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8 septembre 2009 2 08 /09 /septembre /2009 22:41

 

On l’appelait Le Roumain.

Pas parce qu’il était roumain – on n’en savait foutre rien – mais plutôt parce qu’on était con. Il était arrivé avec les manouches qu’avaient posé leurs caravanes branlantes derrière le champ de foire. Enfin, derrière le champ du père Joubert, qui sert de champ de foire quinze jours par an pour les villages alentour.

 

Ils se sont installés là avec tous leurs gosses et leurs vieilles bagnoles. Ils devaient tenir quelques stands à la foire : pêche aux canards, tir aux ballons, tombola… Ils étaient arrivés deux semaines avant, alors en attendant qu’y ait autre chose à faire les gens ont commencé à jaser et à raconter des horreurs sur les jeunes-filles qu’ils avaient sûrement violées et les trésors qu’ils avaient sans doute pillés dans les villages qu’ils avaient traversés avant.

Des ragots de campagne. Ça changeait des rumeurs sur les trois arabes du coin. Ça faisait de l’animation pour les vieilles et les culs-terreux incultes.

 

Nous on s’en foutait. On zonait là parce qu’on n’avait rien de mieux à faire en attendant de trouver la combine pour nous barrer en ville. On se connaissait depuis l’école, du temps où y en avait encore une par ici. Maintenant y a un car qu’emmène les gosses à la ville, mais y a pas si longtemps on allait en classe à pieds à travers champs… ça a l’air d’un autre temps des trucs pareils. Comme nos bigotes qui se signent quand elles voient les gitans et nos vieux qui crachent en les croisant. Et pourtant.

 

Le Roumain, c’est le seul qui sortait de leur campement le soir.

Les autres, tout le monde disait qu’ils faisaient des cérémonies Vaudou ou de la magie noire, que les femmes entraient en transe et bouffaient des rats vivants, … toute la panoplie des conneries de cet acabit.

 

Le Roumain, il venait boire des coups au même bistrot que nous. Faut dire qu’y en a qu’un à des kilomètres à la ronde qui reste ouvert le soir. Il s’asseyait à une table, buvait des bières et fumait des cigarillos. Il parlait à personne et personne lui parlait. Quand il arrivait, tout le monde s’arrêtait de causer, nous on arrêtait de jouer au flipp’ et tout le monde le regardait comme pour lui faire comprendre qu’il était pas le bienvenu. Mais comme y a que lui que ça paraissait pas gêner, les conversations finissaient par reprendre. Simplement les gens arrêtaient de dire des conneries sur les manouches du camp.

 

Moi il me plaisait bien, Le Roumain. Déjà c’était une nouvelle tête. Un gars d’ailleurs. Il avait forcément un parfum d’exotisme, pour une fille comme moi. Depuis plus de quinze ans que je traînais avec la même bande, j’avais éclusé toutes les possibilités amoureuses, j’avais couché avec tous les types de moins de quarante ans de la région et j’en étais à recommencer avec les premiers. Alors une nouvelle tête… Un étranger… Un étranger inquiétant, en plus, plein de mystères, porteur presque d’une légende à lui tout seul, tellement tout ce qu’on entendait sur « ces gens » était délirant…

 

Et puis ce regard à la fois perçant et absent qu’on devinait derrière l’écran de fumée de ces cigares… Mais je devais me contenter de fantasmer et de penser à lui en me faisant sauter dans les toilettes ou à l’arrière du van. Sinon, je serais devenue « la pute au gitan » et comme j’avais pas l’intention de le suivre dans sa caravane et de vivre comme une bohémienne…

 

Maintenant, je me dis que ça aurait peut-être pas été plus mal, finalement.

Au début, se moquer du Roumain et de sa clique de romanichels c’était amusant et ça me gênait pas trop, mais ça dégénérait à mesure que le temps passait et les gens devenaient méchants. Quant aux potes, je les croyais moins cons que nos paysans et je pensais juste qu’ils s’amusaient, mais à mesure qu’ils voyaient que je prenais sa défense, au Roumain, ils devenaient de plus en plus mauvais et me le faisaient payer à moi.

Un soir ils m’ont prise de force l’un après l’autre à l’arrière du van en demandant où il était, mon Roumain, et pourquoi il venait pas me défendre ou prendre son tour. Un autre soir ils m’ont fait bouffer un rat pour m’apprendre à devenir femme de rom’. Et lui il continuait de venir tous les soirs au bistrot, indifférent à tout, et ça énervait tout le monde qu’il s’en cogne, lui comme tous les autres, des conneries qu’on pouvait bien raconter sur eux.

 

Et puis y a eu ce jour… La foire avait commencé, les copains s’étaient mis à boire beaucoup plus tôt que d’habitude et ils étaient déjà dans un sale état quand la nuit est tombée. Ils ont voulu aller au troquet quand même. Ils disaient « s’il est là, ce soir on s’le fait Le Roumain ! ». Moi je suivais… de toute façon j’avais pas trop le choix. C’était mes potes et puis j’en avais marre qu’ils se défoulent sur moi. Alors on est allé au bistrot et il était là.

Les potes sont allés droit sur lui et l’ont attrapé pour le traîner dehors jusqu’au van. Personne a moufeté. Même le patron il a pas gueulé que personne paie ses coups, au Roumain.

Dans le van, j’étais derrière avec lui et deux potes qui l’encadraient. Les autres étaient devant, ils avaient mis de la musique à fond et on roulait à toute berzingue.

Le Roumain, il bronchait pas. Il a pas dit un mot, pas protesté, rien. Il me regardait. Droit dans les yeux. Moi ça me gênait drôlement parce qu’il était encore plus beau là que derrière sa fumée au fond du bar, alors je regardais ailleurs, mais je pouvais pas m’empêcher de vérifier qu’il me regardait toujours. J’essayais de m’excuser du regard, mais je sais pas s’il a remarqué, parce qu’il avait la même expression depuis qu’on l’avait arraché à sa chaise et il bougeait pas. Il clignait même pas des yeux et il avait un genre de sourire en coin carrément craquant.

 

Au bout d’un moment les gars se sont arrêtés. On était arrivé près de la falaise. Ils ont tiré Le Roumain dehors et l’ont jeté au sol. Ils ont commencé à lui coller des coups de pieds dans le ventre, dans le dos et dans la gueule. Ils hurlaient des insultes, lui crachaient dessus, s’encourageaient les uns les autres. A cinq contre un, ils avaient l’air encore plus minable que quand ils s’en prenaient à moi ou au flipper. Le Roumain, lui, il criait même pas. Tout ce qui sortait de sa bouche, c’était du sang. Peut-être bien une dent aussi. On voyait qu’un seul de ses yeux, l’autre on le devinait même plus derrière le cocard. C’était nul. Et les potes se calmaient même pas. Moi je restais là à regarder… qu’est-ce que je pouvais faire de toute façon ?

 

Au bout d’un moment, ils se sont reculés un peu, ils ont regardé Le Roumain immobile au sol, qu’avait toujours pas dit un mot. Et y en a un qui s’est mis à lui pisser dessus. Les autres se sont marrés et ont fait pareil, forcément. Quand ils ont fini, ils l’ont traîné tout au bord de la falaise. J’ai eu peur qu’ils le balancent mais non. Le Roumain, à ce moment-là, il a levé la tête vers moi, il m’a regardée de son œil qui lui restait et il m’a souri, la gueule en sang. A cet instant j’aurais pu pousser les potes et me barrer avec lui. Mais je l’ai pas fait. Au lieu de ça, j’ai pris le couteau qu’un des gars m’a mis dans la main. Le Roumain me regardait toujours, avec sa gueule tordue qui pendait à moitié dans le vide.

 

Je lui ai dit pardon en enfonçant la lame dans son ventre.

 

 

 

Inspiré par ce texte excellent et son auteur talentueux.


 

 

 

 

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commentaires

L
Une sacré histoire et tellement bien racontée.J espére seulement que le Roumain n est pas mort, parcque lorsqu on assascine un Tzigane on est un homme mort, ou tu te caches ils te retrouveront et feront la peau.<br /> Bonne soirée Latil
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P
<br /> oui, c'est un risque sérieux !<br /> <br /> <br />
C
non mais ça va pas non ?!<br /> Tu l'as tué ?<br /> J'appelle police secours tout de suite ! Tu vas plonger ma petite et ton complice avec. Non mais !<br /> <br /> Bon okay j'arrête. J'ai assez pourri ton blog :)
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P
<br /> hein ? quoi ? quelqu'un est décédé ???!!!<br /> <br /> <br />
M
ça rappelle un peu le premier Rambo! Je sais mes références sont pas top mais encore bravo pour ce texte plein de l'horreur humaine que nous ne connaissons que trop!
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P
<br /> ah... le 1er Rambo était très bon!<br /> merci en tout cas ;o)<br /> <br /> <br />
D
Ca débite pas mal chez Poupoune et Stipe !!
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P
<br /> des bites pas mal ? où ça ?<br /> (pffffffffff... désolée)<br /> <br /> <br />
S
excellent,bravo!
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P
<br /> merci bien !<br /> mais une bonne partie du mérite revient à maître stipe ;o))<br /> <br /> <br />

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