Qu’importe le flacon… Sûr que pour ce qui est de l’ivresse, il trouve son compte dans n’importe quel genre de bouteille. Ah ça, il se loupe jamais. Picrate en bouteille plastique, vinasse en cubi… parfois du vrai bon vin, les jours où il a les moyens de pas être obligé de vomir après… mais de toute façon, c’est toujours bourré qu’il finit.
Certains soirs il s’est payé une pute ou il a sauté une greluche de son boulot avant d’aller s’acheter ses boutanches et de rentrer, alors moi je peux en profiter pour me payer le luxe d’un semblant de normalité à la maison : il se contente de téter son pinard sans trop m’emmerder et je peux regarder la télé ou même téléphoner à ma mère et faire comme si notre vie était juste ordinairement chiante.
Mais à force de faire, il a plus la tronche de ses vingt ans, il a bouffi et rougi, alors les minettes à sauter se font de plus en plus rares et de moins en moins consentantes… il en paie bien toujours une de temps en temps et des fois je sais bien qu’il demande pas vraiment, mais au final c’est souvent plein de rage à déverser qu’il rentre... Moi j’essaie bien de lui dire de boire d’abord, je me dis toujours que s’il recommence dès qu’il arrive il va m’oublier et s’oublier dans son jaja, mais j’ai rarement le temps de lui faire la suggestion avant qu’il m’allonge le premier coup. J’ai essayé de boire moi aussi, au moins pour mieux supporter les branlées, mais quand il m’a vue téter à sa bouteille il m’a mis une rouste comme jamais et m’a pissé dans la bouche pour l’étancher, ma soif, comme il a dit. Quant à partir… la fois où j’ai essayé il est venu me chercher chez ma copine. Il m’a cognée jusqu’à ce que je perde connaissance et elle, il l’a violée avant de me sauter aussi pendant que j’étais encore dans les vapes. J’ai supplié ma copine de pas appeler les flics sinon il aurait pu nous tuer toutes les deux et depuis, je supporte.
Hier, il est rentré déjà bourré. Je sais pas où il avait bu, mais j’ai pris ça pour un bon signe et je me suis tout de suite détendue en pensant qu’il chercherait pas à se défouler sur moi s’il avait déjà en bouche le goût de l’alcool : il voudrait juste continuer à picoler. En fait, je sais pas ce qu’il avait bu, mais c’était sûrement bien meilleur que d’habitude parce qu’il était tout joice et au lieu de s’ouvrir sa bouteille il a commencé à me patouiller et à vouloir me baiser. Moi je suis habituée à ce qu’il me prenne de force, ou quand je dors. Ou quand il m’a collée dans les vapes. Alors hier, ses minauderies et ses tripatouillages, ça m’a levé le cœur. J’ai eu la gerbe et j’ai pas pu me retenir de vomir et ça l’a mis dans une colère noire. Il m’a pas frappée, mais j’aurais préféré. Il voulait baiser et il a baisé. Je savais même pas que c’était possible de souffrir autant de partout après s’être seulement fait sauter.
Je croyais que ma vie se terminerait un jour sous ses coups et qu’en attendant je supporterais tout. J’avais tort. Aujourd’hui, c’est moi qui suis allée acheter du vin. Pour l’ivresse je sais pas, mais j’ai bien fait attention au choix du flacon. Quand il est rentré, je lui ai pas laissé le temps de quoi que ce soit et je lui ai fracassé la lourde bouteille en verre sur le coin de la gueule. Il est tombé dans la flaque de pinard et de sang et avec le tesson que je tenais encore je lui ai tranché la gorge.
Il avait pas acheté de bouteille avant de rentrer. A la place il avait un bouquet de roses avec une carte qui disait « pardon mon amour ». Il voulait peut-être changer… On aurait peut-être finalement pu être heureux, comme au début. Je suis bien la salope qu’il disait, tiens !
J’ai toujours ce tesson… on s’habitue à la douleur, je n’ai rien senti en m’ouvrant les veines. J’aurais pourtant bien mérité… Mon amour… pardon.
Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème du vin...