En entrant dans la rame presque vide, j’ai tout de suite vu les jambes du type allongé sur les sièges à gauche. Je suis donc allée m’asseoir à droite. Un type allongé dans le métro est soit un clochard qui dort, soit un fêtard qui cuve, les deux pouvant être un voisinage odorant, surtout si le second a vomi sous son siège avant de s’y endormir.
J’ai dit à ma fille de me suivre, mais elle n’a pas dû m’entendre et est allée vers le siège occupé avant de revenir, toute pâle, vers moi. Aucune odeur n’empuantissait gravement la rame et le peu que je voyais du bonhomme était une paire de baskets de marque propre sous un pantalon propre lui aussi, j’ai donc supposé, compte tenu de l’heure matinale, qu’il s’agissait d’un jeune qui avait mal mesuré ses aptitudes alcooliques.
- Tu n’as pas entendu quand je t’ai dit de ne pas aller là-bas ?
- Non… Il m’a fait peur le monsieur.
- T’avais pas vu qu’il était là ?
- Non… il m’a fait peur avec le sang…
- Quel sang ?
Elle a tracé une ligne du coin de ses lèvres à son oreille d’un doigt tremblant. En regardant du côté du type toujours couché, j’ai vu qu’un autre gars était assis juste en face de lui et ne paraissait pas paniqué, j’ai donc supposé qu’il ne baignait pas dans une mare de sang et j’ai rassuré ma fille à coups de « tu as dû mal voir », « c’était sûrement du jus ou de la confiture » et autres « de toute façon il ne dormirait pas si bien s’il avait un bobo ». Avant de quitter la rame, je suis tout de même allée jeter un coup d’œil, histoire de pouvoir rassurer ma descendance plus catégoriquement.
Le supposé fêtard, non seulement avait bien un filet de sang qui lui barrait la joue, mais il était aussi d’une pâleur terrifiante et ses yeux clos était anormalement cernés d’un rouge qui n’avait rien de naturel.
Je ne sais pas ce qui m’a le plus choquée, entre la présence de ce cadavre potentiel et l’indifférence du connard assis presque sur ses genoux.
J’ai fait signe à ma fille de rester près de la porte, j’ai sorti mon stylo et, avant de sortir, j’ai crevé les yeux du connard.
Dans l’indifférence générale.
Je ne supporte pas que ma fille soit confrontée à des horreurs dont elle ne devrait même pas pouvoir imaginer qu’elles existent.