Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 22:53

 

Tout se passait bien. Mieux que bien, même. J’étais pleine d’espoir. Il nous restait certes à confronter notre idylle aux affres du quotidien, mais j’étais optimiste comme jamais. Et pour cause : jamais un homme ne m’avait donné de raisons de l’être jusqu’alors, mais cette fois j’y croyais à mort.

Il habitait une de ces villes de province dont on sent d’instinct qu’il n’est pas indispensable d’en retenir le nom ou la situation géographique précise, parce que si on ne les a jamais sus, c’est qu’il n’y avait aucune raison de les savoir, même pas une quelconque obscure spécialité locale digne d’éveiller un soupçon d’attention du voyageur de passage ou égaré. Donc il ne faisait aucun doute dans mon esprit que la suite de notre merveilleuse aventure se jouerait à domicile, sur mon territoire, à Paris.

J’ai vite senti qu’il avait quelques réticences. Je n’ai pas pu croire une seule seconde qu’il pouvait être attaché à son trou. D’ailleurs il n’a même pas essayé de faire semblant de l’être. Alors forcément, au bout d’un moment, j’ai commencé à penser qu’il ne voulait simplement pas qu’on s’installe ensemble… Tout était toujours comme au premier jour, mais il ne voulait pas passer ce foutu périph dans ce qui est pourtant indiscutablement le bon sens. A force d’excuses piteuses, j’ai fini par me résigner et prendre mes distances, mais sitôt qu’il sentait que je m’éloignais, il redoublait d’attentions délicates et de déclarations vibrantes d’une telle intensité que je ne pouvais raisonnablement pas douter de leur sincérité.

Toutefois, cette situation a fini par me lasser et, me sentant prête à rompre, il m’a finalement tout avoué : il ne pouvait pas vivre à Paris parce qu’il avait une peur panique des pigeons.

Bien que persuadée qu’il s’agissait de l’excuse la plus pourrie qu’on m’ait jamais servie pour ne pas vivre avec moi, je n’ai pas pu réprimer un long et franc éclat de rire. Quand j’ai fini par me calmer, je me suis rendu compte que mon hilarité lui avait fait beaucoup de peine. Il s’est mis à jurer sur tout et n’importe quoi qu’il disait vrai, que je devais le croire et qu’en aucun cas il n’aurait renoncé à venir vivre avec moi s’il n’avait eu cette insurmontable frousse des pigeons. J’ai bien dû finir par le croire… S’il avait juste voulu se débarrasser de moi, il m’aurait laissée partir en le traitant con, au lieu de me jurer son amour en pleurant pendant des plombes.

Alors je lui ai accordé le bénéfice du doute. Il m’a expliqué que ce n’était pas juste les pigeons, mais les oiseaux en général, et que c’était pour ça qu’il vivait dans son trou : pas une assez grosse ville pour les pigeons, mais pas non plus un coin suffisamment rural pour que pullulent d’autres volatiles en nombre. Je l’ai assuré de toute ma compréhension et j’ai commencé à lui mettre une pression à la limite du harcèlement pour qu’il se fasse soigner, arguant du fait que ce genre de phobies irraisonnées se soignerait certainement vite et bien par une thérapie adaptée. Là encore j’ai eu du mal à comprendre ses réticences, jusqu’à ce qu’une nouvelle menace de rupture l’amène à abattre ses dernières résistances et à me parler :

« Je suis en analyse depuis 17 ans déjà. Deux séances par semaine. Tu n’imagines pas les progrès que j’ai réalisés ! Mais les oiseaux… Je sais très bien d’où ça vient et tu peux me croire, on a tout essayé, le corps médical et moi, mais c’est le seul et unique point que nous avons finalement concédé à ma névrose. »

Là, il s’est mis à pleurer. Comme un bébé. La tête dans mes jupons. Il a poursuivi :

« J’avais quatre ans. Maman conduisait et j’étais attaché à l’arrière de la voiture. On a eu un accident. Moi je n’avais rien, mais je ne pouvais pas me détacher et maman était blessée et elle avait perdu connaissance. On était en pleine campagne, paumés. Personne ne venait. Et puis un oiseau est arrivé. Il s’est approché de maman. Je n’ai pas tout de suite compris ce qu’il faisait, je l’ai regardé presque amusé s’approcher de maman, jusqu’à ce que je le voie commencer à grignoter maman. Et puis un deuxième est venu. Puis un autre, et un autre encore, puis toute une flopée. Ils arrachaient sa chair autour de ses plaies et ont picoré ses yeux. Je hurlais, mais sans réussir à les faire fuir. Quand les secours ont fini par arriver, maman était morte. Tuée par les oiseaux. Alors… »

Il s’est mouché bruyamment, avant de me demander, dans un long et pathétique sanglot :

« … Alors tu comprends, n’est-ce pas ? Mais je suis sûr qu’on surmontera ça, tous les deux ! »

J’ai souri et opiné. Et dès qu’il a relevé sa tête de sur mes genoux, je me suis levée, me suis dirigée doucement vers la porte, et sans un regard en arrière je suis partie en courant, aussi vite que possible, en me jurant de ne plus jamais laisser ce malade m’approcher à moins de deux-cents kilomètres.

 

 

 

 

 

Merci à mon camarade ornithophobique.

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

M
<br /> Moi aussi je m'attendais à un truc crapuleux genre, elle lui offre un canari...<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> Ah ouais... ça ausssi c'était bon ! Bon... j'ai merdé, j'avoue, mais on ne m'y reprendra plus !!<br /> <br /> <br /> <br />
W
<br /> Tu en connais de drôles d'oiseaux quand même !<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> Et encore ! Celui là n'est que phobique...<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Ah bon, t'es partie? Au lieu de l'enfermer dans une volière remplie d'oiseaux affamés?! Tu me déçois... ;-)<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> Je ne sais pas ce qui s'est passé. J'ai craqué. Pardon. La prochaine fois je l'invite au Lido et je danse pour lui avec des plumes dans le cul.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Partir en courant... ça ne te ressemble pas. Fallait le présenter à DSK : "attention, le petit oiseau va sortir"<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> Han  ! Le petit oiseau... ouais, j'aurais dû y penser !<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA<br /> <br /> <br /> <br />

C'est Qui ?

  • poupoune
  • Je suis au-dessus de tout soupçon.
  • Je suis au-dessus de tout soupçon.

En version longue

   couv3-copie-1

Recherche

J'y Passe Du (Bon) Temps