suis comme j’suis elle m’échangerait contre aucun autre. Elle est pas en train d’causer avec les gens, môman. J’l’entends qui pleure pendant qu’y disent leurs trucs même pas vrais. J’aime pas bien quand elle pleure, môman. Avant j’croyais qu’elle pleurait à cause de mon père qu’est dans l’ciel, mais un jour que j’aidais m’sieur l’curé à la sortie d’la messe j’ai entendu une dame dire qu’en vrai mon père c’était qu’un pendard qu’avait abandonné môman et qu’était sûr’ment en train d’croupir quelqu’part dans une prison et que c’est pour ça qu’j’suis comme ça. Je sais pas trop c’que c’est un pendard, mais surtout main’nant j’sais plus quoi penser quand elle pleure, môman. J’ai peur qu’c’est à cause de moi.

 

J’sais pas pourquoi y s’sont fâchés, les gens. C’est pas moi qui l’a cassée. Elle était comme ça quand j’l’ai trouvée. C’est bête qu’il est pas là l’monsieur. J’espère qu’y va r’venir. Y pourra expliquer, lui. Y sait bien qu’j’l’ai pas cassée. Faudrait qu’ils aillent lui d’mander au lieu d’causer, les gens, comme ça y comprendraient et môman elle arrêt’rait sûr’ment d’pleurer. J’devrais leur dire, mais j’peux pas pass’que l’monsieur y m’a dit d’me taire et môman elle dit toujours que j’dois obéir. Elle dit comme ça que moi j’sais pas et j’comprends pas bien alors qu’y faut toujours qu’j’obéisse aux gens pour pas faire des bêtises.

 

J’sais pas pourquoi y m’ont enfermé ici. C’est la grange au vieux Jeannot. Y s’en sert plus vraiment pass’qu’il est trop vieux main’nant mais y nous laisse jouer d’dans avec la p’tite Lili. On amène des poules de la Marthe, le chien à Lili et mes deux chats et on joue à la ferme. On dit qu’le chien d’Lili c’est un chien d’berger et mes chats des moutons ou des vaches. On fabrique des genres de barrières avec de la paille et des bouts d’bois pis ça fait des enclos pour not’ bétail. On aime bien jouer à ça avec la p’tite Lili. Une fois, y a une des poules de la Marthe qu’a même pondu dans la grange pendant qu’on jouait et on a eu l’droit d’garder les œufs et on a fait une omelette avec môman. C’était rud’ment bien.

 

Y a des policiers qui sont là aussi, main’nant. J’espère qu’y vont pouvoir la réparer, parce que j’l’aime bien et pis c’est pas moi qui l’a cassée la p’tite Lili.


 


Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème "Un événement chamboule tous vos plans".



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15 septembre 2009 2 15 /09 /septembre /2009 10:03


Ses doigts effilés aux ongles soignés caressaient distraitement les cheveux fins et bouclés de son jeune amant. La soirée avait été agréable. Elle jeta un regard las à l’horloge dont le tic-tac berçait sa rêverie.

 

Combien de temps encore ?

 

La fraîcheur de la nuit commençait à la faire frissonner. Elle remonta le drap sur sa poitrine. Sans qu’elle s’en aperçoive, ses caresses devinrent un tapotement agacé au front de son amant, alors que l’attente se prolongeait.

 

S’était-elle trompée ?

 

Son regard se voilait légèrement sous l’effet de la fatigue. Elle n’essaya même pas de réprimer un long bâillement. Elle glissa sa main le long du corps du jeune-homme. La peau était fraîche, mais le membre toujours flasque.

 

Ainsi donc elle devrait se contenter ce soir encore d’une petite mort ?

 

Elle était pourtant sûre d’avoir lu quelque part qu’une mort violente avait pour effet de provoquer chez l’homme une prodigieuse érection post-mortem. Il lui faudrait peut-être la fois prochaine préférer une arme à feu à l’arsenic.

 

 

 

Ecrit pour les Impromptus littéraires avec pour contrainte de commencer par "Ses doigts effilés aux ongles soignés caressaient..."

Je vous recommande la lecture savoureuse de l'amante de tiniak
, écho non concerté mais Ô combien à propos…



 


 

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