Je suis née avec une cuillère en argent dans la bouche. Du moins c’est ce que disent les gens. Moi je n’en garde aucun souvenir, à part peut-être une légère déformation du palais… Papa dit que c’est plutôt le cerveau que ça a dû me déformer, mais je ne sais pas si c’est possible. N’empêche, ça a dû drôlement compliquer l’accouchement.
Plus tard, les gens racontaient que je pétais dans la soie. N’importe quoi ! Je ferais jamais ça, c’est dégoûtant ! Tout ça parce que, paraît-il, mes parents se mouchent pas du pied… Sans déconner ?! Evidemment qu’y s’mouchent pas du pied ! C’est super difficile de s’moucher du pied ! J’ai essayé : déjà faut être très très souple, et puis super agile des doigts de pied… et de toute façon je vois pas le rapport avec moi.
Bref. Après ce départ dans la vie un peu compliqué, j’ai repris du poil de la bête – le chat n’a pas aimé, mais je voulais mettre toutes les chances de mon coté – et je me suis lancée dans les études. Au début, je voulais faire chanteuse et Papa a dit « ça ou peigner la girafe » alors, pour lui faire plaisir, j’ai fait coiffure… Quand je lui ai expliqué il m’a dit que c’était un peu tiré par les cheveux. J’ai pas compris.
Une fois que j’ai eu mon CAP, la directrice m’a dit que c’était bien, mais que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, alors j’ai cherché un CAP « forgeage » mais j’ai pas trouvé et du coup j’ai commencé à stresser pour mon avenir… jusqu’au jour où Papa m’a dit d’arrêter de couper les cheveux en quatre et d’aller bosser et alors là j’ai plus compris du tout s’il voulait que je fasse coiffure ou pas…
C’est à ce moment-là que Maman m’a offert ma première thérapie parce qu’elle trouvait que je pétais les plombs, alors qu’en vrai j’avais touché à rien mais bon… Papa trouvait qu’il fallait plutôt que j’arrête de me regarder le nombril mais il n’a jamais dû faire de thérapie parce que c’est pas ça du tout qu’on fait.
Mon thérapeute m’a dit qu’il fallait que je tue le père, mais je trouvais que c’était exagéré… Alors il m’a dit de prendre le taureau par les cornes et de dire ses quatre vérités à Papa. Mais va trouver un taureau à Paris, tiens ! Et puis ça doit être super dangereux en plus… Alors je suis juste allée parler à Papa et lui dire mes vérités à moi, parce que finalement les siennes je les connais pas…
Je lui ai avoué qu’en fait j’avais pas trop envie d’être coiffeuse… Il a rigolé et il a dit que c’était dommage parce que vu la longueur du poil dans ma main j’aurais pu en faire des merveilles… Franchement j’ai du mal à le comprendre, Papa : déjà j’ai pas de poil, ni dans la main ni ailleurs, ça me coûte assez cher à l’institut, et puis en plus, pour un chauve, je trouve qu’il a l’air drôlement obsédé par toutes ces histoires de cheveux. C’est lui qui devrait faire une thérapie.
Bref. Pour finir, Maman a dit que si je voulais mettre du beurre dans les épinards il allait quand même falloir que je finisse par me jeter à l’eau et travailler, mais je n’ai jamais aimé les épinards… Pour pas la fâcher, je suis quand même allée piquer une tête à la piscine, mais ça n’a rien changé pour les épinards et Maman continuait de me tanner… Alors moi j’allais à la piscine, encore et encore, mais rien ne changeait et vous savez ce qu’on dit : tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse, alors j’ai pris mes cliques et mes claques, enfin mon clic-clac quoi, et je suis partie !
Ecrit pour Ecriture ludique sur la consigne : utiliser des expressions / proverbes dans leur sens premier et raconter les malentendus ou quiproquos qui en résultent.