- Ah ça ! Fallait bien que ça arrive ! qu’y disent.
- Depuis l’temps qu’on dit qu’ça va mal finir !
C’est même pas vrai. Y a jamais personne qu’a dit ça. Ceux qui causent, là, j’les connais. Y m’disent toujours bonjour gentiment. Tout l’monde y dit bonjour à tout l’monde par chez nous. Et y en a même une, une des dames, là, des fois elle me donne un bonbon quand j’l’aide à sortir sa poubelle. C’est à cause de son mari qu’est mort d’une gangrène à l’hiver d’avant çui-là. C’est lui qui s’occupait d’la poubelle. Mais main’nant elle est toute seule et toute petite et maigre et elle dit comme ça que si elle avait eu un bon gars comme moi elle se f’rait bien moins du souci pour ses vieux jours et que j’suis un gentil garçon et que môman elle a bien d’la chance de m’avoir quand même.
Môman, elle dit que même si j’suis comme j’suis elle m’échangerait contre aucun autre. Elle est pas en train d’causer avec les gens, môman. J’l’entends qui pleure pendant qu’y disent leurs trucs même pas vrais. J’aime pas bien quand elle pleure, môman. Avant j’croyais qu’elle pleurait à cause de mon père qu’est dans l’ciel, mais un jour que j’aidais m’sieur l’curé à la sortie d’la messe j’ai entendu une dame dire qu’en vrai mon père c’était qu’un pendard qu’avait abandonné môman et qu’était sûr’ment en train d’croupir quelqu’part dans une prison et que c’est pour ça qu’j’suis comme ça. Je sais pas trop c’que c’est un pendard, mais surtout main’nant j’sais plus quoi penser quand elle pleure, môman. J’ai peur qu’c’est à cause de moi.
J’sais pas pourquoi y s’sont fâchés, les gens. C’est pas moi qui l’a cassée. Elle était comme ça quand j’l’ai trouvée. C’est bête qu’il est pas là l’monsieur. J’espère qu’y va r’venir. Y pourra expliquer, lui. Y sait bien qu’j’l’ai pas cassée. Faudrait qu’ils aillent lui d’mander au lieu d’causer, les gens, comme ça y comprendraient et môman elle arrêt’rait sûr’ment d’pleurer. J’devrais leur dire, mais j’peux pas pass’que l’monsieur y m’a dit d’me taire et môman elle dit toujours que j’dois obéir. Elle dit comme ça que moi j’sais pas et j’comprends pas bien alors qu’y faut toujours qu’j’obéisse aux gens pour pas faire des bêtises.
J’sais pas pourquoi y m’ont enfermé ici. C’est la grange au vieux Jeannot. Y s’en sert plus vraiment pass’qu’il est trop vieux main’nant mais y nous laisse jouer d’dans avec la p’tite Lili. On amène des poules de la Marthe, le chien à Lili et mes deux chats et on joue à la ferme. On dit qu’le chien d’Lili c’est un chien d’berger et mes chats des moutons ou des vaches. On fabrique des genres de barrières avec de la paille et des bouts d’bois pis ça fait des enclos pour not’ bétail. On aime bien jouer à ça avec la p’tite Lili. Une fois, y a une des poules de la Marthe qu’a même pondu dans la grange pendant qu’on jouait et on a eu l’droit d’garder les œufs et on a fait une omelette avec môman. C’était rud’ment bien.
Y a des policiers qui sont là aussi, main’nant. J’espère qu’y vont pouvoir la réparer, parce que j’l’aime bien et pis c’est pas moi qui l’a cassée la p’tite Lili.
Ecrit pour les Impromptus littéraires sur le thème "Un événement chamboule tous vos plans".