Le corps de l’écrivain avait été retrouvé dans la position exacte où il se trouvait la majeure partie du temps : assis dans son fauteuil de bureau. C’est son bras, pendant mollement le long de son corps, qui a incité sa femme de ménage à entrer. Elle le pensait endormi et le découvrit mort, un trou sanguinolent à la tempe, la pâleur de son teint ne laissant que peu de doutes quant à son état. Celui qui était unanimement reconnu par la critique, par ses pairs, mais aussi et surtout par le public comme le plus grand romancier de tous les temps s’était donné la mort en pleine gloire.
Rapidement informée, la presse ne manqua pas de se perdre en conjectures, mais comment expliquer ce geste ? Certes le succès peut monter à la tête, mais l’écrivain était un homme raisonnable et posé, quadragénaire épanoui, marié et heureux en ménage, riche, mais dans les limites du raisonnable – il ne vendait jamais que des livres, ce n’était pas une rock star – et surtout, la veille encore il exposait à son agent sa nouvelle idée et préparait, avant de se remettre au travail, un voyage avec son épouse.
Non, vraiment, personne n’arrivait à comprendre comment celui que l’on nommait « Le Maître du Noir » et qui savait faire frémir et blêmir avec élégance et un talent inimitable avait pu en arriver là. Il fallut attendre que le corps soit enfin déplacé pour en avoir l’explication. Sous sa main qui tenait encore le pistolet se trouvait, taché de sang, un journal sur lequel il avait noté : « il ne me reste rien à imaginer ». Entouré, souligné et marqué de trois gros points d’exclamation, ce titre : « Une femme mise en examen pour huit infanticides. »
Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème : « Le corps de l’écrivain ».