Celui-là, elle l’avait pas vraiment voulu. Mais l’autre ivrogne avait essayé de la foutre dehors parce qu’elle avait grossi, alors elle avait finalement gardé le gosse et menacé d’exiger une pension. Il s’était contenté de lui faire la gueule comme un steak haché en cognant dessus, mais n’avait plus parlé de la virer. La rouste n’avait pas décroché le gnard et elle était allée au bout de la grossesse, en vomissant trippes et boyaux quasiment à chaque cuite.
Le jour de la naissance, elle s’était laissé surprendre. Vu qu’elle en avait déjà pondu quatre, elle avait cru qu’elle se rendrait bien compte, mais faut croire qu’elle avait oublié parce qu’il avait déjà presque la tête dehors quand elle avait compris qu’il arrivait. Elle avait à peine eu le temps de descendre au local à poubelles qu’il était déjà là. Manque de pot, son alcoolo était rentré alors que le chiard hurlait encore et il avait pas voulu le laisser à la benne, à cause du grand qu’allait bientôt leur faire perdre la carte famille nombreuse.
Résultat, elle s’était retrouvée avec encore un marmot pendu à ses seins, mais depuis qu’elle s’était endormie pendant qu’il lui bouffait le téton et que sa cigarette lui avait brûlé la joue, il hurlait sans cesse. De faim le plus souvent. De trouille quand elle voulait lui redonner le sein. Alors quitte à l’entendre brailler, elle avait décidé de préserver ses nibards. Mais les cris étaient insupportables. Elle picolait pour tenir, mais le vacarme sur la gueule de bois la rendait folle et elle se demandait combien de temps ça prendrait avant qu’il meure de faim.
Sûrement trop, avec un mal de crâne pareil.
Elle pourrait l’étouffer et faire passer ça pour un accident. Ou ne rien dire et se garder les allocs.
L’autre soûlard y verrait rien. Depuis qu’il l’avait recollée en cloque, il voulait plus la sauter, alors il rentrait même plus se décharger et ne faisait que des passages tellement rapides qu’elle était obligée de vérifier si elle avait un nouveau cocard pour être sûre qu’il était bien passé. Et encore : tout juste s’il la cognait encore. Quant aux autres… y avait belle lurette qu’y avait plus personne d’autre dans sa vie, alors le temps que quelqu’un s’inquiète de ce gosse, il lui aurait peut-être rapporté assez d’argent pour qu’elle puisse quitter ce bouge. Et son soiffard de mari.
Un tout petit corps comme ça serait pas dur à cacher et ferait pas un secret très lourd à porter. Ça pourrait marcher.
Après tout, personne n’avait jamais rien su, pour le précédent.
Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème du secret.