La première partie, c'est ici.
Il avait l’air tellement content que je sois là, j’ai pas eu le cœur à lui dire que j’avais l’intention de la vendre, la maison. Il m’a fait monter dans une antique 4L, on voyait la route à travers le plancher, et il m’a fait la conversation pendant tout le trajet. J’écoutais d’une oreille et j’appréciais le paysage. Je regrettais presque de n’être pas venue plus tôt. Vallonnée et verdoyante, la campagne était magnifique. On traversait des villages plein de charmes et je me surprenais à penser que je pourrais peut-être envisager une nouvelle vie, ici. On est entré dans un grand parc et Jojo a dit :
- Nous y v’là, l’artiss’ ! Alors ?
- C’est laquelle ?
- Laquelle quoi ?
- Maison. C’est laquelle ?
- Ah ! Ben toutes !
- Quoi ?
- Toutes ! Pis ça c’est vot’ parc.
- Sans déconner ?
- Ben vous vous attendiez à quoi ?
- Pas à ça…
En guise de maison, le Tonton m’avait donc légué un genre de manoir somptueux et au moins trois… dépendances, pour ce que j’en voyais depuis l’allée. Je suis descendue de la voiture et je regardais ce qui était donc ma maison quand Jojo m’a tirée de ma stupéfaction d’une bourrade.
- C’est coquet, hein, l’artiss’ ?
- Aïe. Oui, plutôt, oui. Qu’est-ce qu’il y dans les petites maisons ? Enfin… les autres maisons, quoi…
- Ah ben celle-là, à gauche, là, c’est celle qu’il habitait, en fait, le Tonton.
- Ah ?
- Ouais. Et pis derrière, la grande, c’est son atelier…
- Son atelier ?
- Ben là où c’qui f’sait l’artiss’, quoi.
- Ah…
- Et puis la p’tite à droite c’est pour les amis.
- Il recevait souvent ?
- Jamais, mais il la louait aux touriss’.
- Ah d’accord.
- Derrière, dans la cour, y a les anciennes écuries…
- Y a encore des trucs derrières ? Vache ! Bon… et il faisait quoi de la… du… manoir ?
- Ben c’est l’musée ! C’est vous qu’allez vous en occuper, maint’nant, d’son musée ?
- Son musée ?
- Ben oui, c’est pour ça qu’y v’naient, les touriss’, hein, pas pour mes beaux yeux ! Ah ah ah !
- Et y a quoi dans ce musée ?
- Ah ben ça, ma p’tite, j’en sais foutre rien !
- Ah bon ?
- Visites privées seulement, sur rendez-vous et tout l’toutim ! Pas un truc pour nous aut’ de la campagne ! Pis entre nous, moi, la culture, c’est plus dans les champs, hein ! Ah ah ah !
- Hin hin. C’est vous qui avez les clés, donc ?
- Ah ! Oui, bien sûr. Alors dans la maison du Tonton j’vous ai r’mis l’chauffage hier, hein. Pis y a des trucs dans l’garde-manger. Mais l’musée j’ai pas la clé alors j’y ai rien fait... Mais vous allez vous en occuper, hein, l’artiss’ ? Nan pass’que j’ai beau êt’ pas bien malin, moi j’dis qu’un musée ça doit pas dormir trop longtemps. Les trucs d’art c’est fait pour qu’les gens les voyent. Là ça fait un moment qu’y a personne qu’est v’nu… Faut dire qu’vous avez mis l’temps à vous radiner, hein ?
- C’est que le notaire a…
- Ah ah ! J’vous fais marcher, ma p’tite, va ! J’sais bien qu’vous aut’, à la ville, z’avez jamais l’temps de rien…
J’ai pas insisté. J’ai pris les clés, il a mis encore un moment à m’expliquer comment marchait ci et ça, tout juste s’il ne m’a pas expliqué comment allumer la lumière avec l’interrupteur, et je me suis enfin retrouvée seule dans… ma maison.
Le mobilier et la déco étaient assez spartiates, mais pour un intérieur de vieux bonhomme célibataire c’était plutôt bien tenu. Et grand. Un palace à mes yeux et ce n’était que la « petite maison ». Il me tardait de découvrir le fameux musée… d’abord pour voir ce manoir de l’intérieur et puis parce que cette histoire de musée « sur rendez-vous » m’intriguait.
J’ai farfouillé un peu partout dans la maison et j’ai fini par trouver un tiroir plein de clés. Mais pas la moindre étiquette. J’avais de quoi m’occuper un moment… J’ai rempli mes poches avec et je suis allée au manoir. J’ai bataillé un moment avant de trouver la bonne clé, mais j’ai fini par réussir à entrer. Il avait raison le Jojo, un musée ça doit pas dormir trop longtemps… celui-ci avait effectivement beaucoup trop dormi : il y régnait une odeur écœurante. Je suis ressortie aussi sec. Encore un truc de la campagne, sans doute… parce que même fermé pendant longtemps, jamais un appart’ ne pue autant ! J’ai pris une grande goulée d’air et j’y suis retournée pour ouvrir autant de fenêtres que possible avant de ressortir. En attendant que ça devienne respirable, j’ai fait un petit tour de la propriété. Ma propriété. Je n’arrivais toujours pas vraiment à y croire. Je me disais qu’il y avait sûrement un truc qu’allait clocher. L’endroit était incroyablement beau, la vue splendide et oui, définitivement, je pourrais vivre ici ! J’étais plutôt une citadine et là j’étais vraiment loin de tout et je savais même pas exactement où – j’aurais été bien emmerdée pour situer l’endroit sur une carte – mais oui, sans le moindre doute, je pourrais vivre dans ce trou. Je suis retournée dans le manoir, l’odeur s’était bien atténuée, et j’ai exploré l’endroit.
A suivre…